Paul Kroely, président de Paul Kroely Automobiles
Journal de l'Automobile. Que représente Mercedes dans les volumes du groupe Kroely ?
Paul Kroely. Notre groupe a réalisé environ 14 000 immatriculations. En termes de volume, Mercedes comptabilise 3 000 véhicules particuliers et 1 000 véhicules utilitaires et véhicules de la gamme lourde Mercedes.
JA. Comment s'inscrit la marque dans l'Est de la France ?
PK. Pour commencer, parlons du point fort : nous sommes limitrophes de l'Allemagne. En Alsace, peut-être plus qu'en Lorraine, il y a une forte propension d'acheter des marques d'origine allemande, mais cela vaut autant pour Mercedes que pour BMW, Volkswagen, Audi ou Opel qui est considérée davantage comme une marque allemande qu'américaine. Il y a donc une facilité à représenter ces enseignes. A l'inverse, nous sommes à la frontière et l'acheteur est plus à même de se rendre en Allemagne, notamment pour le VO. Il y a également un grand nombre de voitures de collaborateurs, un marché gris assez important, principalement en Alsace, dans le Bas et Haut-Rhin. Wörth, le site de production poids lourds et Raschtadt, celui de la Classe A, emploient des dizaines de milliers d'ouvriers, à quelques kilomètres de Strasbourg, qui change la donne.
JA. Cela ne vous empêche pas, pour autant, de figurer dans le top 3 du réseau…
PK. Je ne dispute aucun podium, il n'y a pas de compétition. Quel que soit le volume, il faut que la plaque soit performante. Il faut que les collaborateurs se sentent bien et aient envie de travailler. Cette efficience est essentiellement dépendante de la qualité de management qu'ils reçoivent. Maintenant, il y a une différence entre faire des volumes et être performant. Il se trouve qu'à la fin des années 90, par un concours de circonstance nous avons eu l'opportunité de créer une plate-forme de distribution sur la région Alsace-Lorraine-Vosge, où nous couvrons Strasbourg, Mulhouse, Forbach-Sarreguemines, Metz, Nancy et Epinal. A nos débuts chez Mercedes, en 1988, il n'y avait pas l'ambition de créer une telle structure. Après, le niveau de performance est principalement dû à des fondamentaux métiers et organisation qui sont respectés par l'ensemble des équipes.
JA. Vous parlez de fondamentaux, quels sont ceux propres à Mercedes ?
PK. Je pense qu'il y a un vrai professionnalisme de la distribution automobile, toutes marques confondues. Il faut des hommes et des femmes de métiers, au sens noble du mot "artisan". C'est-à-dire des gens qui ont les bons gestes de la main. Il faut aussi une maîtrise du secteur géographique et apporter une valeur ajoutée au constructeur dont le rôle est de concevoir des bons produits. Pour répondre à la question, je crois que c'est une erreur de dire qu'il y a plus de métier chez les premium que chez les généralistes, il faut un niveau de compétence identique dans les deux cas. Simplement dans les marques premium, il y a un style de collaborateur et un comportement d'accueil un peu différents du fait que le client attend plus de reconnaissance et plus de soin que dans une marque généraliste. Ce n'est qu'une question d'organisation.
JA. Estimez-vous en avoir les moyens ?
PK. Cette personnalisation dépend beaucoup de la qualité des fichiers clients que nous utilisons, qu'ils soient centraux ou locaux. Ensuite, il ne faut pas trop de turn-over dans les concessions premium. Les clients aiment retrouver les mêmes interlocuteurs qu'à leur précédente visite. Globalement, nous avons un turn-over assez réduit dans nos concessions. Nous nous y efforçons et cela passe par le recrutement et le respect de la personne, non par des questions de salaires. Bien sûr, la rémunération doit suivre.
JA. A ce titre, observe-t-on une différence de salaire entre le service commercial et l'après-vente ?
PK. Pour des raisons historiques, il y a toujours eu un écart entre un commercial et un compagnon d'atelier. Ils appartiennent à ce que j'appelle "les premières lignes", car ils sont à l'origine de la qualité perçue par le client, ils fabriquent les moments de vérité de la concession. Ils sont soumis à un encadrement et aux consignes qu'on peut leur donner, mais en définitif, ce sont eux, ces collaborateurs, qui font la seule valeur ajoutée que le client est prêt à payer. La différence salariale est sûrement due à la rareté des commerciaux, qui sont à des postes plus exposés et dictés par des objectifs mensuels. Le compagnon profite davantage du flot de l'après-vente. Toutefois les écarts de rémunération tendent à se restreindre et c'est une bonne chose. Il n'y a pas de différence chez nous entre des collaborateurs de marques premium et généralistes. Une entreprise est là pour rémunérer le niveau de professionnalisme.
JA. Ce niveau de professionnalisme que vous évoquez constamment, comment se reflète-t-il au sein de vos affaires ?
PK. Notre objectif est d'être dans le premier quartile, en vente comme en après-vente. Nous n'y sommes pas encore partout. C'est un challenge auquel nous travaillons. Cela passe par le recrutement, par des concessions propres et bien rangées, par un bon équipement, complet et en état, par le rôle d'exemple de l'encadrement ou par de la formation chez le constructeur.
JA. Comment vous positionnez-vous d'ailleurs sur ce dernier point ?
PK. Nous suivons les sessions Mercedes, très pointues, dont celles dispensées par la Mercedes Academy. Mais nous avons également développé des actions. La première est à l'initiative des cadres, ils l'ont baptisé Paul Kroely Academy. C'est un partage d'expériences en tandem avec un collaborateur, un commercial, un conseiller service, une secrétaire… Cela se déroule sous forme de modules de trois heures, n'ayant rien de didactiques, qui n'interfèrent pas sur le temps de travail. Sinon, il y a un cycle de formation en partenariat avec l'Anfa, sur une période de deux ans, avec des stages. Nous en sommes à 196 journées formateur sur un an et 695 stagiaires du groupe en ont profité, au rythme de trois sessions de deux jours. C'est une véritable boîte à outils managériale qui est montée sur mesure pour chacun des collaborateurs du groupe.
JA. A la suite de ces formations, que vous réclame Mercedes ?
PK. Mercedes nous demande d'améliorer la fidélisation client et la qualité de service et d'accueil. C'est un droit, car il ne peut y avoir de distorsion avec la qualité des produits fournis.
JA. La marque n'a-t-elle pourtant pas été vivement critiquée sur la relation client ?
PK. Non, elle a toujours eu de bonnes notes dans le domaine, en France. On peut avoir des concessions qui ont des passages à vides, certes, mais il faut s'efforcer de corriger très vite les problèmes. Le principe de la cohérence veut que les investissements soient faits en ce sens. Nous avons pour notre part deux projets, de rénovation et de construction. Nous avons en projet pour le début d'année prochaine la construction d'une concession VP à Strasbourg, l'année suivante nous aurons une autre concession VP à Sarreguemines et en 2012, viendra un site mixte voitures et camions, à Mulhouse.
JA. Pouvez-vous nous parler plus en détail de ce site ?
PK. Cette concession rachetée en 2004 était en très mauvaise posture, nous avons remonté le niveau, profitant de son emplacement et de la qualité des locaux. Non loin, il y a un site VI moins bien placé et beaucoup plus ancien. Dans la mesure où nous avons trouvé un terrain de 20 000 m2 qui peut accueillir les deux activités, il est clair qu'en construisant deux bâtiments distincts, de 4 000 et 2 500 m2, sur un seul emplacement, nous allons gagner en image. Ensuite, il y a une certaine synergie entre les clients VP et VU-VI. Ainsi, en attirant avec une des gammes, on peut vendre l'autre en sus. La troisième raison est qu'on améliore la productivité en jouant sur la complémentarité et le cumul de fonctions.
JA. Mais au vu de la conjoncture, investir dans le VI n'est-il pas un pari risqué ?
PK. Il faut bien imaginer que la situation finira par se rétablir, sans doute doucement et sans doute pas tout de suite. Il ne faut pas faire les choses à contretemps et si on investit en 2010, c'est qu'on croit qu'en 2011-2012 les choses repartiront. En attendant, nous avons des prix de construction qui sont 20 % en dessous des prix de 2007. L'acier a baissé de 25 %, donc les charpentes coûtent moins cher.
JA. Pour ce qui est du marché VP, comment appréciez-vous la situation actuelle de Mercedes ?
PK. A l'instar des autres marques, le marché s'est déplacé, c'est-à-dire que tout ce qui est malussé est en retrait de 20 à 30 % et ce qui est bonussé est à + 20-30 %. Ce phénomène a commencé au 1er janvier 2008 et, trois mois plus tard, le pli était pris. Le retournement de situation n'a eu lieu qu'à l'été 2008, les deux éléments sont donc indépendants. La TVS a aussi influencé le comportement des clients. Par rapport au segment premium, nous sommes en renouvellement de gammes, comme Audi vient de le faire. Les Classe C, E et S sont bien nées et doivent porter les volumes.
JA. Qu'est-ce que cela donne, rapporté à votre région ?
PK. Il y a quelques particularismes régionaux, mais je ne crois pas aux microclimats. Je ne pense pas que Mercedes soit perçu différemment selon les régions. Il y a peut-être une seule caractéristique du marché alsacien que nous avons observée, c'est que nous avons des amplitudes plus fortes. Les alsaciens sont plus prudents en période difficile et se lâchent davantage quand la situation s'améliore. De fait, lorsque la tendance est à - 5 %, nous serons à - 8 ou 10 % et réciproquement en phase de croissance, nous serons plus dynamiques.
JA. Les objectifs 2009 seront-ils néanmoins tenus ?
PK. Ils vont être tenus sur Metz, Nancy et Epinal, on est un cran en dessous à Strasbourg et Mulhouse, en raison de la concurrence des voitures de collaborateurs que j'évoquais précédemment.
JA. Déplorez-vous cependant un manque de matériel ?
PK. Nous n'avons pas de souci d'approvisionnement. Nous avons ce qu'il faut en A et B, nos principales ventes.
JA. Autre sujet sensible, s'est-on inquiété dans le réseau d'une baisse de rentabilité ?
PK. Il y a plusieurs phénomènes qui se conjuguent. J'ai mené une étude à Mulhouse : mécaniquement, à volume constant, l'effet segmentation a un effet sur les marges et sur la rentabilité. J'ai des clients qui roulaient en ML 320 qui ont glissé vers une Classe C 250, pas par manque de moyens, mais pour être dans l'air du temps. Entre les deux voitures, la marge, identique, s'applique deux sommes totalement différentes. Les établissements financiers remarquent également que le montant moyen des dossiers a chuté. La rentabilité est donc en baisse, nous devons être autour de 0,8 % avant IS dans le réseau aujourd'hui. On ne peut pas corriger seuls cette conjoncture, mais nous devons consentir à faire des efforts. Cette année, je table sur une profitabilité de 1,5 à 2 %, loin des 3 % que nous affichions, il y a encore quelque temps.
JA. Smart maintenant. La marque a pour ambition d'élargir son réseau, comptez-vous suivre la politique d'investissement ?
PK. Je crois que le client n'achète pas une Smart, il achète un modèle de Mercedes, au même titre qu'une Classe C ou E. Le constructeur la place volontairement comme une marque, mais aussi comme un modèle de la gamme. Ensuite, il faut comprendre que les volumes ne sont pas encore suffisants, sauf peut-être dans les grandes villes, et qu'il est donc impossible de rentabiliser un site autonome. A Strasbourg, nous sommes à une centaine de Smart, ce qui est trop coûteux. D'ailleurs pour des raisons historiques nous ne commercialisons pas Smart dans la ville. A l'époque nous n'avions pas souhaité investir dans le concept de Tour.
JA. La situation a-t-elle évolué ?
PK. Je suis tout à fait prêt à réserver un corner pour Smart, à Strasbourg, car le modèle économique est devenu raisonnable. Les exigences ont été revues à la baisse et la voiture convient parfaitement à l'air du temps, avec le Diesel et le tout électrique.
JA. Quelle est votre politique à l'encontre des points service ?
PK. On peut imaginer des réparateurs agréés pour plus de proximité. Cela a du sens. Nous avons ouvert un tel site dédié aux VP à Haguenau et un dédié aux VI à Forbach qui marchent bien. Les clients particuliers consentent à faire 45 minutes de route pour entretenir leur véhicule, ce que ne peut pas se permettre le transporteur routier. Il nous manque encore un réparateur agréé à Colmar par rapport à notre site mulhousien.
JA. Au final que manque-t-il à Paul Kroely Automobiles pour être plus performant ?
PK. Que la conjoncture ou la gamme Mercedes nous permettent de retrouver une rentabilité de 2,5 à 3 %, car notre politique a toujours été de réinvestir les sommes gagnées. Et il est clair que nous ne pourrons pas poursuivre notre rythme avec si peu de profitabilité. Ensuite, il nous faut encore plus de temps pour nous occuper des collaborateurs de l'entreprise.
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