S'abonner
Constructeurs

Portrait de Detlev von Platen, directeur général de Porsche France

Publié le 8 octobre 2004

Par Tanguy Merrien
10 min de lecture
A quarante ans, Detlev von Platen ferait vite figure de jeune loup, surtout si on se penche quelques instants sur une carrière déjà solide. Pourtant, le patron de Porsche pour la France se plaît à être sincère dans ses attachements, bouge son monde et n'hésite pas à encourager ses collaborateurs,...

...développe tambour battant l'entité Porsche en France et rend hommage à ses maîtres. Un jeune loup, peut-être, mais qui aurait du cœur. Impressions.


Ce qui est de prime abord attachant chez Detlev von Platen, c'est son rapport à la destinée. Pas de progression dans sa vie professionnelle sans qu'il rende grâce à la chance, pas de succès que les bonnes fées ne lui aient pas tissé sur la grande maille de son avenir. Et s'il reconnaît qu'il a accompli de belles choses, il en crédite immédiatement la paternité à quelques "grands messieurs" qui ont bien su le guider, quand il ne renvoie pas les lauriers aux différentes équipes qui l'ont accompagné, qui l'accompagnent toujours. Alors, parlera-t-on d'humilité ou de grande prudence, voire de superstition ? Peu importe, Detlev von Platen accorde beaucoup à l'humilité : "C'est un trait de caractère qui est très important pour moi et il est essentiel de le conserver surtout quand les choses se passent bien, quand le succès est là. L'histoire peut changer, les affaires évoluer dans un autre sens, et nous devons toujours avoir en mémoire les risques et les investissements que prennent nos partenaires." Un comportement qui a dû se forger très vite chez le jeune homme qui, à peine sorti de son Ecole supérieure de commerce, s'est vu confier des postes à responsabilités, à commencer par BMW division motos, qui le jette dans une "piscine froide", comme il se plaît à le dire, tant les charges pèsent alors sur ses épaules pas encore complètement étayées. Dans cette structure où il apprend beaucoup de son métier au côté de quelqu'un qui deviendra un mentor, Monsieur Delby, il se donne à fond dans le travail. Il reconnaît aujourd'hui, non sans humour, qu'il doit cet acharnement au travail à son service national effectué dans l'armée française - Detlev von Platen a la double nationalité allemande et française, mais a vécu essentiellement en France avant ses déplacements professionnels. "Je n'étais pas un premier de la classe, ayant toujours obtenu mes diplômes en m'arrangeant pour passer juste, mais je me suis tellement ennuyé pendant mon service militaire que j'ai eu un besoin incroyable de rattraper le temps perdu et suis de ce fait devenu assez boulimique dans le travail. Cependant, je sais que travailler 15 heures par jour n'est pas forcément le plus important ni un symbole d'efficacité." Il n'empêche, cette boulimie et ses résultats lui permettent d'être repéré par le siège de BMW, à Munich, où on lui propose de s'occuper du développement moto des marchés administratifs et civils de… la moitié du monde. "Lorsque je suis arrivé à Munich, le patron de la moto a déplié une carte du monde et proposé à mon collègue, plus "ancien", de choisir : il a pris l'Amérique et moi j'ai pris l'Asie et l'Afrique. C'était incroyable pour un jeune comme moi !" Et cela ne fait-il pas tourner la tête, une mission comme celle-là : négocier avec les chefs d'Etat ou les ministères pour leur vendre des motos d'escorte, ou encore sélectionner les importateurs à l'autre bout du monde ? Pour le jeune Detlev, la question ne se pose pas en ces termes, mais bien plutôt en un magnifique et peut-être impressionnant pari : "Je suis parti extrêmement conscient de la chance qui m'était offerte et, plutôt que de me tourner la tête, j'avais envie de prouver que j'étais capable de faire tout cela, de créer un développement qui reste dans le temps. Mais il est vrai qu'à un moment donné, vous êtes tellement bien, vous avez tellement de liberté et d'autonomie que vous avez du mal à déterminer si vous serez bientôt encore capable de retourner au siège. J'ai alors pris la décision, au bout de deux ans et demi, de revenir et de rejoindre BMW MotorSport au service de la communication, notamment événementielle." C'est d'ailleurs là que Detlev von Platen rencontre un autre "grand monsieur" en la personne de Karl-Heinz Kalbsell, à l'époque patron du marketing central et aujourd'hui à la tête de Rolls-Royce. Peu de temps après, Detlev von Platen revient à ses premières amours, à savoir l'export qu'il sert en devenant conseiller en marketing pour l'implantation de filiales BMW en Corée du Sud, au Mexique, en Chine… Qu'il aime voyager ne fait désormais plus aucun doute, mais ce qui l'attire le plus est de remplir l'objectif qu'on lui a confié : l'aventure qu'un ancien de BMW, M. Riedel, lui dessine en 1996 a donc de quoi séduire plus d'un jeune manager, à savoir créer l'entreprise Porsche France en reprenant la distribution qui avait été confiée des années durant à Sonauto. L'offre est excitante et Detlev von Platen ne s'y trompe pas. Comme à son habitude, il remercie la chance et commence à imprimer sa touche personnelle en se fixant des objectifs à la fois concrets et abstraits. En effet, d'un côté il a pour mission d'opérer une transition avec Sonauto et d'accompagner une mutation du réseau qui était jusque-là plutôt multimarque et trop souvent enclin à n'accorder à la marque Porsche qu'un rôle de prestige au détriment de la rentabilité souhaitée - ce qu'il réussit à faire puisque chaque concession qui vendait en moyenne une dizaine de véhicules par an en 1999 en vend aujourd'hui 80 !




Detlev von Platen en 8 dates

1964 : Naissance à Orléans nationalité franco-allemande
1987 : Ecole Supérieure de Commerce à Poitiers
1988-1991 : BMW France. Division Moto. Responsable du Marketing
1991-1993 : BMW Motorrad GmbH, Munich. Responsable de la région Asie/Afrique
1993-1994 : BMW Motorsport GmbH, Munich. Responsable de la communication
1994-1996 : BMW AG, Munich. Division Marketing Central, chef de projet pour le développement et la création de filiales à l'étranger ; responsable du marketing événementiel et du sponsoring international
1997-1998 : Sonauto SA, directeur
de la marque Porsche.
Depuis 1999 : Directeur général de Porsche France SA. Président de Zell Motors. 

D'un autre côté, il a à cœur de lutter contre l'image d'une France qui serait complexe, trop spécifique : "Mon premier objectif personnel était de créer une équipe composée d'anciens de Sonauto et de nouveaux venus, qui soient rapidement crédibles, aussi bien en externe auprès des partenaires que sont les concessionnaires qu'en interne auprès de Porsche AG. Il était extrêmement important pour moi de montrer que dans un pays comme la France, qui apparaît souvent comme un pays compliqué, on puisse être extrêmement performant, professionnel, crédible. C'est pourquoi il était essentiel pour moi de dire ce que j'allais faire et surtout de faire ce que j'avais dit." Et pour lui, sa jeunesse n'est pas ressentie comme un handicap, au contraire. Bien sûr, il reconnaît que le manque d'expérience, voire de charisme, peut être vu comme une difficulté, mais qui s'efface devant la capacité à se remettre en cause et surtout à s'enthousiasmer, une capacité peut-être plus forte chez quelqu'un de plus jeune et de toute façon une nécessité pour bien manager. "Sans enthousiasme, vous ne pourrez rien obtenir de vos collaborateurs", explique Detlev von Platen qui place au sommet des besoins du manager d'aujourd'hui cette notion : savoir motiver. "Pour une entreprise, il est essentiel d'avoir un leader, une personne, une figure qui puisse motiver une équipe autour d'un objectif ambitieux et qui soit réalisable. Ensuite, le reste vient tout seul. C'est le vrai talent que l'on demande à un manager, peut-être le seul, on ne lui demande pas de tout connaître. L'important aujourd'hui est de savoir s'entourer, de bien s'entourer, et ensuite de pouvoir motiver. Amener une vision, convaincre que c'est la bonne marche et s'y tenir." Une définition que Detlev von Platen ne se réserve pas et partage avec ses concessionnaires. En effet, quand on lui demande ce que doit être le concessionnaire d'aujourd'hui, il répond : "Un vrai chef d'entreprise qui sait gérer sa société, planifier dans l'avenir, et qui sait manager ; et quand je dis manager c'est vraiment très important, c'est avoir des gens qui sont réellement bien recrutés et des équipes qui soient bien formées. C'est aussi revaloriser le métier de vendeur qui souffre souvent d'une mauvaise image alors que c'est un métier noble à condition qu'il soit fait dans le respect du client." Aujourd'hui, Porsche France se porte bien, le volume d'affaires a été multiplié par trois depuis cinq ans et une rentabilité dans le réseau qui est de l'ordre 3 % avant impôts témoigne d'un engagement des concessionnaires qui ont investi quelque 35 millions d'euros en cinq ans. Alors, aucun regret Monsieur von Platen ? Pas de regret, sinon de ne pas avoir assez consacré de temps à sa famille. Le prochain défi, à n'en pas douter !


Hervé Daigueperce





Detlev von Platen réagit à propos de…

La clause de réparation
C'est à mon avis complètement impossible : on ne peut pas dissocier la vente de l'après-vente concernant des produits qui sont de plus en plus sophistiqués, de plus en plus compliqués techniquement. Par ailleurs, quand on parle de responsabilités du constructeur, cela nécessite un suivi très précis, notamment lorsqu'on évoque les campagnes de rappel. Aujourd'hui, le meilleur intervenant, le meilleur acteur pour assurer un service après-vente, c'est celui qui la vend.


Les 35 heures
Tout à fait contre dans la mesure où on les impose. Dans le principe, c'est une bonne chose, mais pas quand on oblige les gens. Il faut laisser les gens travailler s'ils ont envie de travailler, et éviter les effets pervers que les 35 heures ont eus parce qu'elles n'ont absolument pas créé d'emplois, mais qu'elles ont peut-être enlevé le goût du travail aux jeunes générations qui viennent d'arriver. Il faut faire en sorte que cette discussion entre les Français sur le temps de travail ne soit pas une discussion de nature à enlever la valeur au travail.


Les délocalisations
C'est souvent une solution à court terme recherchée par les entreprises pour sécuriser leur productivité. A cela, je répondrais qu'il ne faut pas penser à court terme mais à long terme, et l'innovation, la créativité sont les meilleures clés de la réussite pour garantir le long terme. C'est comme cela qu'on a de l'avance par rapport à la concurrence. Aujourd'hui, si l'on veut faire des efforts, c'est en investissant dans la formation, dans la recherche et le développement, dans l'innovation, dans la formation d'ingénieurs pour maintenir notre créativité en France.


Le rôle de la communication
Nous, nous sommes plutôt tournés vers l'événementiel : Porsche est quelque chose qui se touche, qui ne se lit pas ou ne s'écoute pas.


Votre conception du luxe
Je n'aime pas tellement le mot luxe. Il est synonyme de belles choses mais aussi d'un côté fermé, inaccessible, élitiste. Quand on dit que Porsche est une marque de luxe, ce n'est pas vrai, c'est une marque de prestige. C'est une marque qui doit faire vivre tout le monde, celui qui en vend, celui qui va pouvoir s'en acheter une, qui va peut-être avoir plus de mal, mais qui se faire plaisir.


Le profil du client de Porsche
La principale motivation d'un client de Porsche est le plaisir. Nos clients ont bien compris qu'ils ne cherchaient pas une voiture de sport comme une Porsche pour le simple plaisir de la vitesse. Franchement, cela vient au second plan. Ils achètent pour le confort, pour le design, pour la sonorité, pour la performance technologique, peut-être aussi pour la vitesse. Par nature ce sont des gens respectueux de la route. Il faut arrêter de faire de l'intégrisme, et de se tromper de cible. Au contraire, les passionnés d'automobiles sont des gens qui considèrent l'auto comme un objet de plaisir et non pas comme un objet utile.


Le portrait que vous aimeriez lire dans le Journal de l'Automobile
Quelqu'un de relativement méconnu, de très énergique et qui n'a pas sa langue dans sa poche, le Docteur Wendelin Wiedeking, patron de Porsche AG. Il y a aussi quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime, peut-être le seul vrai gentleman de la profession, Didier Maitret, P-dg de BMW France.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle