Le changement dans la continuité
Dans l'énoncé de la proposition de loi figure en première place le mot "libéralisation". En effet, cette réforme, attendue, et certainement nécessaire, s'inscrit dans une volonté d'ouverture. Encore soumise à la loi du 10 juillet 2000, et fortement encadrée par le Conseil des Ventes Volontaires (CVV), l'autorité de régulation des ventes volontaires des meubles aux enchères publiques, la profession et ses récentes évolutions n'étaient plus forcément en adéquation avec le texte qui l'encadrait. En dix ans de temps, il se passe forcément beaucoup de choses. La disproportion était d'autant plus flagrante dans un secteur automobile très concurrentiel, qui se concentre et qui a surtout vu poindre ces dernières années de nouveaux opérateurs spécialisés dans la vente aux enchères électroniques B to B. Le Conseil des Ventes a observé du coin de l'œil cette mutation, n'hésitant pas à assigner en justice, au nom de la loi qui régit cette profession en France et du principe d'une parfaite concurrence, ces quelques sociétés désireuses de venir marcher sur ses plates-bandes sans se plier aux règles en vigueur. "La loi est la loi et elle s'applique pour tout le monde, opérateur physique comme électronique", tel est en substance le discours qui anime l'ensemble des commissaires priseurs automobiles. Selon le CVV, la loi du 10 juillet 2000 fait donc autorité en vertu de l'article L.321-3 qui précise que "le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l'adjuger au mieux-disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques au sens du présent chapitre". De leur côté, les opérateurs électroniques justifient leur positionnement en s'appuyant sur l'alinéa suivant qui stipule que "les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique se caractérisant par l'absence d'adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d'intervention d'un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente ne constituent pas des ventes aux enchères publiques au sens du présent chapitre." L'assignation se joue donc sur cette frontière et les indices doivent alors déterminer s'il y a enchères ou courtage.
Les opérateurs électroniques rentrent dans le rang ?
Le Tribunal de Grande Instance de Versailles a donné raison au Conseil des Ventes le 24 septembre dernier en demandant à la société Autorola, la première a avoir été assignée, de se soumettre à l'agrément du conseil (voir encadré). Ce qu'elle a fait puisque cette dernière a entrepris une procédure de mise en conformité et devrait obtenir l'agrément dans les prochaines semaines. La société Manheim est également membre du CVV depuis septembre dernier. Cet agrément impose, entre autres, le versement d'une caution garantissant les fonds versés par les acheteurs, l'obligation de présence d'un commissaire priseur habilité au sein de la société ainsi que le versement d'une cotisation (0,73 % du montant des honoraires ou 0,09 % du montant des ventes). "Je ne vous cache pas qu'au Danemark, ils sont tombés des nues lorsque nous leur avons annoncé l'existence d'une loi spécifique à la France qui impliquait une charge financière pour exercer cette activité. Nous les avons finalement convaincu qu'il fallait rentrer dans le rang et arrêter de se buter, surtout que depuis, une décision de justice est tombée en première instance. Pour nous, il est quand même préférable de faire "partie de la bande" plutôt que de rester à l'extérieur", estime Pierre-Emmanuel Beau, directeur d'Autorola France. "C'est un signal fort pour la profession qui devrait entraîner un rapprochement de ces opérateurs vers le Conseil des Ventes", indique un responsable de l'autorité de régulation. D'autres sociétés, également assignées en justice, ont dû trouver une parade pour ne plus être dans le viseur de l'autorité de régulation en utilisant l'appellation de "ventes par soumission". "Nous avons demandé en début d'année, lors du renouvellement du site, de supprimer toutes allusions aux enchères. Mais notre façon de travailler n'est pas du tout celle d'un commissaire priseur, notre site est davantage un site de collectes d'offres qui nous permet d'aller faire des propositions aux loueurs pour leur acheter des voitures. Cette assignation n'est donc pas du tout logique et j'espère que le tribunal comprendra qu'il y a le fond et la forme", précise de son côté Jean Lagrange, directeur de CarOnTheWeb en France.
Les enchères automobiles nécessitent-elles un encadrement différent ?
Sous couvert de ces épisodes judiciaires, le métier doit-il éternellement se ranger derrière une loi vieille de dix ans pour dissimuler cette réalité concurrentielle et économique ? Les opérateurs de ventes aux enchères sur Internet composent depuis désormais plusieurs années le paysage du marché de l'occasion européen. Et malgré l'encadrement juridique français très restrictif, elles ont fini par investir solidement le marché de l'occasion français et leur potentiel de croissance est important. Plus globalement, les ventes aux enchères électroniques constituent depuis déjà quelques temps l'un des gros challenges pour les sociétés de ventes volontaires. Certains opérateurs, comme VPOuest et son entité A.I.M, ont très vite pris conscience de ces enjeux et sont allés dans ce sens. En remettant aux pouvoirs publics en juin dernier son livre blanc intitulé, "Pour développer les enchères électroniques et protéger le consommateur", le Conseil des Ventes a également rappelé que les enchères sur le Net s'inscrivaient dans la logique du développement de la profession et qu'il ne pouvait qu'inviter les SVV à investir en ce sens.
Pas de révolution mais une ouverture
Mais au-delà de cet enjeu, cette "libéralisation" annoncée dans la proposition de loi ne devrait pas révolutionner une profession qui reste encore très attachée au respect des traditions et des règles. "Il n'y aura pas de chamboulement majeur mais il y aura une accélération de certains processus. Je pense que nous nous dirigeons vers une réforme qui prône l'ouverture et qui ne sera pas restrictive. Cela devrait faciliter l'arrivée de nouveaux opérateurs et plus la profession sera libéralisée plus il sera facile de commercialiser des voitures", souligne Nicandro Valerio, directeur du réseau Kantium. Laurent Guignard, directeur de VPOuest et membre du Conseil des Ventes, se veut lui plus mesuré : "Nous sommes concernés par cette réforme mais nous sommes liés à une profession qui ne nous ressemble plus. Les opérateurs d'enchères automobiles sont sous le coup de la même loi que les autres SVV mais je ne pense pas que cette loi soit adaptée au marché du VO. Nous sommes sur un métier ultra-concurrentiel, le système aurait besoin d'évoluer et ce n'est pas sûr que la réforme le permette", explique-t-il. "Les enchères physiques sont un vieux métier et il est difficile de contenter tout le monde. Mais nous avançons doucement vers de vraies sociétés commerciales. Les commissaires priseurs ont toujours une certaine capacité de rebond et d'adaptation et cette réforme devrait leur permettre d'être plus concurrentiels et professionnels", relève pour sa part, Jean-Claude Anaf, dirigeant de la société Anaf Auto Auction.
Vers un professionnalisme et une concurrence accrus
Le secteur des enchères automobiles qui doit avancer et innover pour exister se retrouve donc tiraillé, pour ne pas dire freiné, par cet encadrement juridique. La loi de 2000 interdit par exemple de cumuler à la fois le statut de mandataire et de négociant, c'est-à-dire commercialiser aux enchères ses propres véhicules. C'est actuellement l'un des "combats" que mène l'ASVA, une association nouvellement crée et présidée par Nicandro Valerio, regroupant les principales sociétés de ventes automobiles aux enchères françaises. La mission de cette organisation consiste à représenter les intérêts et les spécificités du métier des ventes aux enchères automobiles "tout en renforçant l'image et la reconnaissance de notre profession, précise Laurent Guignard. Nous souhaitons toujours être mandataires mais avec une possibilité d'achat, certes dans un cadre contrôlé, dans des proportions limitées, mais qui nous permettrait d'être plus souples et plus réactifs. Les apporteurs d'affaires ont besoin de nous pour fluidifier les volumes. Je pense qu'il faut en passer par là si nous souhaitons renforcer le dynamisme de ce marché. Il n'est pas normal que notre profession ne représente encore que 3 % du chiffre d'affaires des ventes de VO depuis dix ans. Cela n'a pas évolué alors que je pense qu'il n'y pas une profession mieux adaptée que la nôtre pour les enchères électroniques. Je reste persuadé que notre métier doit coller à la modernité", avance le dirigeant breton. "Je crois en la spécialisation du métier et nous avons affaire aujourd'hui à des fournisseurs qui veulent avoir en face d'eux des commissaires priseurs qui parlent le même langage. Ils nous demandent d'être encore plus performants", embraye Jean-Claude Anaf. Par ailleurs, la concentration largement observée ces dernières années - les 20 premières sociétés de ventes volontaires ont représenté l'an passé 89 % des ventes de VO en 2008 (Classement consultable en cliquant à droite sur "plus de photos/d'infos") - pourrait s'accélérer davantage face à l'émergence d'opérateurs étrangers et une concurrence accrue. Manheim, par exemple, qui a arrêté les enchères physiques en France, envisage sérieusement de revenir sur ce marché qu'elle juge aujourd'hui "plus mâture". "Notre profession est confrontée à une problématique de coûts fixes et de frais de structures très élevés qui nécessitent d'importants volumes. Seulement, nous rencontrons des problèmes de volumes qui ne s'arrangeront pas dans les années à venir et qui devraient conduire au départ de nombreux petits acteurs et ceux qui resteront devront se rapprocher", évoque Laurent Guignard.
Des SVV à la merci de nouveaux opérateurs
Seulement, à en croire nombre d'acteurs, le rapprochement entre sociétés de ventes volontaires, soucieuses de conserver leur notoriété locale cultivée de longue date, semble assez peu concevable. "Il existe un individualisme forcené dans notre profession", confie Laurent Guignard dont le projet de création du site Internet Auto-enchères.com, en partenariat avec d'autres salles de ventes, a avorté "car nous n'avons pas réussi à réunir la profession autour de ce projet", déplore-t-il. Même son de cloche du côté de Jean-Claude Anaf : "Je ne crois pas dans le rapprochement des SVV car le nombrilisme des commissaires priseurs est très fort". Dès lors, ces sociétés qui n'ont pas réussi à se fédérer autour d'un projet cohérent restent à la merci de plus gros opérateurs à dimension européenne. Un passage peut-être nécessaire. "Aujourd'hui, les SVV doivent avoir une vision européenne et devront, peut-être, se tourner vers d'autres opérateurs, que ce soit des groupes de distribution, des banques ou des loueurs qui ont une vision entrepreneuriale plus poussée, comme nous l'avons fait avec le groupe Bernard", ajoute Jean-Claude Anaf.
Les professionnels de l'automobile n'ont donc pas attendu une nouvelle loi pour prendre conscience et s'armer face aux défis électroniques et concurrentiels qui les attendent.
ZOOMChangements et nouveautés pour Autorola La société danoise qui a démarré son activité en France en début d'année 2008 sera donc agréée au Conseil des Ventes Volontaires (CVV) dans quelques jours suite au verdict du Tribunal de Grande Instance de Versailles qui a abondé en faveur de l'autorité de régulation. Le spécialiste des ventes électroniques qui avait la possibilité de faire appel a préféré obtempérer et se plier aux obligations réglementaires mais aussi financières du CVV. Une première pour le groupe danois qui est parvenu à s'implanter partout en Europe ces dernières années sans se soumettre au moindre engagement. Autre petite exception française. Autorola est actuellement en cours de recrutement d'un commissaire priseur dont le rôle sera d'encadrer le nouvel outil que la société développera en début d'année prochaine. "Certains acheteurs n'aiment pas attendre deux jours pour savoir si oui ou non ils ont obtenu la vente. Avec ce nouveau système d'enchères "Life", les lots défilent en direct sur Internet et ils partent ou ils ne partent pas. Le principe est identique aux enchères physiques", détaille Pierre-Emmanuel Beau. Les véhicules seront exposés sur le Net et les acheteurs disposeront de plusieurs jours pour préparer la vente. "Il est certain que l'environnement juridique en France et les actions du Conseil des Ventes n'ont pas favorisé le développement de ce genre d'outils, nous le lançons avec un peu de retard par rapport aux autres pays mais il s'inscrit dans notre stratégie", précise le dirigeant. Ces enchères en temps réel seront donc régulées par un commissaire priseur dont "le rôle ne consiste pas seulement à tenir le marteau mais aussi à gérer la relation avec les fournisseurs et à aller chercher les véhicules chez eux pour l'entreprise", rappelle Pierre-Emmanuel Beau. Le nouvel outil, dont le nom n'est pas encore connu, devrait être opérationnel en début d'année prochaine. "Nous souhaitons capter ainsi un maximum d'acheteurs aux profils différents", conclut Pierre-Emmanuel Beau. |
Photo : Pierre-Emmanuel Beau, directeur général d'Autorala France
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