“Il ne faut pas avoir peur de remettre en cause son business model”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Comment se sont dessinées l’évolution et la croissance de votre groupe depuis sa création ?
JEAN FABRE. Le groupe a pour caractéristique de commercialiser entre 7 000 et 8 000 voitures sur un territoire rural, qui s’étend sur une distance de 350 km du Nord au Sud et d’Est en Ouest, et qui ne compte aucune ville de plus de 50 000 habitants. Notre développement a été dicté au fil des opportunités qui se sont présentées, poussé aussi par les constructeurs. De fait, nous avons le plus gros réseau d’agents en France (83 sites au total), des acteurs plutôt axés sur l’après-vente, mais dont nous avons besoin pour vendre des voitures. Avec la distance, nous ne nous marchons pas sur les pieds.
JA. Comment jugez les résultats du groupe sur la période 2012/2013 ?
JF. Fin 2012, nous avons subi la fin de la prime à la casse et perdu des volumes sur les marques généralistes, en particulier Renault et Ford, tandis que Volkswagen, Nissan et les marques Premium ont été moins impactées. Nous avons notamment souffert de la baisse des ventes à clients finaux, puisque nous commercialisons entre 60 et 65 % de nos véhicules à particuliers. Nos “grosses flottes” tournent autour du secteur médical, les soins à la personne, les mutuelles et les assistances. Nous avons également subi une baisse des marges après-vente. Actuellement, nos affaires dans les préfectures, résistent à la baisse du marché grâce au secteur tertiaire, ce qui n’est pas le cas des sous-préfectures qui ont tendance à chuter, faute d’industries importantes. Nous affichons de bons résultats à la fois sur l’entrée de gamme, avec Dacia, mais également en Premium, car nous sommes sur une région où il y a de l’argent. Depuis le début de l’année, nous avons repris du volume et des parts de marché avec la marque Renault. Nous avons une activité occasion qui est meilleure que l’an passé et notre business après-vente, après la dépression de 2012, repart de l’avant, en particulier grâce aux services rapides.
JA. Dans ce contexte, avez-vous modulé vos politiques commerciales à la situation ?
JF. Les panneaux de marque ne nous donnent pas le droit d’être déconnectés du prix du marché. Nous devons aussi être attractifs au niveau des tarifs, en particulier sur les opérations courantes d’entretien. Sur le VN, voilà bien longtemps que nous ne déterminons plus le prix des véhicules. Quant au VO, nous devons avoir une politique Internet dynamique.
JA. Le fait d’avoir un portefeuille élargi de marques vous protège-t-il aujourd’hui ?
JF. Autant les banquiers ne percevaient pas toujours très bien la pertinence du multimarquisme il y a quelques années, autant ils ont bien saisi, maintenant, la raison d’être de ce positionnement, qui, d’une certaine façon, les sécurise. Nous avons quand même vu certaines marques chanceler l’an passé, alors que nous n’étions pas habitués à cela.
JA. Quels sont les enseignements que vous avez tirés de cette période complexe et des mutations du marché ?
JF. Il faut d’abord se poser la question de savoir si nos affaires sont toujours adaptées au marché local et aux attentes des clients. Ensuite, il ne faut pas avoir peur de remettre en cause son business model, car la donne a changé, et de faire un état des lieux de chaque site quant à sa rentabilité, les effectifs, les personnes, le gaspillage… De cette remise en cause, peuvent alors découler plusieurs décisions : réadapter les structures, insuffler une nouvelle dynamique, fermer des sites ou les revendre, par exemple à un agent ou un collaborateur si nous arrivons à le trouver. C’est une hypothèse que nous n’excluons pas en ce qui concerne certaines de nos affaires. Depuis un an et demi, nous avons également remis l’ensemble des collaborateurs en formation, ce qui a permis de mieux appréhender les potentiels que nous avions en interne, pour les faire évoluer.
JA. Quels sont les réflexions, les pistes de développement ou les projets qui vous animent actuellement ?
JF. Nous nous inscrivons dans une dynamique Internet avec la modernisation de notre site VO Autotransac. En revanche, nous n’avons pas créé de vitrine groupe, comme certains autres confrères. Nous allons démarrer également la vente de pièces d’occasion en ligne. Nous avions un site de négoce VO à marchands dans l’Hérault, appelé “Auto Languedocienne”, qui est en stand-by actuellement. Nous nous développons également autour de l’environnement, nous avons notamment investi pour agréer nos deux chantiers dédiés aux nouvelles normes 2015. Quant à notre couverture, nous avons suffisamment de marques sur les villes où nous sommes implantés. Si développements il doit y avoir, et il y en aura, ce sera sur de nouveaux départements. Nous sommes absents de toute grande métropole et la logique serait alors d’investir les deux grandes villes qui nous entourent : Montpellier et Toulouse. Comme tout entrepreneur, nous sommes à l’affût. Mais notre ambition première est de rationaliser le secteur et de réadapter les affaires aux mutations du marché pour en faire des centres de profits dynamiques.
JA. Comment cette rationalisation se concrétise-t-elle ?
JF. Nous avons inauguré à Mende, en octobre, un nouveau point de vente, qui représente les marques Ford, Suzuki et Volkswagen. Ce projet, qui sera ensuite dupliqué à Millau, s’inscrit dans une dynamique de regroupements des affaires, sous forme de petits villages automobiles. Le site de Mende, pour lequel nous avons investi 1,5 million d’euros, est opérationnel depuis un an. A ce stade, nous pouvons affirmer que le test est concluant. A terme, l’ensemble des villes de 15 000 à 20 000 habitants, comme Figeac, Villefranche-de-Rouergue, peut-être Gaillac, seront concernées par ce genre de projet. Cette réflexion est née avant la crise et s’est accélérée par la suite. Il faut savoir qu’en Lozère, le marché accuse actuellement une chute de 25 %. Ce n’est pas de sitôt que nous allons retrouver les volumes d’avant, peut-être même jamais. De plus, sur ces zones, nous avions des concessions un peu vieillissantes. L’équation était donc simple : soit nous abandonnions ces villes, soit nous options pour un nouveau modèle, plus petit mais “plus cocooning et sympa” pour le client, afin de redevenir attractif. Historiquement, nous sommes multimarques et multi-sites sur un secteur très étendu, aussi savons-nous jongler avec les marques. Nous avons, par le passé, fait des tests qui n’ont pas toujours fonctionné, nous avons essuyé les plâtres et ce dont nous sommes certains, aujourd’hui, c’est que ces projets doivent être dominés par l’après-vente.
JA. Quelle est votre vision de l’automobile à court et moyen terme ?
JF. Aujourd’hui, nous voyons des groupes avec des dirigeants d’un certain âge qui n’ont pas de pérennité, et qui devront céder la main à un moment donné. Cela aboutira peut-être à des ventes par appartements, comme nous l’avons observé il y a quatre ou cinq ans. Seulement, le prix du fonds de commerce a nettement baissé. Je vois des rapprochements de groupes qui n’ont pas une si mauvaise santé financière, mais qui ont pris du retard sur le plan de la stratégie, de l’organisation ou des développements, en informatique, par exemple. A terme, je pense qu’un quart des sites de distribution vont disparaître, c’est tout au moins la tendance du moment. Le constructeur n’a plus les moyens financiers ou n’est plus aussi disposé à donner les marges suffisantes pour maintenir la densité de son réseau, même s’il n’en continue pas moins d’afficher ses exigences de représentation. Face aux standards et aux critères de sélectivité qu’il impose, il y a des tailles d’affaires qui sont condamnées.
Propos recueillis par Tanguy Merrien et Benoît Landré
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FOCUS - Un business en Roumanie
Le groupe Fabre est un acteur historique du marché automobile roumain, via un partenaire local, sur lequel il pèse un volume de ventes de 1 500 voitures neuves avec les marques Dacia et Renault. “Nous avons été l’un des premiers distributeurs à nous implanter en Roumanie, pays que j’ai d’abord découvert dans le cadre de missions humanitaires. J’ai d’ailleurs aidé le groupe Renault lors du rachat de l’usine Dacia”, rappelle Jean Fabre. En parallèle, le groupe a également développé deux affaires de recyclage, qui sont certifiées Qualicert. “La partie environnementale de notre groupe est gérée par la filiale roumaine, qui traite les véhicules destinés à la casse et les déchets industriels de nos concessions”, décrit le dirigeant.
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Dates Clés
1984
création du groupe avec le rachat de l’affaire Renault Ginestet Raynal à Rodez (12)
1992
le groupe devient multimarque avec la prise des panneaux Volkswagen, Audi et Seat à Mende (48)
1997
reprise des sites Renault du groupe Esculié à Figeac, Saint-Céré (46) et Villefranche-de-Rouergue (12)
2008/2009
rachat des affaires Renault, Dacia et Nissan du groupe Guyot à Albi, Gaillac et Lavaur (81)
2011
reprise des concessions du groupe Autopole à Rodez (VW, Audi) et Onet-le-Château (Seat, Skoda, Fiat, Alfa Romeo, Lancia)
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