Airbag Takata : l'été sous pression des concessionnaires
La période estivale n'a laissé aucun répit aux concessionnaires français. Et pour cause, les clients ont afflué par milliers dans les ateliers en vue de procéder au changement de leur airbag Takata. Une campagne de rappel de grande envergure a en effet été orchestrée par les constructeurs automobiles, à la demande pressante du gouvernement français.
Bien que le monde de l'automobile soit rompu à l'exercice, dans la pratique, le remplacement des coussins de sécurité s'est avéré relativement complexe pour les distributeurs. Si l’intervention à proprement parler ne prend que 15 à 45 minutes selon les véhicules, les professionnels regrettent le tempo. L'opération nationale a commencé au moment même où les automobilistes ont le plus besoin de leurs véhicules et où les ateliers tournent avec des effectifs réduits.
Chacun a tenté de s'en sortir avec les moyens du bord. "Nous avons dû former tout le personnel en après-vente, les mécaniciens, bien sûr, mais également les peintres, les carrossiers, les préparateurs afin que toutes les forces vives puissent être opérationnelles", explique un distributeur du Grand Est. L'un de ses confrères, qui travaille pour les groupes Stellantis et Volkswagen, a eu recours à des mécaniciens en intérim. "Des jeunes apprentis ont aussi contribué car l'intervention n'est pas d'une grande complexité", relate-t-il.
Cette campagne a généré de l'anxiété au sein du personnel. Pour les employés des ateliers, il a fallu gérer la nervosité des clients débarquant en concession. "Les communications ont créé de la peur et donc de la panique. Ceux qui étaient en première ligne n'avaient pas forcément coutume d'être au contact des clients, alors que ceux-ci pouvaient se montrer agressifs", déplore un concessionnaire de l'univers Volkswagen.
Une indemnisation qui ne couvre pas les coûts masqués
Justement, chez Volkswagen, une communication mal amenée a semé le trouble chez les propriétaires de véhicules. Et pour cause, certains d'entre eux ont été invités à venir à l'atelier en 2026 ou 2027. Ils se sont agacés de devoir autant attendre pour régler un problème de sécurité. Or, leur véhicule n'a été intégré au dispositif que par mesure de précaution ou par anticipation. Les éléments chimiques ne présentant un risque qu'à long terme.
C'est pourquoi les rappels sont réalisés par vague. Les constructeurs commencent par les modèles les plus âgés, donc les plus susceptibles de dysfonctionner. Ce qui peut entraîner des situations singulières. Un concessionnaire raconte : "Après avoir exécuté une révision pour une cliente, nous avons pris l'initiative de vérifier la présence du véhicule sur la liste. Il n'y était pas inscrit. Elle est repartie chez elle à plus d'une centaine de kilomètres et le lendemain, le système nous a informés que ce véhicule devait être rappelé. Il était délicat de lui faire comprendre que les mises à jour sont faites chaque jour".
Conscients de l'ampleur de la situation, les constructeurs soutiennent financièrement ces efforts. Les concessionnaires apprécient. Mais ils modèrent leur enthousiasme. "Rien à redire sur l’indemnisation pour l’intervention, mais elle ne prend pas en compte le temps que nous passons pour l’administratif. Nous perdons en fin de compte de l’argent sur cette opération", regrette un autre membre du top 100.
Fort heureusement, les ateliers ont rarement besoin de mettre à disposition un véhicule de courtoisie. Le gouvernement les y oblige, cependant la réalité s'avère plus simple à gérer. Comme il n'y a aucun problème d'approvisionnement à signaler, les voitures sont prises en charge dans un délai très court, voire immédiatement entre deux rendez-vous. Une solution de mobilité de remplacement n'est que très rarement réclamée, s'accordent à dire les concessionnaires consultés par Le Journal de l'Automobile.
Les frais liés à la mobilité prennent une autre forme. Les partenaires de Volkswagen en savent quelque chose. Ils ont désormais l’obligation de se rendre chez les propriétaires de véhicules rappelés qui ne veulent pas se déplacer en concession pour effectuer l’intervention. "Cela reste une minorité, mais nous avons rencontré quelques cas, indique un distributeur. Cela nous demande de l’organisation en interne, mais nous sommes bien indemnisés par le constructeur."
Un risque judiciaire pour les distributeurs
Bien s’organiser pour traiter les rappels est d’autant plus prioritaire que le couperet judiciaire est déjà tombé une première fois. Le 27 mars 2025, un distributeur ultramarin, Leal Réunion, a été mis en examen par un juge d’instruction. Le motif, contesté par le concessionnaire, étant la "violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence ayant involontairement causé une incapacité totale de travail supérieure à trois mois". Il s’agit là d’une réponse aux plaintes déposées pour des "soupçons de tromperie aggravée et de mise en danger de la vie d'autrui", précisait alors l’AFP.
Leal Réunion n’aurait pas procédé au rappel ou au retrait d’une BMW 318i équipée d’un airbag Takata. Le véhicule a été impliqué dans un accident de la circulation le 6 mai 2020 dans lequel l’automobiliste — qui a porté plainte – a été gravement blessé au visage. Pourtant, le distributeur réunionnais se justifie en assurant que la dangerosité n'était "pas clairement établie", et que "les gens n'étaient pas forcément d'accord pour bloquer leur véhicule" à l’époque des faits. Si, pour le moment, aucune décision n'a été prise à l’encontre de Leal Réunion, le risque de procédure judiciaire est bien présent pour les concessionnaires.
L’UFC-Que Choisir et l’État sur le dos des constructeurs
Mais la pression s’exerce en premier lieu sur les constructeurs, pointés du doigt par l’État et les associations. Pour mémoire, l’UFC-Que-Choisir s’en est pris à deux reprises au groupe Stellantis en déposant une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui et tromperie aggravée. L’association demande notamment aux constructeurs des indemnités pour les clients dont le véhicule est immobilisé.
De son côté, l’État somme les constructeurs de mettre en place des mesures visant à accompagner leurs clients sur toute la durée de la réparation du véhicule. Le gouvernement demande ainsi de trouver des solutions telles que le prêt d’un véhicule de remplacement, le remorquage ou la réparation à domicile. Depuis le 30 juillet 2025, un arrêté impose une amende financière pour les réparations qui durent plus d’une quinzaine de jours.
Devant un tel flot d'attaques, les distributeurs font preuve d'empathie vis-à-vis des industriels qu'ils représentent sur le terrain. Un important concessionnaire des réseaux Stellantis et Volkswagen monte au créneau pour les défendre. Il tient à rappeler "que les constructeurs assument le problème pour un équipementier qui a délibérément menti et qui a disparu depuis des années".
Les constructeurs en ordre de bataille
Face à l’ampleur de la situation, les différents constructeurs calibrent leur communication. Premier impacté, le groupe Stellantis a réagi assez vite sur la situation. Les réseaux du groupe se sont mobilisés et ont déjà traité 800 000 véhicules depuis un an. Selon le constructeur franco-italo-américain, 84 % des Citroën C3 et DS3 sont déjà passés en réparation. "Nous n'avons pas de problèmes de pièces, nos délais sont en moyenne inférieurs à 15 jours, mais en cas de besoin, nous avons environ 40 000 véhicules que nous savons mobiliser pour les problèmes de mobilité", nous assure Stellantis en réponse aux demandes du gouvernement.
Le groupe a d’ailleurs étendu "de manière proactive" l’action de stop-drive en incluant les C4, DS4 et DS5. Pour le constructeur, cela correspond à 231 400 véhicules, dont les propriétaires ont déjà reçu un nouveau courrier. Notons que cette décision s’étend à "l’ensemble des pays du monde". Le groupe Volkswagen, également concerné par la problématique des airbags Takata, a lancé une campagne de rappel "ciblée en fonction du niveau de risque" en Outre-mer et en France métropolitaine.
Le constructeur allemand explique que certains clients ayant reçu un courrier ne se sont pas rendus en atelier en dépit des relances. "En accord avec le Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM), nous avons mené, à compter du 14/02/2025, une nouvelle relance avec «stop drive»", affirme Volkswagen en réponse à nos sollicitations. En complément, le constructeur a mis à disposition une page d’information dédiée sur son site internet et un numéro vert.
Avec Christophe Bourgeois, Gredy Raffin et Jean-Baptiste Kapela
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