Skoda et le spectre de VW
Dire que la révolte couve dans les concessions françaises de la marque tchèque serait exagéré, mais force est de constater que les investisseurs se posent des questions. Parfois, certains passent même à l'acte. Rappel : En décembre dernier (JA n° 1101), nous rapportions quatre fermetures de sites. Celui du groupe Zanetti à Saint-Maur des Fossés (94), ceux des groupes Rougier à Alès (30) et Gabardos à Niort (79), tandis qu'à Charmeil (03), Stéphane Orla perdait son agrément de distributeur, ne conservant que son titre de réparateur agréé Skoda. Un hasard de calendrier ? Peut-être. Notons simplement que, depuis, le phénomène semble s'accentuer.
La rentabilité est directement mise en cause. Ce qui peut paraître paradoxal quand on sait que Skoda vient de boucler une année record, à 19 002 unités en croissance de 9,25 %, mais qui trouve une explication dans l'analyse du mix produits. En France, la Fabia représente 47 % des volumes en moyenne et l'Octavia plus de 25 %. La première affiche des prix bas, la seconde performe surtout auprès des compagnies de taxi. Dans les deux cas, les concessionnaires ne dégagent que 2 à 3 points de marge, non compensés par les volumes. Un distributeur dit réaliser en moyenne 1 280 euros HT de marge par voiture (hors budget salaire et marketing), contre 1 750 euros HT, il y a 3 ans.
Perte d'identité
Jean-Marc Prince, directeur France de la marque, rencontré lors du salon de Genève, a tenu à nous apporter quelques éclaircissements sur la situation de Skoda : "A fin septembre 2009, la rentabilité du réseau était de 0,4 %. A la fin de l'exercice elle a atteint 0,8 %. Ce qui veut dire que le dernier quadrimestre a été bénéfique." Une moyenne dont il se satisfait compte tenu du contexte, mais qui ne trouve pas le même écho à l'oreille des investisseurs. En particulier ceux qui travaillent la marque dans des points de vente exclusifs. "Nous progressons en ventes de VN, à l'atelier et au magasin pour ne dégager que très peu de profitabilité", regrette un concessionnaire.
Skoda fait l'unanimité quant à la pertinence de sa gamme et la qualité de ses produits. Un peu moins sur le positionnement prix. Les distributeurs mettent en garde contre une "perte d'identité". "Avant nous étions positionnés 15 % en dessous des tarifs de Volkswagen, désormais, à cause des aides dont bénéficie VW, il y a moins de 5 % d'écart". Les stocks en souffrent. Le Yeti, par exemple, sorti dans un premier temps en version haut de gamme ne peut rivaliser avec le Tiguan. Ce produit reste ainsi sur parc depuis des mois.
Ce qui n'empêche pas la direction de vouloir aller de l'avant. L'ambition est, en effet, de croître de 15 %, révélait le directeur France, "quand tous les autres constructeurs tablent sur une baisse", s'étonnent les concessionnaires. Jean-Marc Prince les exhorte donc à surpasser leurs potentiels théoriques, parfois au-delà des 15 %, soulignant qu'avec de tels objectifs, "il faut bien être dans le rythme". Mais dans les show-room, on négocie encore souvent les contrats annuels. A la mi-mars, les signatures ne sont pas toutes apposées.
Un retard à l'allumage qui pourrait avoir pour conséquence de complexifier des comptabilités déjà malmenées. Le système élaboré par Skoda laisse en effet perplexe bon nombre de partenaires. "Ils veulent un système de gestion et de rémunération calqué sur celui de Volkswagen, ce qui est impossible compte tenu de notre situation", entame un distributeur. "Les objectifs sont mensuels mais ne prennent pas en compte les délais de livraison. On ne sait donc jamais combien nous allons gagner en marge arrière, puisque nous ne savons pas à quelle date nous allons être livrés". "D'autant que les objectifs sont fixés à vue et fluctuent d'un mois sur l'autre", dit-on. "C'est une gestion hasardeuse", confie même un directeur multisites. "Nous avons besoin de visibilité, plus que chez Audi ou VW." Pourquoi ? Parce que les résultats ont un impact sur les encours. Or les points de vente ont une cotation auprès de Volkswagen Bank et une contre-performance nuit à leur appréciation. Conséquence : "ils ne nous accordent plus autant de crédit fournisseur, sous prétexte que nous ne sommes pas bons. Nous avons donc moins d'outils pour travailler", décrit un investisseur. D'ailleurs, certains utilisent une drôle de parade : anticiper au besoin les livraisons en fin de mois. C'est-à-dire compter comme immatriculés, des véhicules dont les clients n'ont pas encore pris possession. "Ce qui pose un problème contractuel quant à la date effective de la garantie", glisse un concessionnaire.
Amendes salées
De Volkswagen, Skoda en a aussi les exigences. "En 2010, nous mettons un point sur la qualité", expose la direction nationale. Une façon d'asseoir encore la réputation grandissante de la marque tchèque. Cette politique passe forcément par une implication du réseau. Elle fait l'objet d'un nouveau système de rémunération, qui attribue des points de marge supplémentaires si les audits annuels sont concluants.
C'est là que le bât blesse. "Se conformer aux exigences demande des investissements trop importants eu égard aux volumes", dénoncent les membres du réseau. "Skoda demande 20 000 euros pour un outil de diagnostic, qui coûte 5 000 euros chez Opel et, en plus, nous ne pouvons même pas vraiment mutualiser les coûts avec les autres marques du groupe", compare un concessionnaire. "En cas de non respect des règles ISO, l'amende peut être salée", témoigne un de ses confrères qui s'est vu infliger 1 500 euros de sanction au motif que les pneus de véhicules dans son show-room n'étaient pas gonflés au niveau demandé. Excédé par ce nouvel abus, dont il se sentait victime, il a renoncé à poursuivre et a préféré rendre son panneau.
De l'avis de tous, Skoda est une marque à fort potentiel. Beaucoup s'accordent néanmoins sur sa perte de modestie. Ils aspirent à un retour de la souplesse dans les process et le fonctionnement, afin qu'elle redevienne cette entité plaisante à travailler. Une poignée néanmoins a décidé de "jeter l'éponge", comme le regrette Jean-Marc Prince. Dans les semaines à venir, il comptera de nouvelles zones libres en Normandie, à Rennes notamment, dont la période de préavis s'achève au 31 mars. Et Le Havre pourrait suivre.
Photo : Les distributeurs montent au créneau. On leur demande des investissements, mais les volumes, certes en hausse, n'apportent pas la rentabilité escomptée.
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