Thierry Koskas, directeur du programme véhicule électrique Renault
Journal de l'Automobile. Êtes-vous satisfait de l'avancement du programme et des partenariats signés dans ce cadre ?
Thierry Koskas. Concernant le développement de nos quatre voitures, nous sommes dans les temps. Quant aux partenariats, nous en avons signé plus de 40, principalement avec des Etats, des régions et des compagnies d'électricité. Certains concernent les produits mais il s'agit là, avant tout, d'accords portant sur les infrastructures comme la mise en place des bornes de recharge ou l'organisation de la facturation auprès des clients. Nous menons également des discussions sur le niveau d'incitation à mettre en place.
JA. Ces différents accords sont-ils, finalement, la clé de la réussite ?
TK. Oui, complètement. Des voitures sans bornes n'ont que peu d'intérêt.
JA. Vous allez lancer votre premier véhicule en 2011. C'est demain, mais pour l'heure nous ne voyons pas vraiment d'infrastructures sortir de terre.
TK. Cela va s'accélérer dans les mois à venir. Après le plan Borloo, annoncé le 1er octobre dernier et portant sur 900 millions d'euros, il y aura du concret au second semestre avec notamment des appels d'offres dans les collectivités territoriales afin d'installer les bornes.
JA. Renault, qui possède un réseau de distribution très dense, ne serait-il pas tenté de proposer un service de remplacement de batteries comme Better Place en Israël ?
TK. Nous n'avons pas vocation à être opérateur d'infrastructures. Peut-être pour la mise en place des bornes mais pas davantage. De plus, le maillage géographique n'est pas forcément en adéquation avec le besoin des clients. Par exemple, pour une ville comme Lyon, les distributeurs Renault sont plus en périphérie qu'intra-muros.
JA. Avez-vous encore affiné votre offre, notamment au niveau des tarifs ?
TK. Nous restons sur un prix d'achat, sans les batteries, équivalent à un véhicule Diesel de même catégorie. Certes, aujourd'hui cela coûte plus cher à fabriquer mais avec les incitations à l'achat, nous arrivons à le proposer. Ensuite, le client paie à l'usage. Et ce dernier est rentable à partir de 12 000 km par an, pour Zoé par exemple. Cela représente 1 000 km par mois ou 40 km par jour. C'est tout à fait réaliste.
JA. Il demeure toutefois un frein psychologique concernant l'autonomie. Comment allez-vous éduquer vos futurs clients ?
TK. Nous donnerons bien évidemment beaucoup d'explications. Nous allons faire un effort tout particulier afin que l'affichage de l'autonomie dans la voiture soit le plus exact mais surtout le plus régulier possible. Dans un premier temps, le client devra sûrement être rassuré mais l'habitude l'emportera. On peut voir dans cette problématique de l'autonomie des similitudes avec les deux-roues qui affichent pour certains 150 km d'autonomie. Les propriétaires, avec un peu d'expérience et de confiance, connaissent par cœur leur rayon d'action et ce n'est en rien un frein.
JA. Le réseau de distribution aura son importance dans le développement de ce programme. Va-t-il bénéficier d'une formation particulière ?
TK. La formation va débuter dès cette année. Le principe sera le one-stop-shopping. C'est-à-dire que le client pourra tout faire dans le réseau. Comme bien évidemment l'achat du véhicule et la location des batteries. Mais nous serons aussi capables de lui fournir l'énergie pour le compte d'un partenaire. Cette offre complète fait partie du processus de réassurance. De plus, à la différence d'aujourd'hui où le contact ne se fait finalement que lors des visites d'entretiens du véhicule, nous allons tisser une relation plus forte et plus régulière avec nos clients. Là encore, pour le rassurer et répondre à toutes ses questions.
JA. Comment imaginez-vous le ratio entre professionnels et particuliers ?
TK. Il est lié aux véhicules eux-mêmes. Les Kangoo et Fluence sont principalement destinés à des flottes, des grands comptes à l'artisan. En revanche, avec Twizy et Zoé, nous visons davantage une clientèle de particuliers, même si Twizy peut parfaitement intégrer des flottes de car-sharing, par exemple.
JA. Impossible d'évoquer les véhicules électriques sans parler de l'approvisionnement en lithium pour les batteries. Existe-t-il réellement des risques à ce sujet ?
TK. Il y a beaucoup de fantasmes autour du lithium. Avec les réserves connues actuellement nous pourrions fournir plus d'un milliard de véhicules électriques. Le seul problème, aujourd'hui, est lié à l'exploitation de ces ressources car jusqu'ici il n'y avait pas de marché. Ainsi, la Bolivie qui détient les plus grosses réserves, n'en produit actuellement pas un gramme. Entre la décision d'exploiter et les premières livraisons, il faut environ deux ans. Nous sommes vigilants dans ce domaine mais il ne s'agit pas d'un problème de rang 1. De la même manière, financièrement, il faut relativiser l'impact du lithium. Il ne représente que 1 % du prix d'une batterie. Même si son prix explose, cela ne changera pas l'équation économique.
JA. Carlos Ghosn a déclaré qu'à l'horizon 2020, les véhicules électriques pourraient représenter 10 % du marché mondial. Vos concurrents sont largement moins optimistes. Pourquoi ?
TK. Je pense que nous avons une vision plus positive car nous maîtrisons la technologie des batteries. Il s'agit d'un atout considérable. La force de l'exemple sera un autre élément. En même temps, les positions sont en train de bouger comme notamment chez Volkswagen qui vise 3 % de ses ventes en 2018. Et si l'on se revoit dans un an, la photographie sera encore différente.
JA. Dans cet univers des véhicules électriques, les constructeurs chinois, comme BYD notamment, semblent prendre également position. Comment les percevez-vous ?
TK. Comme des concurrents très sérieux ! En plus des possibilités qu'offre leur marché intérieur, ils affichent une vraie volonté mais aussi, pour BYD, une maîtrise des batteries. Nous devons être très vigilants. Toutefois, en Europe, le client a encore besoin d'être rassuré par une marque qu'il connaît. En revanche, si l'on se projette dans 10 ou 15 ans, ils seront là.
JA. Aujourd'hui, l'Etat verse une prime de 5 000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique. Cette incitation fait partie de votre business model aujourd'hui. Quand pourrez-vous vous en passer ?
TK. Effectivement, dans 10 ans nous n'imaginons pas qu'une prime de 5 000 euros subsiste. L'idée est qu'elle diminue progressivement afin de ne pas "tuer la poule avant qu'elle ait pondu ses œufs !" L'incitation actuelle est très importante pour faire démarrer le marché, afin que nous puissions augmenter les volumes et ainsi atteindre les effets d'échelle que nous fixons à l'horizon 2016-2017 pour l'Alliance Renault-Nissan avec un volume annuel de plus de 500 000 unités.
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