Utilitaires électriques cherchent clients désespérément

L'état d’urgence est décrété sur le marché des véhicules utilitaires légers. Il semble d’ores et déjà acquis que la trajectoire d’électrification imposée aux constructeurs pour la période 2025‑2027 ne sera pas respectée. Faute de volumes électriques suffisants, de clients également et sans doute de produits qui leur conviennent.
"Alors que les utilitaires électriques à batterie ont affiché une part de marché de 9,5 % au premier semestre 2025, cela reste très en deçà des 15 à 20 % nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de CO2 visé en 2025 et encore plus loin de 50 % requis d’ici 2030", martelait cet automne l’ACEA, en charge de défendre les intérêts des constructeurs européens.
Des chiffres plus récents témoignent d’une légère amélioration de la situation, puisque les VUL électriques étaient à 10,5 % de part de marché à fin septembre. Cela reste insuffisant évidemment. En France, terre d’utilitaires et premier marché européen, le bilan dressé à fin octobre n’est guère plus reluisant. Sur les 296 175 utilitaires de moins de 3,5 t livrés, seulement 27 102 sont électriques. Soit une pénétration de 9,1 %.
Objectifs inatteignables
Directrice de Stellantis Pro One, Anne Abboud dresse un constat similaire, sans appel : "Nous sommes aujourd’hui face à un marché européen des utilitaires légers où le mix électrique peine à atteindre 10 %. Il faudrait que sur les années 2025‑2026‑2027, nous arrivions à une moyenne de 19 %. Or, en partant de 10 % cette année, vous imaginez bien la courbe exponentielle qu’il faudra atteindre sur les deux prochaines années pour réaliser cet objectif, c’est totalement infaisable."
La dirigeante aime à prendre en exemple la Norvège pour illustrer la difficile ascension des utilitaires électriques. "Les voitures particulières électriques y représentent désormais pratiquement 100 % du marché VP (97,7 % à fin septembre, NDLR), tandis que les utilitaires électriques sont à seulement 45 % du marché VU (45,4 % à fin septembre, NDLR)", constate‑t‑elle.
Pour Anne Abboud, "cela montre bien le décalage qui subsiste, à la fois dans les usages et dans le TCO, entre les utilitaires thermiques et électriques". Selon elle, trois symptômes seraient à la base de la situation actuelle : l’arrêt des subventions un peu partout en Europe, le manque d’infrastructures de recharge rapide et la hausse du prix de l’électricité face à un prix du diesel qui demeure attractif.
"Si je détenais une entreprise gérée en bon père de famille, je continuerais d’opter pour le diesel, qui reste moins‑disant à l’usage qu’un électrique", tranche la directrice de Stellantis Pro One.
Comment sortir de ce bourbier ? L’ACEA a formulé une série de propositions sans avoir l’assurance qu’elles seront reprises, même partiellement, par la Commission européenne. L’heure de vérité est prévue le 10 décembre avec la présentation de la proposition de révision des normes CO2.

Stellantis est armé dans l’utilitaire électrique mais doit composer notamment avec un grand fourgon vieillissant. ©Stellantis
"Nous espérons que la note de la Commission sera suffisamment explicite pour en tirer des actions concrètes et tangibles et je tiens à souligner que l’idée n’est pas de remettre en question la transition énergétique sur les VUL, mais de la jalonner d’une façon différente", prévient Anne Abboud, qui milite notamment en faveur d’un lissage des objectifs sur cinq ans.
Stellantis verrait également d’un bon œil l’extension à des énergies alternatives, comme les huiles végétales hydrotraitées (HVO). Le constructeur travaille en ce sens avec son projet HVO Aurora afin de prouver qu’il est possible de rouler en conditions réelles avec ce carburant dont le principal bénéfice est la réduction immédiate des émissions de CO2, sans la moindre modification technique sur les véhicules.
Tous les utilitaires légers diesel actuellement commercialisés par le groupe sont déjà compatibles. "HVO Aurora démontre qu’il est possible de réduire dès à présent les émissions du puits à la roue grâce à des solutions compatibles avec les véhicules que nos clients utilisent déjà. Nous restons déterminés à proposer dès maintenant des solutions concrètes et évolutives pour aider les entreprises à réduire leurs émissions sur l’ensemble du cycle", déclare Luca Marengo, directeur produit et innovation de Stellantis Pro One.
Néanmoins, que les constructeurs obtiennent gain de cause sur tout ou partie de leurs demandes, cela ne les exonérera pas d’investir dans l’amélioration et la modernisation de leurs modèles électriques. Or, du côté de Stellantis, il ne semble rien y avoir de concret à l’horizon dans ce domaine.
Le groupe dirigé par Antonio Filosa, qui a récemment abandonné ses modèles à hydrogène, est à la tête d’une gamme vieillissante. Son grand fourgon a soufflé sa vingtième bougie, une éternité dans le monde automobile et sa version électrique, pourtant homologuée à 400 km d’autonomie, ne suscite pas un grand enthousiasme commercial. Anne Abboud assure toutefois que le groupe a des projets, que "des choses vont arriver".
Nouvelle génération électrique chez Renault
En attendant, la dynamique produits penche clairement du côté de son grand rival Renault. Le nouveau Master, après des débuts laborieux, arrive à maturité et peut miser sur une déclinaison électrique dont l’autonomie maximale s’élève à 460 km.
Jan Ptacek, nouveau vice‑président de la division véhicules utilitaires du groupe Renault, dit à propos de cette dernière qu’elle "rencontre un vif succès". Il parle sans doute de commandes, puisqu’au niveau des livraisons, le Master électrique ne représente à ce jour que 5,9 % du mix en France.
Le dirigeant, qui a dans son périmètre la gestion et l’optimisation de la performance CAFE en Europe pour les VUL, rejoint son homologue de Stellantis pour dire que les "objectifs sont très difficilement atteignables dans l’état actuel de l’électrification du marché". Que le Kangoo E‑Tech soit le premier VUL électrique en France à fin octobre avec 4 400 immatriculations ne suffit pas. C’est pourquoi le groupe a été à la manœuvre dans la création de Flexis, avec Volvo Group et CMA CGM.
Cette coentreprise, présidée par Jan Ptacek et dirigée par Philippe Divry, a développé trois modèles électriques nouvelle génération, que Renault intégrera progressivement à sa gamme. Le premier d’entre eux sera le nouveau Trafic E‑Tech Electric, dévoilé dans sa configuration finale à l’occasion du salon Solutrans. Sa commercialisation est prévue fin 2026.
Au niveau technique, c’est une petite révolution puisque ces modèles disposeront de la technologie 800 V d’Ampere, gage d’une recharge rapide et d’une bonne autonomie. Ainsi, sur une borne rapide en courant continu, la recharge de 15 à 80 % ne prendra qu’une vingtaine de minutes, de quoi récupérer jusqu’à 260 km d’autonomie.
Le Trafic sera proposé avec deux types de batteries. Les clients pourront, tout d’abord, opter, dès le lancement fin 2026, pour une chimie NMC (nickel‑manganèse‑cobalt) offrant 450 km d’endurance. L’autre solution, qui arrivera plus tard, sera une batterie de chimie LFP (lithium‑fer‑phosphate), plus compétitive en prix mais procurant un rayon d’action plus faible, d’environ 350 km.
Renault insiste sur le fait que toutes les cellules seront produites en Europe et que les batteries seront assemblées en France, dans l’usine de Sandouville (76). Là même où sera fabriqué le nouveau Trafic électrique. Précisons d’ailleurs que le Trafic thermique actuel poursuivra sa carrière en parallèle.
Le fourgon sera décliné en deux longueurs, L1 de 4,87 m et L2 de 5,27 m, débouchant respectivement sur des volumes de chargement de 5,1 et 5,8 m3 et sur une charge utile de 1,25 t. La hauteur est dans les deux cas de 1,90 m, ce qui permettra au Trafic d’accéder à tous les parkings souterrains. Une seule motorisation de 204 ch (345 Nm de couple), située à l’arrière, sera au programme et ce, pour l’ensemble des versions. Elle aussi sera assemblée en Europe. Assez de puissance, selon Renault, pour doter le Trafic d’une capacité de remorquage de 2 t.
Une autre particularité du Trafic E‑Tech Electric est qu’il sera le premier du genre à être conçu autour du logiciel (software defined vehicle ou SDV), là aussi grâce à Ampere. Le logiciel occupera une place centrale dans le véhicule qui n’a plus une palanquée de calculateurs mais un seul central qualifié de "surpuissant" par Renault.
Concrètement, cela se traduira par des mises à jour à distance tout au long de la vie du véhicule, par l’ajout de fonctions à la demande ou encore par l’intégration de l’écosystème des entreprises directement dans le système multimédia du véhicule.
Viendra s’ajouter la maintenance prédictive, plus précise qu’elle ne l’est actuellement. De toute évidence, le nouveau Trafic E‑Tech Electric fixera de nouveaux standards dans sa catégorie, à la fois en fourgon, mais aussi dans ses versions châssis cabine, plancher cabine, benne, plateau ou encore livraison urbaine (la fameuse Estafette) prévues dans un second temps. Ajoutons que la même gamme sera commercialisée par Flexis en son nom propre et par Renault Trucks.
Kia mise sur le tout-électrique
L’autre attraction à Solutrans se trouvait chez un nouveau venu sur le marché des utilitaires légers. En l’occurrence Kia. Le constructeur sud‑coréen prépare depuis deux ans le terrain en vue du grand jour commercial du PV5. Le VUL 100 % électrique, à cheval entre les segments C et D, pour faire simple entre un Kangoo et un Trafic, a été présenté au réseau lors de l’événement lyonnais et prend dès à présent le chemin des concessions, dont une soixantaine sont labellisées PBV Centers pour répondre aux exigences des clients VU.
Le PV5 part sur de bonnes bases puisqu’il a été élu, à Solutrans, International Van Of The Year, la récompense européenne la plus prestigieuse. "Je pense que nous arrivons avec le bon produit au bon moment", affirme Marc Hedrich, directeur de Kia Europe, qui se félicite d’ailleurs d’avoir pris plus de 2 000 commandes, avant même que le véhicule n’ait été visible dans le réseau européen.

Kia commence son offensive électrique avec le PV5, en attendant les PV7 et PV9. ©Kia
À défaut de livrer ses ambitions chiffrées, il annonce viser "de gros volumes, pas des volumes anecdotiques" et souligne que Kia s’est donné les moyens de réussir, avec des "investissements colossaux". Une usine flambant neuve d’une capacité de 210 000 véhicules par an a été construite en Corée du Sud. Y seront assemblés le PV5, puis le PV7 et, enfin, le PV9. Tous électriques.
Ainsi, d’ici la fin de la décennie, Kia couvrira l’ensemble des segments du marché. Marc Hedrich estime que 40 % des ventes de VUL concerneront des modèles électriques à cet horizon. Le choix du tout électrique exonère Kia des contraintes liées aux objectifs CAFE.
Le patron de Kia Europe est de ce fait très à l’aise pour appeler au maintien des objectifs de 2035, y compris pour les VUL. Il se montre d’ailleurs critique à l’égard des constructeurs qui demandent de changer la trajectoire. "Je ne suis pas obligé d’être solidaire", prévient‑il. Et de poursuivre : "C’est un peu facile de dire aujourd’hui il n’y a pas les clients pour les utilitaires électriques, mais l’offre de produits est‑elle à la hauteur ? Chez Kia, nous arrivons avec un véhicule innovant, centré sur les demandes des clients."
Les atouts du PV5 sont à la fois son autonomie (416 km avec la batterie de 71,2 kWh), ses nombreuses variantes (fourgons L1H1, L2H1 et L2H2, châssis cabine, transport de personnes…), sa puissance de recharge (jusqu’à 150 kW), ses capacités utiles et sa connectivité. Le tout à partir du même prix de départ qu’un Kangoo E‑Tech, à savoir 33 500 euros HT.
De toute évidence, l’effervescence va gagner l’univers des VUL électriques dans les prochains mois, avec des produits plus aboutis et sans compromis puisque conçus dès l’origine pour fonctionner exclusivement sur batterie. Renault, Flexis, Renault Trucks, Kia ou encore Mercedes‑Benz, avec son architecture Van. EA, seront en première ligne. Nul doute que la concurrence (Stellantis, Ford…) sera attentive à l’accueil que la clientèle réservera à cette nouvelle génération électrique.
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