Un cours magistral de Carlos Ghosn
Etre un esprit brillant n’est pas sans écueil et dès son préambule, Carlos Ghosn se défend de toute prétention messianique : “Je vais vous parler des tendances du futur de l’automobile, mais il faut les entendre “sous réserve de”, car ce sont des probabilités, certes très fortes à mes yeux, mais pas des certitudes comme peuvent en avoir des astrologues sur le passage d’une planète à tel point et telle date”. Le patron de l’Alliance chausse derechef des lunettes mondiales pour poser son propos et insister sur l’importance de la mobilité, en soulignant qu’elle se mesure mieux dans les pays émergents où elle conditionne notamment l’emploi et la scolarisation des enfants. La demande de mobilité est donc inéluctable, même si cette promesse a un revers à la médaille non négligeable, à savoir le cocktail toxique “mortalité routière-dépendance au pétrole-pollution-congestion”.
Une quadrature
Dès lors, Carlos Ghosn estime que le véhicule de demain devra répondre à quatre impératifs : la sécurité, la réduction de l’impact sur l’environnement, l’aptitude à rendre le temps à la fois plus disponible et plus agréable et la capacité à rendre la voiture accessible à tous. “Il ne s’agit donc pas d’une révolution, mais nous ne pourrons pas nous contenter de ne faire que du kaizen, il faudra aussi des ruptures”, module-t-il. En ce qui concerne la sécurité, au-delà de la tendance d’amélioration permanente remarquablement ancrée dans l’industrie automobile (ABS, airbags, etc.), Carlos Ghosn s’est attardé sur les perspectives ouvertes par la voiture autonome, qu’il faut envisager, dans un premier temps, comme un véhicule avec conducteur, ce dernier choisissant dans certaines circonstances de déléguer la conduite. Evoquant le développement des drones, porté lui aussi par les progrès des ADAS, il estime que le principal défi de la voiture autonome réside dans la législation plus que dans la technologie. “Il s’agit d’une évolution inéluctable, mais elle s’opérera de façon progressive, par modules et par briques. En 2018, nous mettrons des véhicules à la route en Europe, au Japon et aux USA, tandis que la véritable commercialisation débutera en Europe en 2020”. Une tendance d’autant plus inéluctable que la délégation de la conduite rend aussi le temps plus disponible et plus encore, agréable, notamment grâce aux progrès significatifs annoncés dans la connectivité.
Inventer le low-cost pour les pays émergents
Pour réduire l’impact de l’automobile sur l’environnement, Carlos Ghosn estime, dernier rapport -alarmant- du GIEC à l’appui, qu’il ne s’agit plus d’ergoter ou de chercher d’énièmes faux-fuyants, surtout qu’il est acquis que le parc mondial va progresser fortement, avec une croissance exponentielle attendue dans des pays comme le Nigeria ou l’Indonésie par exemple. Diagnostic imparable : “Nous allons devoir faire des efforts drastiques”. Ce qui passera par l’amélioration des motorisations essence et Diesel, mais aussi par le VE, dont le lent démarrage n’est pourtant plus remis en cause. “Le VE, ce n’est pas une option, ce sera incontournable un jour ou l’autre”, tranche Carlos Ghosn, tout en braquant aussi les projecteurs sur les vertus de l’économie circulaire, soit une exploitation plus intensive des matériaux recyclés, comptant en moyenne pour 30 % dans une Renault aujourd’hui. En outre, il faudra rendre la voiture accessible à tous, ce qui n’est pas le moindre des défis. “Or la voiture, aujourd’hui, c’est cher. Donc nous sommes particulièrement fiers du low-cost Renault et Dacia et d’être des pionniers de la démocratisation des véhicules. Mais ce low-cost n’est perçu comme tel que sur les marchés matures, car dans les pays émergents, il correspond à la gamme moyenne. Il nous fallait donc inventer le low-cost pour les pays émergents et nous lancerons une offre dans ce registre dès 2015 en Inde, puis en Amérique du Sud, sous badge Renault, et en Russie et en Asie du Sud-Est, via Nissan”.
Big is beautiful
En guise de conclusion, Carlos Ghosn réaffirme sa foi en la pérennité de l’automobile à l’avenir et s’accorde un détour du côté du marché. A ses yeux, les grands groupes automobiles, d’ores et déjà mondialisés, seront aussi de plus en plus localisés. En clair, si on vend en Inde, on produit en Inde. Reste alors à savoir protéger sa R&D, presque géographiquement en somme, afin de sécuriser la propriété des innovations, et à mettre en place un management multiculturel, ce que l’Alliance s’attelle à faire depuis plusieurs années. En outre, l’effet d’échelle s’annonce déterminant car comme le répétait à l’envi Laurent Burelle, président de Plastic Omnium, lors de la dernière cérémonie de l’Homme de l’Année, “l’époque est au big is beautiful”. Carlos Ghosn ne dit pas autre chose : “Ce sera de plus en plus difficile d’être un petit groupe, surtout que les grands groupes sont aussi désormais les plus compétitifs”. Ces fondamentaux n’exonèrent naturellement pas les dirigeants des grands groupes de définir les bonnes stratégies car “sinon, vous pouvez aller dans le mur, et rapidement”. Et d’illustrer son propos par un clin d’œil à l’histoire récente en faisant un parallèle entre la destinée des attelages Renault-Nissan et Daimler-Chrysler-Mitsubishi. C’est pourtant le dernier qui était présenté comme “le mariage du siècle”…
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FOCUS - Verbatim
A propos des opportunités de Renault sur le Premium : “Il ne faut pas se voiler la face, le Premium constitue un pré carré qu’il est très difficile d’investir. Un pré carré largement dominé par les marques allemandes à l’échelle mondiale. Dès lors, Renault ne prétend pas devenir une marque Premium. En revanche, nous allons faire des incursions dans le Premium, mais de manière réfléchie en élisant des territoires ciblés où nous savons avoir une légitimité. Le prochain Espace en sera une première illustration”.
A propos d’une éventuelle concurrence de Google sur la voiture autonome : “Nous n’envisageons pas la situation sous l’angle d’une concurrence frontale. En effet, je doute de l’intérêt de groupes comme Google ou Apple de construire massivement des véhicules. Pourtant, avec leur capitalisation boursière, ils peuvent acheter des constructeurs sans que cela ne représente une opération financière colossale. Mais si vous comparez leurs niveaux de marge aux nôtres, vous pouvez vraiment vous interroger sur l’intérêt qu’ils auraient à le faire. En revanche, nous allons travailler ensemble, notamment dans le domaine des applications”.
A propos des difficultés rencontrées par PSA Peugeot Citroën : “Très franchement, nous ne nous en réjouissons nullement. C’est exactement comme quand GM a été menacé de faillite, nous avons plutôt eu peur. Soit dit en passant, on a beaucoup moins glosé sur le fait que le gouvernement américain nationalise GM que sur l’intervention de l’Etat français dans le dossier PSA… Nous ne nous en réjouissons pas, notamment parce que nous partageons des approvisionnements auprès des mêmes fournisseurs. Et si des fournisseurs sont mis à mal, par ricochet, c’est aussi vous qui pouvez rencontrer des difficultés à assembler vos véhicules”.
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