“Un petit SUV ? C’est effectivement à l’étude…”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Même si Toyota parvient à tirer son épingle du jeu en France, quel regard portez-vous sur l’inquiétante situation du marché automobile européen ?
Michel Gardel. En France, nous progressons effectivement sur un marché en baisse. En Europe, c’était le cas l’an passé où nous avions enregistré un volume de 838 000 unités contre 822 000 en 2011. Bref, après une période difficile à bien des égards, nous sommes donc dans une bonne dynamique, surtout que nous avons aussi réussi à améliorer nos résultats financiers. L’an passé, nous avons retrouvé un cash-flow positif et cette année, nous sommes profitables. En revanche, d’un point de vue général, la situation est très mauvaise en Europe… Cependant, nous tablons sur une reprise progressive au dernier trimestre ou au premier trimestre 2014. Cette reprise ne concernera pas tous les marchés, les pays du sud restant plus affectés.
JA. Peut-on en déduire que vous êtes donc plus optimiste que certains de vos homologues qui n’envisagent pas la moindre reprise avant 2016 ?
MG. Entendons-nous bien, je ne dis pas que nous allons subitement retrouver des niveaux d’avant-crise et j’évoque bien une reprise progressive. Si la situation économique mondiale continue de s’améliorer, notamment aux Etats-Unis, on devrait sentir des frémissements en Europe. Reste naturellement le problème du chômage, qui mine la confiance et je pense d’ailleurs que la relance passera cette fois plus par l’investissement que par la consommation.
JA. Riche en nouveautés, votre plan “produits” tombe à point nommé pour faire face à la crise en Europe, n’est-ce pas ?
MG. Il est vrai que nous avons l’opportunité d’exploiter des lancements significatifs, avec l’Auris Touring Sport, le RAV-4 ou encore la Corolla pour les pays de l’est, la Turquie ou Israël. En fait, nous avons complètement renouvelé notre segment C, un segment qui constitue le centre de gravité des marques en Europe, car il réunit volumes et marges. De plus, nous bénéficions de la montée en puissance du marché des véhicules hybrides, comme en témoigne notre progression de plus de 80 % au 1er trimestre 2013. Au-delà de la gamme Prius, la Yaris hybride remplit ses objectifs, au même titre que l’Auris hybride d’ailleurs, puisque cette dernière représente presque 40 % des ventes du modèle.
JA. Même si le RAV-4 3 portes n’a jamais représenté de gros volumes en Europe, n’est-ce pas actuellement un handicap de ne pas disposer de petits SUV ?
MG. Le RAV-4 3 portes fonctionnait très bien en France, mais nous étions une exception. Dès lors, l’arbitrage qui a été fait était compréhensible, même si j’avais tenté de l’infléchir lors de mes présentations au Japon. Pour revenir à votre question en tant que telle, je ne peux pas lever le voile sur notre plan “produits”, mais c’est effectivement une piste à l’étude. Nous voyons bien qu’il y a une demande pour ce type de véhicules.
JA. Par ailleurs, le groupe avait pour ambition de faire prendre à Lexus une nouvelle dimension en Europe. Or, au-delà de la concurrence allemande, le contexte économique ne s’y prête guère… Dès lors, est-ce toujours une priorité ?
MG. Tout à fait et notre président, Akio Toyoda l’a d’ailleurs encore rappelé récemment à New York. Des moyens significatifs ont été alloués pour le développement de Lexus. La volonté est là, dans le monde entier comme en Europe. Cela va se traduire par un dynamisme “produits” et commercial affirmé !
JA. Pascal Ruch évoquait récemment dans nos colonnes un redimensionnement à la baisse de la taille des distributeurs, afin de mieux s’adapter aux difficultés du marché : s’agit-il d’un programme européen ou non ?
MG. Il n’y a pas à proprement parler de programme européen, chaque région, puis chaque pays, place le curseur où il veut selon sa situation spécifique. En revanche, ce qui est certain, c’est que tout le monde travaille sur la réduction des coûts. Pour réussir dans l’automobile, il n’y a pas de secret et trois éléments majeurs ne sauraient être obérés : l’innovation, la réduction des coûts et la satisfaction holistique des clients. Il s’agit de faire toujours plus, de créer de la valeur, sans pour autant dépenser toujours plus. Et le maillon de la distribution est concerné par cet enjeu.
JA. Dans ce cadre de réduction des coûts, le groupe va précisément lancer trois nouvelles plates-formes modulaires, sur le modèle de ce qu’a réalisé Volkswagen avec MQB, en 2015. Quels bénéfices en attendez-vous ?
MG. Considérant qu’il y a de plus en plus de niches et de silhouettes, nous avons besoin de plates-formes communes pour répondre à la demande de diversité et de personnalisation des clients. Ces plates-formes permettent de traiter cette complexité tout en réduisant les coûts. C’est le sens de l’histoire de l’industrie automobile, au même titre que les alliances entre constructeurs qui permettent de créer de la valeur et d’innover tout en partageant les coûts.
JA. Comme chez Volkswagen, ces plates-formes vous permettront-elles aussi d’alterner les modes de propulsion à votre gré ?
MG. C’est effectivement l’une des ambitions du projet : pouvoir mettre plusieurs chaînes de motorisation et de traction sur ces plates-formes. Ce que nous souhaitons c’est à la fois améliorer le design et la qualité de nos véhicules tout en réduisant nos coûts. Nous n’avons pas tout à fait choisi le même système que Volkswagen, mais je ne peux pas en dire plus…
JA. Au chapitre des nouvelles énergies, on constate que le marché du 100 % VE peine à prendre son envol : comment analysez-vous cette situation à l’aune de votre riche expérience sur l’hybride dont le lancement, ne l’oublions pas, ne fut pas une fulgurance ?
MG. Pour l’hybride, nous avons effectivement mis dix ans pour développer significativement ce nouveau marché. Bref, il ne faut donc jamais dire jamais. La difficulté réside dans l’équation suivante : la bonne voiture au bon endroit au bon moment. Actuellement, la bonne voiture est disponible, chez Toyota aussi d’ailleurs, et le bon endroit est tout désigné avec les villes. Par contre, ce n’est pas encore tout à fait le bon moment. Nous n’allons donc pas chercher à forcer le marché. Mais nous sommes prêts, notamment pour le marché de la ville, avec les probables évolutions législatives qui vont survenir. Nous pensons le véhicule électrique comme un petit véhicule urbain, souvent un second véhicule et un véhicule pour les flottes, accomplissant quotidiennement le même trajet. En effet, la limitation de l’autonomie et le temps de recharge très long n’en font pas un véhicule polyvalent.
JA. Vous avez récemment présenté Me.We, un concept-car débordant d’empathie : n’est-ce pas, finalement, le véhicule “trendy”, le véhicule qui ouvre les bras, qui manque à Toyota, dont la gamme est un brin dénuée d’aspérités ?
MG. Me.We n’est pas un concept car traditionnel qui préfigure un véhicule que nous développerons, c’est une voie de recherche sans contrainte. C’est un concentré d’intelligence et d’innovations, de surcroît sympathique, comme vous le soulignez. Avec ce Me We, nous nous adressons aussi différemment aux consommateurs, nous dépassons l’automobile et leur proposons quelque chose qu’ils ne s’attendent pas spontanément à trouver chez nous. En outre, il s’inscrit dans le développement durable, ce qui renvoie aussi à l’ADN du groupe. C’est un enjeu d’avenir, tous ceux qui enterrent actuellement l’écologie font une erreur, car cette question va reprendre toute l’ampleur qu’elle mérite dès que l’étau de la crise va se desserrer un peu. Me.We questionne ainsi le développement durable pour tous, le développement durable abordable, thème qui nous est cher chez Toyota.
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