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Utilitaires électriques cherchent clients désespérément

Publié le 24 décembre 2025

Par Damien Chalon
11 min de lecture
Le marché des véhicules utilitaires électriques peine à prendre son envol, aussi bien en France qu’en Europe. Les clients privilégient encore et toujours le diesel, cantonnant l’électrique à moins de 10 % du mix. Insuffisant pour les constructeurs contraints par les objectifs CAFE. L’arrivée d’une nouvelle génération, exclusivement électrique, pourrait changer la donne.
Véhicules utilitaires électriques
La commercialisation de la nouvelle génération du Renault Trafic E-Tech Electric n’est pas prévue avant fin 2026. ©Renault

L'état d’urgence est dé­crété sur le marché des véhicules utilitaires lé­gers. Il semble d’ores et déjà acquis que la tra­jectoire d’électrification imposée aux constructeurs pour la période 2025‑2027 ne sera pas respectée. Faute de volumes électriques suffisants, de clients également et sans doute de produits qui leur conviennent.

 

"Alors que les utili­taires électriques à batterie ont af­fiché une part de marché de 9,5 % au premier semestre 2025, cela reste très en deçà des 15 à 20 % nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de CO2 visé en 2025 et encore plus loin de 50 % requis d’ici 2030", martelait cet automne l’ACEA, en charge de défendre les intérêts des constructeurs euro­péens.

 

Des chiffres plus récents té­moignent d’une légère amélioration de la situation, puisque les VUL électriques étaient à 10,5 % de part de marché à fin septembre. Cela reste insuffisant évidemment. En France, terre d’utilitaires et premier marché européen, le bilan dressé à fin octobre n’est guère plus relui­sant. Sur les 296 175 utilitaires de moins de 3,5 t livrés, seulement 27 102 sont électriques. Soit une pénétration de 9,1 %.

 

Objectifs inatteignables

 

Directrice de Stellantis Pro One, Anne Abboud dresse un constat si­milaire, sans appel : "Nous sommes aujourd’hui face à un marché eu­ropéen des utilitaires légers où le mix électrique peine à atteindre 10 %. Il faudrait que sur les années 2025‑2026‑2027, nous arrivions à une moyenne de 19 %. Or, en partant de 10 % cette année, vous imaginez bien la courbe exponentielle qu’il faudra atteindre sur les deux pro­chaines années pour réaliser cet ob­jectif, c’est totalement infaisable."

 

 

La dirigeante aime à prendre en exemple la Norvège pour illustrer la difficile ascension des utilitaires électriques. "Les voitures parti­culières électriques y représentent désormais pratiquement 100 % du marché VP (97,7 % à fin septembre, NDLR), tandis que les utilitaires électriques sont à seulement 45 % du marché VU (45,4 % à fin septembre, NDLR)", constate‑t‑elle.

 

Pour Anne Abboud, "cela montre bien le déca­lage qui subsiste, à la fois dans les usages et dans le TCO, entre les uti­litaires thermiques et électriques". Selon elle, trois symptômes seraient à la base de la situation actuelle : l’ar­rêt des subventions un peu partout en Europe, le manque d’infrastruc­tures de recharge rapide et la hausse du prix de l’électricité face à un prix du diesel qui demeure attractif.

 

"Si je détenais une entreprise gérée en bon père de famille, je continue­rais d’opter pour le diesel, qui reste moins‑disant à l’usage qu’un élec­trique", tranche la directrice de Stellantis Pro One.

 

Comment sortir de ce bourbier ? L’ACEA a formulé une série de propositions sans avoir l’assurance qu’elles seront reprises, même par­tiellement, par la Commission euro­péenne. L’heure de vérité est prévue le 10 décembre avec la présentation de la proposition de révision des normes CO2.

 

Stellantis est armé dans l’utilitaire électrique mais doit composer notamment avec un grand fourgon vieillissant. ©Stellantis

 

"Nous espérons que la note de la Commission sera suffisam­ment explicite pour en tirer des ac­tions concrètes et tangibles et je tiens à souligner que l’idée n’est pas de re­mettre en question la transition éner­gétique sur les VUL, mais de la jalon­ner d’une façon différente", prévient Anne Abboud, qui milite notam­ment en faveur d’un lissage des ob­jectifs sur cinq ans.

 

Stellantis verrait également d’un bon œil l’extension à des énergies alternatives, comme les huiles végétales hydrotraitées (HVO). Le constructeur travaille en ce sens avec son projet HVO Auro­ra afin de prouver qu’il est possible de rouler en conditions réelles avec ce carburant dont le principal béné­fice est la réduction immédiate des émissions de CO2, sans la moindre modification technique sur les vé­hicules.

 

Tous les utilitaires légers diesel actuellement commercialisés par le groupe sont déjà compatibles. "HVO Aurora démontre qu’il est possible de réduire dès à présent les émissions du puits à la roue grâce à des solutions compatibles avec les véhicules que nos clients utilisent déjà. Nous restons déterminés à pro­poser dès maintenant des solutions concrètes et évolutives pour aider les entreprises à réduire leurs émissions sur l’ensemble du cycle", déclare Luca Marengo, directeur produit et innovation de Stellantis Pro One.

 

Néanmoins, que les constructeurs obtiennent gain de cause sur tout ou partie de leurs demandes, cela ne les exonérera pas d’investir dans l’amélioration et la modernisation de leurs modèles électriques. Or, du côté de Stellantis, il ne semble rien y avoir de concret à l’horizon dans ce domaine.

 

Le groupe dirigé par An­tonio Filosa, qui a récemment aban­donné ses modèles à hydrogène, est à la tête d’une gamme vieillissante. Son grand fourgon a soufflé sa ving­tième bougie, une éternité dans le monde automobile et sa version électrique, pourtant homologuée à 400 km d’autonomie, ne suscite pas un grand enthousiasme commer­cial. Anne Abboud assure toutefois que le groupe a des projets, que "des choses vont arriver".

 

Nouvelle génération électrique chez Renault

 

En attendant, la dynamique produits penche clai­rement du côté de son grand rival Renault. Le nouveau Master, après des débuts laborieux, arrive à maturité et peut miser sur une déclinaison électrique dont l’auto­nomie maximale s’élève à 460 km.

 

Jan Ptacek, nouveau vice‑président de la division véhicules utilitaires du groupe Renault, dit à propos de cette dernière qu’elle "rencontre un vif succès". Il parle sans doute de commandes, puisqu’au niveau des livraisons, le Master électrique ne représente à ce jour que 5,9 % du mix en France.

 

Le dirigeant, qui a dans son péri­mètre la gestion et l’optimisation de la performance CAFE en Europe pour les VUL, rejoint son homo­logue de Stellantis pour dire que les "objectifs sont très difficilement atteignables dans l’état actuel de l’électrification du marché". Que le Kangoo E‑Tech soit le premier VUL électrique en France à fin octobre avec 4 400 immatriculations ne suffit pas. C’est pourquoi le groupe a été à la manœuvre dans la création de Flexis, avec Volvo Group et CMA CGM.

 

Cette coentreprise, présidée par Jan Ptacek et dirigée par Philippe Divry, a développé trois modèles électriques nouvelle génération, que Renault intégrera progressivement à sa gamme. Le premier d’entre eux sera le nouveau Trafic E‑Tech Electric, dévoilé dans sa configuration finale à l’occasion du salon Solutrans. Sa commerciali­sation est prévue fin 2026.

 

Au niveau technique, c’est une petite révolution puisque ces modèles dis­poseront de la technologie 800 V d’Ampere, gage d’une recharge ra­pide et d’une bonne autonomie. Ain­si, sur une borne rapide en courant continu, la recharge de 15 à 80 % ne prendra qu’une vingtaine de mi­nutes, de quoi récupérer jusqu’à 260 km d’autonomie.

 

Le Trafic sera proposé avec deux types de batteries. Les clients pourront, tout d’abord, opter, dès le lancement fin 2026, pour une chimie NMC (nickel‑manganèse‑cobalt) offrant 450 km d’endu­rance. L’autre solution, qui arrivera plus tard, sera une batterie de chimie LFP (lithium‑fer‑phosphate), plus compétitive en prix mais procurant un rayon d’action plus faible, d’envi­ron 350 km.

 

 

Renault insiste sur le fait que toutes les cellules seront pro­duites en Europe et que les batteries seront assemblées en France, dans l’usine de Sandouville (76). Là même où sera fabriqué le nouveau Trafic électrique. Précisons d’ailleurs que le Trafic thermique actuel poursuivra sa carrière en parallèle.

 

Le fourgon sera décliné en deux lon­gueurs, L1 de 4,87 m et L2 de 5,27 m, débouchant respectivement sur des volumes de chargement de 5,1 et 5,8 m3 et sur une charge utile de 1,25 t. La hauteur est dans les deux cas de 1,90 m, ce qui permettra au Trafic d’accéder à tous les parkings souterrains. Une seule motorisation de 204 ch (345 Nm de couple), si­tuée à l’arrière, sera au programme et ce, pour l’ensemble des versions. Elle aussi sera assemblée en Europe. Assez de puissance, selon Renault, pour doter le Trafic d’une capacité de remorquage de 2 t.

 

Une autre parti­cularité du Trafic E‑Tech Electric est qu’il sera le premier du genre à être conçu autour du logiciel (software defined vehicle ou SDV), là aussi grâce à Ampere. Le logiciel occupera une place centrale dans le véhicule qui n’a plus une palanquée de cal­culateurs mais un seul central qua­lifié de "surpuissant" par Renault.

 

Concrètement, cela se traduira par des mises à jour à distance tout au long de la vie du véhicule, par l’ajout de fonctions à la demande ou encore par l’intégration de l’écosystème des entreprises directement dans le système multimédia du véhicule.

 

Viendra s’ajouter la maintenance prédictive, plus précise qu’elle ne l’est actuellement. De toute évidence, le nouveau Trafic E‑Tech Electric fixera de nouveaux standards dans sa catégorie, à la fois en fourgon, mais aussi dans ses versions châs­sis cabine, plancher cabine, benne, plateau ou encore livraison urbaine (la fameuse Estafette) prévues dans un second temps. Ajoutons que la même gamme sera commercialisée par Flexis en son nom propre et par Renault Trucks.

 

Kia mise sur le tout-électrique

 

L’autre attraction à Solutrans se trou­vait chez un nouveau venu sur le marché des utilitaires légers. En l’oc­currence Kia. Le constructeur sud‑co­réen prépare depuis deux ans le ter­rain en vue du grand jour commercial du PV5. Le VUL 100 % électrique, à cheval entre les segments C et D, pour faire simple entre un Kangoo et un Trafic, a été présenté au réseau lors de l’événement lyonnais et prend dès à présent le chemin des concessions, dont une soixantaine sont labellisées PBV Centers pour répondre aux exi­gences des clients VU.

 

Le PV5 part sur de bonnes bases puisqu’il a été élu, à Solutrans, International Van Of The Year, la récompense euro­péenne la plus prestigieuse. "Je pense que nous arrivons avec le bon produit au bon moment", affirme Marc He­drich, directeur de Kia Europe, qui se félicite d’ailleurs d’avoir pris plus de 2 000 commandes, avant même que le véhicule n’ait été visible dans le réseau européen.

 

Kia commence son offensive électrique avec le PV5, en attendant les PV7 et PV9. ©Kia

 

À défaut de livrer ses ambitions chiffrées, il annonce viser "de gros volumes, pas des vo­lumes anecdotiques" et souligne que Kia s’est donné les moyens de réussir, avec des "investissements colossaux". Une usine flambant neuve d’une ca­pacité de 210 000 véhicules par an a été construite en Corée du Sud. Y seront assemblés le PV5, puis le PV7 et, enfin, le PV9. Tous électriques.

 

Ainsi, d’ici la fin de la décennie, Kia couvrira l’ensemble des segments du marché. Marc Hedrich estime que 40 % des ventes de VUL concerneront des modèles électriques à cet horizon. Le choix du tout électrique exonère Kia des contraintes liées aux objec­tifs CAFE.

 

Le patron de Kia Europe est de ce fait très à l’aise pour ap­peler au maintien des objectifs de 2035, y compris pour les VUL. Il se montre d’ailleurs critique à l’égard des constructeurs qui demandent de changer la trajectoire. "Je ne suis pas obligé d’être solidaire", pré­vient‑il. Et de poursuivre : "C’est un peu facile de dire aujourd’hui il n’y a pas les clients pour les utilitaires électriques, mais l’offre de produits est‑elle à la hauteur ? Chez Kia, nous arrivons avec un véhicule innovant, centré sur les demandes des clients."

 

 

Les atouts du PV5 sont à la fois son autonomie (416 km avec la batte­rie de 71,2 kWh), ses nombreuses variantes (fourgons L1H1, L2H1 et L2H2, châssis cabine, transport de personnes…), sa puissance de recharge (jusqu’à 150 kW), ses ca­pacités utiles et sa connectivité. Le tout à partir du même prix de dé­part qu’un Kangoo E‑Tech, à savoir 33 500 euros HT.

 

De toute évidence, l’effervescence va gagner l’univers des VUL électriques dans les prochains mois, avec des produits plus aboutis et sans com­promis puisque conçus dès l’origine pour fonctionner exclusivement sur batterie. Renault, Flexis, Re­nault Trucks, Kia ou encore Merce­des‑Benz, avec son architecture Van. EA, seront en première ligne. Nul doute que la concurrence (Stellantis, Ford…) sera attentive à l’accueil que la clientèle réservera à cette nouvelle génération électrique.

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