Ventes aux enchères : une nouvelle dimension pour les commissaires-priseurs
De mémoire de commissaire‑priseur, l’année 2020 a été exceptionnelle à tout point de vue. Après la fermeture forcée du premier confinement, les statistiques se sont envolées comme personne ne l’avait encore vu.
"Tout partait, je n’ai jamais vécu cela en 25 ans", commentera Dominique Soinne, associé chez Mercier & Cie et porte‑parole du Conseil des ventes. Plus de 80 % des véhicules trouvaient preneur à chaque session. Des produits qui partaient à 80-85 % de leur cote kilométrique (voire 87 % pour certaines Peugeot), contre une moyenne de 75 % en 2019. Au bout du compte, les chiffres sont bons pour le secteur. Selon le bilan préliminaire du Conseil des ventes, les véhicules d’occasion (94 % de la valeur du marché, montant en repli de 6,1 % en 2020) et le matériel industriel (6 % du marché, montant en gain de 1 % en 2020) ont généré une manne de 1,536 milliard d’euros dans les salles en 2020. Certes, en décroissance de 5,7 %, ce montant d’adjudication n’est autre que le deuxième meilleur score de l’histoire. L’exercice bouclé n’entrave alors qu’à peine la marche en avant. Sur les dix dernières années, la progression annuelle moyenne s’établit à 5,2 %.
Démystification profitable
Sur ce début d’année, la tendance se veut tout aussi positive et même meilleure que l’entame historique de 2020. Le niveau de fréquentation des salles – physiques ou virtuelles – apporte pleine satisfaction aux commissaires‑priseurs. "Nous dépassons les objectifs fixés et suivis par nos apporteurs d’affaires", claironne Pierre Drouin, associé chez Mercier & Cie. "Nous nous attendions à vivre des premières semaines assez calmes, il n’en est rien", lui fait écho Guillaume Arnauné, à la tête du groupe Enchères VO (ex‑Toulouse Enchères Automobiles). Il s’explique ce phénomène par une rencontre pertinente de l’offre et de la demande. Les principales maisons d’enchères enregistrent toujours un taux de transformation, dès le premier passage, supérieur à 80 %.
Au‑delà de la performance remarquable, chacun y décèle une reconnaissance du métier. Les enchères deviennent un canal de vente à part entière. Une énième alternative à la visite en concession. "Nous travaillons tous dur à nous départir de l’image de produits d’occasion sans garantie, ni traçabilité. Moins fermées, les enchères ont été démystifiées et les codes du langage sont maîtrisés par les clients", observe‑t‑on dans l’une des maisons.
Forts de ces nouvelles dispositions, les établissements veulent étendre leur empreinte. Le groupe BCA a montré la voie. "En France, il est encore question de raisonner en logique de vente aux enchères, alors que dans les autres pays, nous parlons de place de marché", commente Olivier Fernandes, directeur général de BCAuto Enchères, la filiale hexagonale du groupe européen. "Nous n’avons jamais revendiqué cette étiquette de maison d’enchères, le rejoint Guillaume Arnauné, chez Enchères VO. Nous sommes aussi à 200 % dans cette notion de place de marché qui emploie des techniques de vente, dont les enchères."
Les commissaires‑priseurs ont toute leur importance dans l’organisation, certes, mais il devient obsolète de les réduire à cette seule fonction. Ils sont désormais bien plus. D’ailleurs, BCA réalise une part non négligeable de son chiffre d’affaires hors de ce périmètre avec Kia, Hyundai, Véhiposte ou encore Alphabet. Le montant déclaré – celui sur lequel les entreprises du secteur payent des taxes – ne reflète pas pleinement l’ampleur des services rendus par ailleurs.
Multiplication des services
"Désormais, les maisons s’apparentent davantage à des distributeurs automobiles indépendants", commente un consultant expérimenté, spécialiste du véhicule d’occasion, abondant dans le sens de Pierre‑Emmanuel Beau, président d’Autorola France. Être plus que des commissaires‑priseurs ne remet pas pour autant en question le rôle des établissements historiques du secteur, d’après lui. "Nous nous devons d’apporter le prix de marché à des clients, notamment les loueurs, qui ont une idée de plus en plus précise de la valeur à tirer des produits", se positionne Pierre‑Emmanuel Beau. Mais pour notre consultant, l’ajout constant de services fait bouger les lignes.
Directeur général d’Alcopa Auction, Jean‑François Maréchal juge que la fluidification reste sa mission prioritaire. En amont, l’outil de cotation proposé en BtoB a engendré du trafic et des volumes. Derrière, la logistique se perfectionne. Les délais se réduisent. En moyenne, Alcopa Auction prend trois semaines pour récupérer un véhicule chez un client et pour lui trouver un nouvel acquéreur dans une de ses salles. Une mécanique si bien huilée que le groupe a grimpé de 8 % en volume l’an passé, à 93 000 unités, selon son bilan officiel. "Il faut s’interroger sur le reconditionnement. Nous menons activement des réflexions, car il nous faut soulager les aires de stockage des concessionnaires", amorce le prochain chapitre celui qui, en décembre dernier, était justement au centre de rumeurs de reprise d’un site industriel à cette fin.
Enchères sans frontières
Globaliser l’écosystème. Telle est la nouvelle étape de cette mutation profonde amorcée il y a une décennie. Dans le fond, voilà un des enjeux qui ont conduit Guillaume Arnauné à consolider ses activités sous une bannière unique, celle d’Enchères VO, au lieu de continuer à travailler via Toulouse Enchères Automobiles et ses filiales régionales. Ils ont tout autant poussé VPAuto, maintenant dans le giron du groupe CAT, à ouvrir deux nouvelles salles, à Lyon (69) et Aulnay‑sous‑Bois (93), fin 2020, dans une quête de la maîtrise territoriale.
Difficile de cacher l’influence de BCAuto Enchères sur ces feuilles de route stratégiques. D’ailleurs, le leader européen fait aussi face à des défis. "Nous devons communiquer sur BCA Group, explique la nouvelle stratégie Olivier Fernandes, car nous devons parvenir à gommer la notion de frontières." Et ce, pour une raison simple : mieux amener l’offre là où il y a de la demande. Effacer les limites étatiques, c’est également la possibilité de suivre les développements internationaux de concessionnaires. Alcopa Auction en sait quelque chose, puisque la maison a ouvert, fin 2020, une salle à Madrid pour épauler un de ses partenaires français en expansion.
Les cloisons virtuelles tombent aussi. Le monde numérique et ses codes spécifiques l’imposent. "2021 verra la clientèle en ligne devenir plus nombreuse que celle présente en salle", prophétise Dominique Soinne. Il souligne, par ailleurs, l’enjeu de l’informatique. Enchères VO promet à ce titre une transformation profonde de son environnement."Nous ne pouvons plusavoir de système propriétaire et les API deviennent une référence pour les échanges avec des tiers, remarque Guillaume Arnauné. Nos entreprises deviennent de plus en plus sophistiquées." Une sophistication au service de la simplicité."Le marché ne réclame pas grand‑chose sinon de la praticité", approuve Pierre‑Emmanuel Beau. Autorola avance dans cette direction et, sous peu, proposera de profiter d’une interaction forte entre ses trois activités, dont Autorola Marketplace, Indicata et Autorola Solutions, pour apporter un nouveau niveau de services à ses clients.
Approvisionnement sous surveillance
Le classement établi par le Conseil des ventes est‑il toujours révélateur des tendances ?"Auto1 ne figure pas dans le panel, mais leur activité de place de marché est en concurrence directe avec les nôtres", analyse l’un des cadres d’une maison d’enchères."Sur le fond, ces nouveaux ne sont pas dérangeants, mais leur positionnement est ambigu", grince‑t‑on, par ailleurs. "Auto1 gagne des parts de marché chez les concessionnaires, admet un autre, mais les sociétés de recouvrement doivent encore conserver un lien avec les commissaires‑priseurs", fait‑il de la réglementation l’ultime bastion.
Cette nouvelle concurrence indirecte ajoute d’autant plus de tension sur un marché où frappe la pénurie de matériel."Le volume reste l’élément le plus important dans ce métier, pose François‑Laurent Guignard, chez VPAuto. Chaque mois, nous surveillons les tendances et nous prenons des initiatives." Dans les rangs de Mercier & Cie, la raréfaction ressentie se traduit par une inflation du prix moyen."Nous nous battons chaque semaine pour avoir un plateau attractif, rapporte Pierre Drouin. Il y a une baisse de 35 à 40 % des dossiers au tribunal de commerce, du fait de l’assouplissement des règles des établissements financiers, il y a donc moins de véhicules saisis, se fait‑il une raison.Le second semestre sera à surveiller."
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