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Constructeurs

Vers une sélection naturelle dans l'industrie automobile ?

Publié le 9 juin 2020

Par Alice Thuot
5 min de lecture
Des vents contraires soufflent sur l'industrie automobile et cela ne sera pas sans conséquence. Selon le cabinet de conseil AlixPartner, baisse drastique des volumes et endettement exponentiel pourraient conduire à une sélection naturelle au sein des acteurs du secteur.
Pour AlixPartner, le paysage automobile pourrait rapidement évoluer dans les prochaines années.

 

Transition vers les véhicules électrifiés, autonomes et connectés, marchés d’envergure déclinants, amendes CO2 en Europe : les défis étaient déjà de taille pour les constructeurs, et par extension, pour les acteurs du secteur. La crise sanitaire est venue leur compliquer la tâche. Des vents contraires soufflent sur la demande mondiale : le plus évident d’entre eux, le confinement de la moitié des terriens bien sûr, mais aussi actuellement, une demande moindre des consommateurs dont le pouvoir d’achat a été plus ou moins entamé selon les pays.

 

Sans oublier, du côté de l’offre, les laborieux redémarrages des outils de production. Autant de facteurs qui amènent AlixPartner a estimer la baisse de volume de ventes de véhicules neufs de l’ordre de 44 millions d’unités sur la période 2020-2023, avec 2019 comme base. Soit l’équivalent de 1,15 milliard de dollars de chiffre d’affaires et 220 milliards de dollars de bénéfices en moins.

 

Un marché européen morose

 

Rien que cette année, les ventes des constructeurs mondiaux devraient reculer de 20 millions d’unités, soit l’équivalent du niveau du marché européen ante crise, pour approcher les 70 millions d’unités. Perspective peu réjouissante : les constructeurs européens ne devraient pas revenir au pic de 2019 avant 2025. Tous les marchés ne seraient en effet pas logés à la même enseigne.

 

La Chine, premier pays à fermer et à redémarrer ses usines, devrait se remettre le plus rapidement, avec une prévision de 22,5 millions de véhicules vendus en 2020 et une croissance lente et constante prévue jusqu'en 2025, soit environ +4,2 % sur les cinq prochaines années. Le rebond devrait être moins marqué aux États-Unis, où les volumes pourraient atteindre 13,6 millions d'unités, alors qu’ils ne devraient pas dépasser les 14,1 millions d’unités sur le continent européen, soit un repli 32 % et de 35 % pour la France.

 

Un niveau d’endettement inédit

 

Certes, le secteur automobile a déjà connu des infortunes telles que la crise financière de 2008. Mais il subsiste une différence majeur avec la situation actuelle : la mauvaise posture dans laquelle se trouvent déjà les constructeurs et les parties prenantes du secteur automobile. 72 milliards de dollars de nouvelles dettes ont été contractées rien qu’au cours de ces trois derniers mois, dont 52,4 milliards de dollars de nouvelles lignes de crédit, par les cinquantes plus grands constructeurs et fournisseurs mondiaux. Soit une hausse de 23 % par rapport à leur dette collective cumulée de 318 milliards de dollars fin 2019.

 

Or, en 2019 déjà, seule une poignée des 401 sous-traitants automobiles étudiés étaient considérés comme financièrement solides selon des calculs d’AlixPartners prenant en compte certains critères (ratio dette/capitaux propres, besoins en fonds de roulement et le ROCE). Ainsi, les entreprises génératrices de la moitié du chiffre d’affaires mondial de l’industrie étaient soit en situation instable (43 % du total), soit considérées en difficulté (7 %).

 

L'épée de Damoclès des amendes

 

De bien mauvais augure pour la suite, et dans le contexte où certains constructeurs présents en Europe devront s’acquitter d’amendes dans le cadre des objectifs CO2. En l’état actuel, les entreprises risquent de se voir infliger 10 à 14 milliards d'euros d’amendes en 2021 selon les calculs d’AlixPartner. Le cabinet a ainsi estimé qu’il existait actuellement un écart de 21 % entre les objectifs actuels de l'UE et les ambitions annoncées de l'industrie jusqu'à la fin de l'année.

 

Conclusion : les acteurs du secteur automobile n’auront pas d’autres choix que d’optimiser leur activité mais aussi de se fédérer pour suivre. "Les tendances observées l’an dernier devraient s’accentuer : la réduction du nombre de modèles et l’élargissement des plateformes, mais aussi les fusions-acquisitions et les coopérations accrues conduiront à des fermetures d’usines. Nous en avons dénombré 24 dans le monde l’an dernier", souligne Georgéric Legros, directeur et expert de l’industrie automobile chez AlixPartners France. Et les partenariats devraient aller bon train dans les domaines des véhicules connectés, autonomes, partagés, électrifiés. Ainsi, l’an dernier, environ 40 % (en valeur, soit 13 milliards de dollars) des fusions-acquisitions dans le secteur automobile concernaient ces domaines. Le nombre de partenariats dans ces domaines a bondi d’un tiers à 560, contre 423 en 2018.

 

Une évolution inexorable

 

La transformation du secteur devient pour Alixpartner, également inévitable. "L'industrie automobile est confrontée à un changement profond qui ne se résume pas au seul développement des voitures électriques. Les survivants de la crise, les plus forts au sens darwinien, auront de nouveaux modèles commerciaux, plus flexibles et souvent numériques, et des gammes allégées, adaptées aux besoins des clients, estime Laurent Petizon, directeur associé en charge du secteur automobile chez AlixPartners France. A court terme, cela signifie une transformation accélérée et une discipline en matière de coûts, les entreprises devant revenir aux points morts de 2007-2009 afin d'être en phase avec les nouvelles prévisions de ventes mondiales", conclut-il.

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