Groupe Michel : l’art de relever les challenges
Impossible de rater les concessions Renault et Citroën de La Rochelle (17). Pour deux raisons. La première, c’est qu’elles sont situées sur l’un des axes les plus fréquentés de la ville maritime. La seconde, c’est que deux marques en concurrence frontale, implantées exactement au même endroit, ça n’est pas si courant. C’est même inédit. Bienvenue au siège du groupe Michel, vaisseau amiral arrimé depuis plus de 30 ans à quelques encablures du Vieux‑Port et qui trouve le tout début de son histoire un peu par hasard… en région parisienne.
Nous sommes en 1968. A Paris (75), la grogne étudiante fait rage. Jean‑Claude Michel, à peine âgé de 22 ans, est banquier. Parmi ses clients, il compte l’un des dirigeants de Peugeot, avenue de la Grande Armée. Séduit par la fibre commerciale et relationnelle du jeune homme, ledit client lui propose de rejoindre la marque au lion. "Mon père travaillera ainsi pour Peugeot France pendant 10 ans à différents postes : vendeur, chef d’équipe, chef des ventes, puis inspecteur commercial dans diverses régions. Fonction qui nous amenait à déménager régulièrement", raconte Stéphane Michel, à la direction du groupe éponyme depuis 2009.
En 1978, un chasseur de têtes missionné par Renault propose à Jean‑Claude Michel de reprendre la concession Renault des Pavillons‑sous‑Bois (93). Sur le papier, l’affaire, située sur la nationale 3, est belle : 1 000 VN au contrat et 40 salariés. En réalité, elle totalise 20 millions de francs de passif ! Mais Jean‑Claude Michel a le goût du risque et des challenges. A 32 ans, il met donc la main sur sa toute première concession pour le franc symbolique. Une affaire exsangue dont il fera un succès.
Des Pavillons‑sous‑bois à La Rochelle
Stéphane, lui, naît en 1972. Tandis que certains jouent au ballon, lui préfère déjà les voitures : "J’ai été bercé par l’odeur des huiles et quand mon père a racheté Les Pavillons‑sous‑Bois, je traînais sans cesse dans le garage. Pour moi, c’était Disney ! D’ailleurs, encore aujourd’hui, lorsque je sens l’odeur spécifique du cartonnage dans les magasins de pièces de rechange, cela me rappelle mon enfance. En réalité, j’ai très vite grandi avec l’idée que je m’épanouirais dans le milieu automobile." La suite lui donnera raison.
Au début des années 90, les constructeurs français ont une nouvelle stratégie : créer des plaques géographiques. Renault propose alors à certains concessionnaires de tenter l’aventure. Jean‑Claude et Stéphane, âgé de 19 ans, prennent la route en quête d’une concession qui leur permettrait, rapidement, de créer une plaque. Ils jettent leur dévolu sur le point de vente Châtaignier à La Rochelle.
"Au départ, l’idée était que je prenne la tête des Pavillons‑sous‑Bois pendant que mon père gérait la plaque de Charente‑Maritime", se souvient Stéphane Michel. Mais à l’époque, le tout jeune Stéphane est étudiant et pour Jean‑Claude, diriger une affaire à distance n’est pas simple. Il revend finalement sa toute première concession des Pavillons‑sous‑Bois pour se concentrer sur le développement de son business maritime.
Une fois ses études terminées, Stéphane, qui a toujours en tête de rejoindre son père, fait ses armes durant 3 ans chez Renault : 1 an comme junior marketing auprès de la direction régionale à Paris, puis 2 ans comme vendeur à la succursale de Pantin (93). En 1996, à 24 ans, il rejoint le showroom de La Rochelle pour y devenir chef des ventes.
Entre‑temps, Jean‑Claude Michel a déjà racheté, en Charente‑Maritime, les concessions de Royan, Saintes et Rochefort. Puis, en 1999, celle de Saint‑Jean‑d’Angély et en Charente, la concession Renault de Cognac et son annexe de Jarnac. Une ascension fulgurante pour le groupe qui, à l’époque, n’est encore que monomarque.
Chacun sa marque !
Il faudra à Stéphane le souhait de ne pas avoir l’étiquette de "fils de" pour que le groupe prenne encore davantage d’envergure. "J’avais envie de faire quelque chose par moi‑même, de me mettre en danger. À cette époque, Renault et Nissan venaient de fusionner et certains reprenaient des affaires Nissan qui étaient mal tenues. Mais en Charente‑Maritime, ce n’était pas le cas, les concessions Nissan étaient au top, donc je n’ai pas pu mettre la main dessus. C’est totalement par hasard que Citroën est venu taper à ma porte pour reprendre l’affaire de Rochefort. C’était un site qui perdait de l’argent et pourtant, le deal, c’est que 3 mois plus tard, je devais aussi racheter la concession de Saint‑Jean d’Angély. A 28 ans, en 2000, en quelques mois, je me retrouve donc à la tête de deux affaires exsangues !"
Ce goût du challenge, voire de la mission impossible, ne s’apprend ni dans les livres, ni sur les bancs de l’école. Stéphane l’observe depuis toujours chez son père. Il finit par devenir, d’ailleurs, une marque de fabrique. "En réalité, comme nous n’avions pas d’argent, nous n’avions pas vraiment d’autres choix que de nous porter acquéreurs d’affaires en perte de vitesse", s’amuse Stéphane Michel.
Au point que très vite, Citroën France lui propose de racheter Citroën La Rochelle, là encore en perdition, puis, 6 mois plus tard, les concessions de Saintes et de Royan. Bref, en 15 mois, la plaque Citroën Charente‑Maritime est créée. Chacun son bébé : Renault pour Jean‑Claude Michel, Citroën pour Stéphane Michel. Jusqu’à ce qu’en 2009, le père passe le flambeau au fils.
Groupe Michel Académie
"Mon père et moi avons décidé qu’il n’y aurait pas deux coqs dans la même basse‑cour. Donc j’ai pris, seul, la tête du groupe. Et puis, les mœurs et les esprits avaient évolué et la notion de groupe multimarque n’était plus une insulte." En revanche, apposer, l’une à côté de l’autre, deux marques en concurrence frontale a fait grincer quelques dents : "Certains disaient que l’on avait racheté Citroën grâce à l’argent gagné chez Renault. Moi, je dis surtout qu’on a gagné de l’argent grâce à nous ! C’est nous qui prenons les risques, qui hypothéquons nos maisons. Oui, nous avons un contrat avec un fournisseur, mais il ne faut pas oublier que nous sommes des chefs d’entreprise", assène Stéphane Michel. Qu’importe, il enfonce le clou en créant, dans la foulée, l’entité groupe Michel afin de donner "une notoriété et de la légitimité" à l’entreprise face aux fournisseurs, mais aussi de renforcer l’appartenance des collaborateurs.
"Je pense que pour réussir, il faut savoir bien s’entourer. Quand j’ai racheté mon premier site Citroën par exemple, j’ai eu la chance de tomber sur des cadres volontaires qui avaient juste besoin d’être mieux guidés. Cela m’a beaucoup aidé." Un précepte que Stéphane Michel a souhaité véritablement mettre en application pour ses concessions en créant, en 2016, sa propre école de vente "Groupe Michel Académie", en partenariat avec le GNFA et l’ANFA.
"Il s’agit d’un CQP pour les jeunes de 18 à 26 ans. Nous recevons tous ceux qui nous envoient des CV, nous en sélectionnons 15 et nous leur proposons une formation de 13 mois comprenant des modules qui nous sont propres, tels que la politique de financement, car nous faisons partie des plus gros groupes de France en termes de financement. A l’issue de la formation, ils sont assurés d’avoir un CDI chez nous et cela nous permet d’avoir un vivier de vendeurs qui connaissent déjà parfaitement nos entreprises", explique Stéphane Michel.
Distributeur de mobilités
Aujourd’hui, pourtant, la société, qui réalise près de 445 millions d’euros de chiffre d’affaires, compte 16 sites et a un projet d’acquisition pour 2023 de plusieurs affaires sur un territoire inexploré, est à un tournant. "Je sens bien dans l’attitude des jeunes qu’ils n’attachent plus autant d’importance à la voiture. Alors, je pense que pour le conseil, le financement, les reprises, il faudra toujours un intermédiaire, entre les chaînes de production et l’utilisateur final. Mais comme le disait Darwin, les espèces qui survivent sont celles qui s’adaptent. Il va donc falloir que nous nous adaptions et que l’on dépoussière un peu ce système qui travaille encore comme il y a 50 ans", estime Stéphane Michel.
Sa révolution à lui, il l’a déjà bien en tête. Son projet : réduire, peut‑être, la voilure sur des marques que le groupe distribue déjà et s’orienter vers des marques complémentaires avec des gammes différentes (sportives, premium, etc.). "L’idée serait de ne plus avoir sur les mêmes villes des marques ultra-concurrentes avec des clients similaires. Par exemple, nous allons bientôt distribuer sur notre territoire des marques chinoises 100 % électriques afin de compléter notre gamme, mais aussi de réduire nos frais de structure en répartissant plusieurs marques dans nos showrooms."
Pour Stéphane Michel, il est impossible d’envisager l’avenir sans un minimum de prises de risques. Encore. D’ailleurs, il se pourrait bien que demain, le groupe Michel ne soit plus simplement distributeur de véhicules neufs, mais distributeur de mobilités. De toutes les mobilités, de la trottinette électrique au VU, en passant par le scooter et la nanocar.
"Nous pourrions même aller encore plus loin en donnant à nos clients la possibilité de changer de type de mobilités en fonction de leurs besoins, en ne les limitant pas à une marque… c’est vraiment vers cela que j’ai envie d’aller." Stéphane Michel amorce donc le prochain chapitre de l’histoire familiale du groupe. Un chapitre qui s’écrira sans aucun doute avec les propres enfants de Stéphane Michel, un garçon et une fille, qui marchent déjà dans les pas de leur père et de leur grand‑père au sein de la société d’esthétique automobile et d’événementiel Amolline, créée il y a 12 ans par leur père. En attendant, Stéphane Michel continue de revendiquer son statut de garagiste. "Un garagiste heureux qui a simplement accumulé les garages."
Ambre Delage
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