L’exclusivité territoriale en question
EF : Enfin, ça n'a quand même pas si mal marché pour Suzuki.
RB : Le problème est que, avec le règlement actuel, nous avons une exclusivité polluée par le problème de l'étanchéité du réseau. C'est-à-dire qu'avant le 1er octobre 2003, le marché est exclusif à 90 ou 95 %. Cela voulait dire qu'on avait un marché en concurrence intramarque restreinte, pour ne pas dire inexistante. A partir de cette date, l'ensemble des opérateurs, sauf Suzuki et Porsche, ont décidé de faire évoluer leur réseau vers la sélectivité, en supprimant les zones territoriales exclusives et en plaçant leurs réseaux en concurrence intramarque théorique et juridique. Le territoire de tous les contrats de distribution, quelle que soit la marque, c'est l'Europe. Pourquoi le recours à l'exclusivité a-t-il été marginal ? Parce que Monsieur Monti a instauré une dose de poison dans cette exclusivité, en supprimant dans ce cadre le droit de stipuler des clauses d'interdiction de vente à des revendeurs hors réseau dites clauses d'étanchéité. L'exclusivité demeure donc théoriquement possible mais, dans les faits, seul Suzuki a décidé d'y recourir. Pour autant personne ne s'est amusé à vendre des Suzuki, sans avoir le panneau. Parce qu'entre un droit et la possibilité d'en user librement, il y a souvent cette espèce de cadre feutré des relations entre une marque et son distributeur…
PC : Justement, il y a un gentlemen's agreement entre distributeur et constructeur qui consiste à dire, pour le moment, tu ne profites pas des clauses, on ne viendra pas t'embêter. Si tu profites des clauses…
OL : A l'apparition de cette clause, un constructeur avec lequel je travaille a dit, de façon très officielle à son réseau, durant une assemblée de concessionnaires, "le premier qui va s'installer sans mon autorisation, où que ce soit en Europe, je le prendrai comme une déclaration de guerre, et quel que soit le prix, je le tuerai". Cela a obligatoirement limité l'usage de cette clause. Je ne crois pas qu'on ait un intérêt à être en guerre avec les constructeurs, mais au contraire en harmonie. Mais pour avoir cette relation harmonieuse, il faut une relation plus équilibrée que ce qu'elle n'est aujourd'hui.
OG : J'ai l'impression que le système s'est autorégulé. Je n'ai pas vraiment le sentiment que les constructeurs aient eu la volonté de faire obstacle à cette clause de façon plus ou moins sournoise, mais au contraire qu'elle existait sans toutefois être vraiment utilisée. Notamment parce que ce n'est pas toujours évident de la mettre en application, dans les grandes agglomérations à cause des coûts de l'immobilier élevés.
LFK : Quand vous avez des réseaux multimarques avec des distributeurs qui se croisent, il s'opère, en effet, une sorte d'autorégulation. Car les distributeurs sont forcément vigilants sur ce qu'il se passe sur leur territoire. Si un distributeur Kia met des véhicules sur un site d'une autre marque en face d'un distributeur agréé, il nous appellera dans la seconde qui suit pour nous le signifier. D'ailleurs, avant de nous appeler, il contactera l'autre concessionnaire pour lui dire sa façon de penser. Donc la régulation s'est faite par les constructeurs évidemment, mais aussi par les réseaux de distribution.
RB : A la différence près que si les distributeurs se régulent entre eux et se prémunissent d'un cannibalisme concurrentiel, c'est bien connu : trop de concurrence tue la concurrence. Quand c'est le constructeur qui interdit à son distributeur, là c'est une pratique carrément illicite.
LFK : Le constructeur ne peut en aucun cas interdire à un distributeur de s'installer là où il le souhaite sous réserve du respect des standards. En revanche, il est possible d'expliquer à un distributeur que son projet ne correspond pas à la stratégie de la marque, qu'il met en péril la rentabilité d'un distributeur en place.
RB : Le quantitatif pose un gros problème. Jusqu'au 1er octobre 2005, les constructeurs étaient autorisés à limiter directement le nombre de leurs distributeurs, sur une logique économique. C'est-à-dire qu'ils édictent un critère quantitatif qui stipule que pour qu'une entreprise de distribution soit rentable il lui faut tel potentiel commercial, par rapport à telle implantation géographique, tel nombre d'habitants, tel emplacement sur la voie de circulation… La sélection quantitative a donc permis de préserver des exclusivités de fait dans les réseaux. Or, depuis le 1er octobre 2005 et l'entrée en vigueur de la liberté d'établissement des points de vente secondaires, le maintien de la sélection quantitative n'est plus justifiable. En effet, comment refuser l'accès au réseau à un nouvel entrant sur une zone de chalandise sur laquelle tout membre du réseau peut établir un point de vente secondaire ? A mon sens, nous avons, à terme, une hypothèque du critère quantitatif tant que la liberté d'établissement sera maintenue. Cela crée une discrimination flagrante constitutive d'une entente entre membre du réseau pour faire échec à son accès par des candidats extérieurs. A mon avis, le législateur n'a pas forcément pensé à cette contradiction et à ses conséquences. La Commission européenne se doit donc de supprimer la clause quantitative, sachant qu'il y a eu un consensus autour de cette table pour dire que de toute façon, quantitativement, le réseau est capable de se réguler tout
seul.
Propos recueillis par Alexandre Guillet et David Paques
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