Quel devenir pour la distribution automobile ?
Tous les experts s’accordent pour donner comme base que plus de 90 % des consommateurs, a minima, vont consulter sur internet (forums, sites constructeurs, sites de fans…) pour se forger une opinion avant de se déplacer en concession. Le modèle de fonctionnement des concessions, compte tenu de ces données, est-il devenu obsolète ? La profession n’est-elle pas en retard, elle qui a forgé des standards “immuables” depuis l’après-guerre ? En tout cas, les problèmes de compréhension du modèle internet et son utilisation actuelle semblent aller dans ce sens. Bien sûr, presque tous les professionnels ont mis en place des vitrines internet, VN comme VO, mais ils n’ont pas changé grand-chose à leur mode de fonctionnement. A savoir : “je communique, j’expose mes produits dans des locaux aux standards de marque pour les VN, sur un parc respectant là encore des standards pour les VO et les commerciaux attendent et relancent leurs prospects”. Les plus avancés pensaient bien avoir trouvé la recette miracle en remplaçant la communication par le marketing direct de masse. Las…
L’inexorable érosion de la profitabilité de la vente de VN
Le client, cet inconnu dont tous parlent mais que peu connaissent… Car quels sont, parmi les professionnels, ceux qui ont été en position de client lambda, celui de l’acheteur de véhicule standard ? Bref, le client arrive donc dans ces surfaces donc le coût du m2 pèse sur la rentabilité et il est alors reçu par un vendeur dont la principale compétence est centrée sur le produit, alors que le client a déjà une connaissance extrêmement détaillée et précise du ou des produits sélectionnés par ses soins. Les campagnes de promotions et les remises deviennent alors le principal sujet d’échange et guident, jusqu’au parasitage, les discussions, qu’on appelle d’ailleurs négociations. Et au final, la rentabilité de la vente de VN, en Excédent Brut d’Exploitation, hors marques de prestige, tend plus vers l’équilibre que vers le profit. Ceci sans tenir compte du “grey market” et des zéro kilomètres qui atteignent parfois chez certaines marques des pourcentages supérieurs à 50 % des ventes.
La quadrature du Rex
Cette situation en demi-teinte n’est pas rehaussée par une activité après-vente qui, suite à la conjugaison mal maîtrisée de l’augmentation des taux horaires avec l’espacement des entretiens, est en repli, désaffection des ateliers oblige.
Les pièces de rechange sont elles aussi sujettes à une âpre concurrence orchestrée par les acteurs internet qui fournissent directement les pièces et les font parfois poser par un réseau de réparateurs agréés. Un autre pilier de sourcing financier, représenté par les accessoires et les produits dérivés, a toujours été pris de haut par la profession alors que certains secteurs, comme celui du sport ou plus proche de nous, celui de la moto, ont su l’exploiter. Là encore, le Rex (résultat d’exploitation) n’en profite pas ou guère.
Dans le même temps, nous investissons dans des structures toujours plus attirantes et coûteuses, mais sans voir ce qui se passe autour de nous.
Que recherchent nos clients ? Du conseil, de la maturité dans l’échange commercial et de plus en plus, une réflexion sur le coût d’usage.
Proposer un autre modèle expérientiel
Or, il n’est pas forcément nécessaire d’avoir des showrooms gigantesques à l’heure du numérique et de la réalité augmentée. Il est déjà lourd et complexe de financer les stocks, les reprises, difficile et onéreux de fidéliser une clientèle versatile, alors le coût du bâti ne doit pas être appréhendé comme un axiome de plus. Certes, jusqu’à présent, on admettait que l’exploitation finançait le bâti, qui lui-même assurait un ROI, mais si nous prenons exemple sur d’autres modèles de fonctionnement, nous pouvons alors vraiment songer à proposer à nos clients un autre modèle expérientiel. Les perspectives ouvertes par la réalité augmentée sont en effet très prometteuses et la notion de showroom virtuel prend dès lors du sens, tout en suggérant des modèles d’implantations différents. Un showroom en centre-ville, doté d’un centre d’essai virtuel et tactile en réalité augmentée, oriente vers une autre approche de la vente. En effet, un magasin de ville avec sa “box vitrine interactive” permettrait d’appréhender le produit dans ses moindres détails et de transporter le client dans l’univers de la marque et de ses valeurs, sans risques d’approximations, d’erreurs ou d’omissions, autant d’ennemis jurés de l’acte de vente désormais.
Appréhender l’acte d’achat dans un processus global
Le client pourra alors orienter l’entretien grâce à l’intelligence artificielle qui lui apportera instantanément des réponses précises et comparatives, voire même des comparatifs avec les offres de la concurrence. Le client pourra donc comprendre le mode d’achat global de sa prochaine automobile. Il pourra aussi envisager les modes “forfait” et le coût d’usage, en mensualisant son achat par exemple. L’adage qui dit possession vaut titre est là remis en cause. De cette conversation client d’une nouvelle nature, découlera une meilleure qualité d’écoute accompagnée de réponses plus pertinentes. C’est le début, la base même, de la satisfaction client qui doit ensuite se décliner dans la finalisation de l’acte d’achat, la livraison du produit et la présentation de ses usages. Comme pour nos smartphones, dont la fonction “appel téléphonique” n’est devenue qu’une des composantes du produit, l’achat à proprement parler devient une composante d’un processus plus vaste et précis. Et si le marché n’est pas ouvert encore à l’achat collaboratif, en revanche, une mutation vers une offre globale et réelle générée par ces nouveaux espaces de vente est vraisemblablement à venir.
Le vendeur ne va pas mourir, il va muter
Dès lors, on est en droit de se demander ce que deviennent les vendeurs ? Disparaissent-ils ? Et bien non ! Ils se transforment pour assurer un vrai rôle d’accueil et de conseiller. Car si la machine informatique représente le savoir-faire, le vendeur devra, lui, véhiculer et partager le savoir-être. Redécouvrant la notion de conseiller client, il incarnera l’image de la marque. Par ailleurs, dans cette nouvelle donne, que deviennent les services ? Ils deviennent des espaces exclusifs dédiés à l’entretien et ne sont plus forcément strictement rattachés au lieu de vente. Le client dépose ainsi sur un site SAV son véhicule après avoir pris rendez-vous à l’aide d’une application online ou via le système embarqué de sa voiture. Selon les différents cas de figure, une solution de mobilité sera mise à sa disposition ou un espace bureau salon d’attente.
Le méga-dealer n’est pas la solution
En conclusion, au lieu d’avoir des mètres carrés à la périphérie des zones urbaines, il est souhaitable de se rapprocher des clients. Sur le modèle des centres commerciaux qui, après avoir conçu des méga-centres, temples du commerce, reviennent en force avec des enseignes de proximité et de conseil. Notre profession n’échappera pas à cette tendance. Reste à connaître l’identité de ceux qui sauront prendre le bon virage dans les mutations technologiques que vit actuellement l’industrie automobile… Le jeu est plus ouvert qu’il n’y paraît de prime abord. Surtout que lorsque les énergies alternatives arriveront à maturité, la dernière source de profit, l’après-vente, se réduira comme peau de chagrin. Que restera-t-il de notre mode de distribution ? Des méga-dealers ? La belle affaire… Ces méga-dealers se feront absorber, à terme, par leur concédant, car ils ne pourront plus équilibrer leurs comptes de résultats. La boucle serait alors bouclée. Seule une notion de service revisitée, via l’apparition de nouveaux showrooms et l’exploitation de l’expérience virtuelle, permettra non seulement de perpétuer le rêve automobile, mais aussi une profession. Ces vitrines de ville permettront aussi de vendre des produits dérivés dont les taux de marges sont depuis longtemps oubliés dans la profession, alors qu’ils n’ont rien d’un accessit.
Le passé nous rappelle que nous avons mal géré des pans entiers de notre métier, notamment les accessoires, laissant le champ libre et les parts de marché à des chaînes spécialisées. Cela s’est reproduit pour les échappements, les pare-brise, etc. Et la vente par internet peut être placée dans cette perspective. En somme, si nous ne ramenons pas le client au centre de notre activité et que nous n’apportons pas plus de qualité dans l’échange, la vente en ligne se développera jusqu’au jour où un gros faiseur gérera aussi les reprises et notre activité serait alors en danger.
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FOCUS - Jean-Marie Breuleux en bref
Avant de se lancer dans le consulting, Jean-Marie Breuleux a effectué toute sa carrière dans l’industrie automobile. De 1979 à 1988, il occupe différentes fonctions chez Fiat, avant de devenir concessionnaire Fiat-Lancia. De 1994 à 1996, on le retrouve directeur d’exploitation multi-site au sein du groupe Hess. Suivent deux années où il est responsable de l’expansion France-Algérie pour Agor. Jean-Marie Breuleux prend ensuite la direction générale de la plaque parisienne de Daewoo. De 1998 à 2002, il est directeur général chez SA 3A (concessions du groupe Volkswagen). De 2002 à 2011, il est président-directeur général de Fiber Formation (Forma Pro), un organisme de formation pour adulte qui sert notamment des comptes automobiles (BMW, Honda, Toyota). Dernièrement, de 2011 à 2015, Jean-Marie Breuleux avait la charge de la direction des ventes et du développement réseau pour Suzuki France SAS.