Site de production d'Onnaing : Plus qu’une usine, un concept
...le contexte politique et économique de l'époque. Nous sommes en décembre 1997. Le gouvernement en place, cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, fait tout pour attirer des capitaux étrangers en France. Forts d'une aide substantielle de 7 % de la valeur totale du projet, Toyota, qui souhaitait déjà implanter son premier site de production en Europe continentale, choisit la France. Le constructeur nippon voudrait en effet pénétrer le marché européen avec une petite voiture développée spécifiquement pour ce marché. En ce qui concerne la région, ce sera le Nord, à proximité du siège social européen du Groupe, sis à Bruxelles. La situation géographique de Valenciennes représente, par ailleurs, un atout en termes d'optimisation des flux logistiques européens, par sa position relativement centrale. En 23 mois, les betteraves cèdent donc leur place à une usine ultramoderne, fruit d'un investissement de 4 milliards de francs de l'époque, un chiffre record. Le projet est notamment supervisé par Didier Leroy, transfuge de la garde rapprochée de Carlos Ghosn (alors chez Renault), qui deviendra par la suite Président du site, poste qu'il occupe toujours actuellement. Pour concevoir "son" usine, Didier Leroy va alors tenter de s'inspirer des usines japonaises, tout en l'adaptant à la culture française. L'usine de Valenciennes (Onnaing) sera un exemple de "Lean Production" (construire au plus juste).
Le résultat
Avant son ouverture, en janvier 2001, l'usine de Onnaing a déjà recruté 2 000 personnes pour les besoins de la production de la petite Yaris. Un tel recrutement représente, à l'époque, une aubaine, dans cette région sinistrée par le chômage (22 %). La Yaris première génération sera fabriquée au rythme d'une voiture par minute jusqu'en novembre 2005, date à laquelle elle sera remplacée par la Yaris 2, justifiant alors 1 000 embauches supplémentaires. Aujourd'hui, 3 950 personnes oeuvrent sur le site en 3 équipes, un centre de formation ayant même vu le jour en septembre dernier.
L'USINE EN CHIFFRES |
Dans une logique de rationalisation de la production, l'usine s'avère très compacte, afin d'optimiser les flux à l'intérieur des bâtiments. Dans l'organisation, le fonctionnement du site d'Onnaing se révèle très différent des usines de fabrication d'automobiles de la concurrence. Ainsi, les différents ateliers s'articulent sur 130 000 m2 seulement. Ne pouvant que peu réduire les infrastructures même de production, le staff de l'usine s'est attaché à rationaliser les passages d'un atelier à un autre. Ainsi, le stock tampon entre les ateliers de "welding" (soudure des éléments de structure) et de peinture, se limite à une trentaine de voitures, là où les usines habituelles disposent d'environ 200 véhicules en attente. Un volume important, justifié, selon les spécialistes, pour éviter tout arrêt onéreux de la ligne de production. Pour faire simple, si un problème se pose au niveau d'un atelier, on sait que l'on dispose de temps pour réparer, avant d'assécher l'atelier suivant. Chez Toyota Valenciennes, la vision est toute autre. Si un problème survient à l'atelier soudure, l'atelier peinture s'arrête seulement deux heures après. C'est peu, mais responsabilise et incite à réparer rapidement. Cela ne poserait pas plus de problème que ça, aux dires des dirigeants du site…
Autre contrainte, autre approche. Habituellement, dans une usine de fabrication d'automobiles, un espace important est dédié aux retouches des pièces, après chaque atelier. A Onnaing, pas question d'utiliser de la place pour réparer des défauts. Avec la verve qui le caractérise, Didier Leroy, patron de l'usine, s'explique : "dans notre usine, si un quelconque défaut apparaît à une étape du process de fabrication, on se refuse à engorger des zones de correction de défauts pendant des jours. Malgré les visions des théoriciens industriels, jugeant catastrophiques les arrêts de ligne, on stoppe et on corrige le problème avant de poursuivre ! Et reconnaissons que c'est quand même plus logique de comprendre un problème et le corriger à la source, plutôt que continuer à produire mal, pour réparer ensuite." Là encore, la rentabilité de l'usine de Valenciennes n'en pâtit pas. Et pour un client, il est plus valorisant de posséder un véhicule "zéro défaut", plutôt qu'une voiture "bricolée pour être zéro défaut". Il y a un autre point sur lequel Didier Leroy passe pour un excentrique chez Toyota. La formation. Il est le seul à avoir réussi à faire passer une manufacture automobile du groupe en trois équipes. Dans les dîners en ville, nombreux sont ceux qui l'ont pris pour un farfelu à la mise en place de ce type de fonctionnement. Pourquoi ? Simplement parce la clé de cette organisation particulière réside dans l'homogénéité de production des 3 équipes. Or, pour disposer d'une troisième équipe, il faut embaucher des intérimaires, pas toujours aussi au point que les titulaires. Cependant, plus "souples" contractuellement, ils sont souvent placés aux postes et aux périodes les moins prisés. En bref, inutile de préciser que la productivité de l'équipe de nuit n'est en général pas à la hauteur des deux autres équipes et c'est là que le bât blesse. Il n'est pas possible de maintenir une constance de production.
Des intérimaires mieux formés
Toyota s'est donc, là encore, attaqué au problème avec un raisonnement logique. A Valenciennes, il y a tout d'abord la même proportion d'intérimaires dans chacune des trois équipes, afin d'homogénéiser les compétences. Compétences validées au sein de la structure créée spécialement à cet effet à l'usine. Tout candidat retenu pour un poste, quelle que soit la durée de son contrat, doit y passer un minimum de 4 semaines, auxquelles on ajoutera deux journées supplémentaires sur le lieu même de l'emploi, pour en appréhender les spécificités. Une charge trop importante pour certains, un investissement sur la qualité pour Didier Leroy, qui parvient ainsi à limiter encore un peu plus les défauts au sortir de chaque atelier. C'est ça le TPS (Toyota Production System). Produire au plus juste, dans une approche rationnelle des problèmes à gérer. Pour donner un autre exemple, il n'y a, à Valenciennes pas de contrôle qualité identifié en tant que tel au sein de l'usine. En effet, chaque opérateur est responsable de la qualité qu'il livre à l'étape suivante de la construction. Il apparaît encore une fois logique que chacun fasse son travail correctement, sans qu'une tierce personne ait besoin de vérifier la bonne tenue d'une opération ! Quand on sait que chez Toyota, c'est l'usine qui supporte l'ensemble des coûts de garantie, on imagine bien que Didier Leroy ne prendrait pas de risques si le système n'était pas viable…
Frédéric Richard
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