“Nous ne sommes pas dans une logique de rapprochement capitalistique avec d’autres constructeurs”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Commençons par l’actualité récente, quelle est votre explication du retrait de la Russie ?
MARY BARRA. Nous y pensons depuis des mois. En fait, nous étions fiers des opportunités qui se présentaient à nous en Russie, notamment à notre sortie du Chapter 11. General Motors estimait il y a encore un an que la Russie serait notre principal marché en Europe, en 2020. Il y a eu ensuite deux problèmes. D’abord, le pays a connu une vraie crise politique, liée aux problèmes en Ukraine. Une situation qui a modifié les habitudes d’achat. Puis il y eut le fort impact économique de la dévaluation du rouble. Pour compenser, nous projetions de localiser au maximum, mais nous n’y sommes pas encore et nous nous exposons fortement au taux de change, vis-à-vis du dollar et de l’euro. Nous perdions de l’argent avec chaque voiture. Nous avons donc augmenté leur prix de 45 %. La conséquence a été évidemment de perdre des parts de marché. Nous avons donc réduit la voilure, passant en huit semaines de trois à une équipe à Saint-Pétersbourg, ce qui ne nous a pas permis d’arranger la situation.
JA. Avez-vous mesuré l’impact de votre décision sur l’environnement social russe ?
MB. Nous avons pris la décision de changer de modèle d’affaires après des mois de discussions. Nous n’y reviendrons pas du jour au lendemain. Il faudra du temps. Nous avons pris toutes les mesures et continuons d’échanger avec les autorités pour assurer la transition, car nous avons conscience de l’impact d’un arrêt d’activité de production automobile. Mais General Motors insiste sur un fait : ce n’est pas une décision politique, mais une mesure purement économique. Nous n’imaginons pas un retour à la normale dans un délai acceptable.
JA. A l’instar de la Russie, vous rencontrez des complications au Brésil et en Inde, quelle en est la raison ?
MB. Certes, le Brésil rencontre des soucis économiques, mais en termes de volumes, Chevrolet reste la marque majeure, tout comme dans l’ensemble de l’Amérique du Sud. Nous avons procédé à un rafraîchissement de la gamme qui a été bénéfique il y a quelques années. Nous nous sommes aussi structurés dans un but d’efficacité de travail et cela nous permet de relever les défis économiques propres à ce marché. En Inde, nous avons plus de travail à effectuer, car nous n’avons pas encore de gamme adaptée à la demande des clients, ni même le réseau de distribution adéquat. Nous pensons qu’en 2020, ce marché sera l’un des plus importants et devons donc prendre des mesures pour en tirer profit.
JA. Les autres constructeurs invitent à des rapprochements, considérez-vous comme techniquement possible un tel projet ?
MB. Nous ne considérons que la vision et les buts fixés à l’entreprise. Nous estimons être suffisamment structurés pour le moment. Une telle évolution n’est donc pas à l’étude à ce jour.
JA. Quels sont les chantiers prioritaires, dans ce cas ?
MB. Nous nous concentrons sur ce que doit être General Motors. Nous estimons avoir la bonne technologie et prenons soin d’avoir la bonne attitude vis-à-vis de nos clients, de nos collaborateurs, de nos distributeurs et de nos fournisseurs, avec en ligne de mire l’ambition de devenir l’entreprise automobile la mieux valorisée.
JA. Qu’en est-il alors de l’Europe ?
MB. Nous avons conscience que notre projet de croissance globale passe par une croissance en Europe, avec Opel et Vauxhall. Nous avons trois axes prioritaires qui sont de définir le bon positionnement pour les marques, de lancer les produits idoines et mécaniquement, d’augmenter la pénétration. Le groupe a un plan produits riche de 27 modèles et 17 motorisations à sortir entre 2014 et 2018. Cela représente 4 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2016 et donc la plus grosse offensive préparée dans l’histoire des deux marques. Ce qui vient confirmer qu’Opel et Vauxhall sont définitivement les marques de General Motors pour l’Europe. Elles totalisent d’ailleurs le deuxième budget R&D du groupe.
JA. Quelles sont de fait les prévisions chiffrées ?
MB. En 2020, notre part de marché sera de 8 % et notre marge opérationnelle aura grimpé à 5 %. En 2015, nous investissons 9 milliards d’euros dans des usines et des équipements avec un objectif de retour sur investissement de 20 % minimum. Nous pourrons ainsi soutenir une actualité produits agressive. En 2015, 27 % de nos ventes devraient être constituées de véhicules ayant moins de 18 mois de commercialisation. Cette part sera de 38 % en 2016 et atteindra 47 % en 2019.
JA. Vous investissez pourtant toujours dans Chevrolet, notamment au travers du sponsoring, cela ne risque-t-il pas de brouiller le message ?
MB. Vous voulez parler du club de Manchester United ? C’est une opportunité qu’il faut regarder sous un autre angle, plus global. Certes, Chevrolet n’est plus distribuée en Europe, mais la marque profite ainsi d’une extraordinaire visibilité en Asie, où le club anglais compte de nombreux fans.
JA. Vous parlez de bon positionnement, qu’est-il prévu pour Opel/Vauxhall ?
MB. Nous ne voulons pas faire d’Opel une marque Premium, pas plus qu’une marque à bas coût. Opel restera une marque medium, soit exactement là où les consommateurs nous positionnent spontanément. Notre travail nous a permis de placer les produits à un niveau abordable, tout en disposant d’un bagage technologique.
JA. L’histoire a pourtant en mémoire les Opel Kapitan ou encore Admiral, n’y a-t-il pas légitimité à monter en gamme ?
MB. Le marché des véhicules d’un niveau supérieur à l’Insignia est extrêmement petit et dominé par des marques allemandes que nous connaissons tous. Il correspond à des clients ultra-conservateurs et donc difficiles à détourner de leurs habitudes de consommation. Le concept Monza montrait notre futur style et il sera résolument d’aspect plus haut de gamme. Nous devons encore une fois privilégier l’angle économique et les perspectives d’avenir. L’Adam apporte une réponse. Elle appartient au segment des citadines, mais elle a des arguments pour être différente, attractive, et afficher des propriétés luxueuses par certains côtés, notamment le haut degré de personnalisation. Par ailleurs, l’Astra constitue à l’heure actuelle notre priorité. En termes d’équipements et de motorisations, ce produit nécessite un renouveau que nous allons lui apporter.
JA. Justement, Ford est considéré comme un constructeur technologiquement innovant. Est-ce moins important chez General Motors que de faire des voitures moins difficiles à conduire ?
MB. Je pense que le plus important est de proposer la meilleure technologie au meilleur coût pour que la valeur client ne soit pas détériorée. Franchement, j’estime que l’automobile reste un objet de liberté et que la priorité doit être donnée au confort de conduite. Les technologies de rupture ne viennent qu’apporter un effet supplémentaire.
JA. Quelle est donc la place des services de connectivité ?
MB. La connectivité est une grande opportunité pour General Motors. Nous croyons que cela va contribuer à remplir l’objectif du groupe, à savoir améliorer encore l’expérience client. Elle va transformer la façon de conduire, comme elle a déjà changé notre façon de vivre. Nous espérons que 75 % de nos exemplaires vendus seront connectés à l’horizon 2020. Nous avons deux décennies d’expérience avec OnStar, avec plus de 7 millions d’abonnés dans le monde. Mais nous ne pourrons revendiquer le leadership qu’une fois la technologie présente sur les marchés principaux, dont l’Europe, d’où ce lancement.
JA. Quelle sera l’influence d’OnStar sur le plan de développement de GM ?
MB. L’évolution technologique nous a poussés naturellement à intégrer la 4G/LTE dans nos produits et il est tout aussi naturel de les commercialiser en Chine et en Europe. C’est une manière d’attirer les clients sur les principaux marchés. Comme les clients pourront le constater, nous avons apporté des modifications pour satisfaire aux exigences du marché européen. Un exemple concret sera l’introduction d’un mode “privé” dans OnStar.
JA. Avec l’arrivée annoncée de Google et Apple dans vos voitures, quelle est l’espérance de vie d’Intellilink ?
MB. Nous évaluons les nouvelles technologies avec la nécessité d’être sûrs qu’elles ne vont pas à l’encontre de la sécurité. Elles ne doivent pas être distrayantes pour le conducteur et respecter la notion de données personnelles. Nous regardons actuellement beaucoup de solutions et il est trop tôt pour faire des annonces.
JA. Outre la connectivité, l’autre enjeu relève des technologies dites “vertes”, quelles sont vos convictions dans ce domaine ?
MB. Il y a une multitude de solutions. Nous avons commencé avec une légère électrification, mais avons aussi accru de 25 % l’efficience des moteurs thermiques. Ainsi, 75 000 exemplaires de la Volt ont été immatriculés et nous avons su tirer expérience de cette première génération afin de concevoir une seconde encore meilleure, lancée aux Etats-Unis cette année. Nous avons annoncé un programme électrique en janvier dernier, qui doit convenir au plus grand nombre. Néanmoins, il faut contextualiser et parler de l’Europe à part entière. Considérant que le véhicule électrique est une solution toujours trop coûteuse pour le client final, nous pensons qu’en Europe, le meilleur moyen de remplir notre objectif de 95 g de CO2/km, en 2020, reste encore de perfectionner la combustion des moteurs thermiques. Nous poursuivons nos recherches. D’autant qu’une telle avancée servira forcément, à terme, aux hybrides. Sans pouvoir l’évoquer avec plus de précisions, nous préparons un successeur à l’Ampera. J’ajouterais enfin que les moteurs Diesel modernes sont propres et ne doivent pas être considérés comme des problèmes pour les grandes villes.
JA. General Motors expose des concepts de véhicules à deux roues, comme la Chevrolet EN-V. Quelles sont les perspectives dans le domaine des nouvelles formes de mobilité ?
MB. Notre gamme en renouvellement et nos solutions de connectivité nous permettent de poser les bases d’un modèle économique qui va évoluer vers de la multimodalité. OnStar peut en effet s’adapter à de la gestion de flotte ou à de l’autopartage. Opel est en phase de consolidation. Nous avons un portfolio dans lequel nous estimons avoir encore des espaces à combler, et il nous faut donc être prudents quant à l’ouverture à de nouveaux marchés, bien qu’Opel se prépare à en profiter. A ceci, il faut encore ajouter que chaque pays aura ses habitudes de consommation de la mobilité, voire même d’une ville à l’autre. Pour le moment, General Motors mène des pilotes à travers le monde pour apprendre et comprendre ces différents besoins.
JA. Quelle est donc votre vision de l’autopartage ?
MB. L’autopartage a besoin de la voiture. Le marché va changer, les technologies aussi, mais dans l’absolu, il sera toujours question d’aller d’un point A à un point B, soit un besoin que General Motors s’emploie à satisfaire, en ajoutant bien sûr des services à valeur ajoutée.
JA. Peut-on avoir un point de vue sur l’autonomie de la conduite ?
MB. General Motors travaille sur cette technologie. Vous pouvez l’essayer sur Opel/Vauxhall, mais le plus avancé du groupe sera Cadillac. Nous avons annoncé que les modèles 2017 auront des fonctions de communication de véhicule à véhicule et vers les infrastructures. Dans certaines circonstances, il sera possible de lâcher le volant et les pédales. Mais la voiture autonome évolue aujourd’hui dans des environnements maîtrisés. Pour la voir rouler dans New York City ou en Inde, il faut gagner en intelligence de réaction.
JA. Comment tous ces défis techniques à relever influencent-ils la politique des ressources humaines ?
MB. General Motors emploie entre 30 000 et 35 000 ingénieurs dans la recherche et la technique à travers le monde aujourd’hui, et je suis personnellement concernée par les problématiques de formation des ressources humaines, notamment dans ce domaine. Le groupe cherche à recruter les meilleurs éléments et nous sommes en cours de création d’un espace de travail qui encourage la fidélité à l’entreprise, par de la mobilité et de la promotion interne. En faisant de General Motors une des entreprises les mieux valorisées, nous allons attirer de nouveaux collaborateurs.
JA. Difficile de ne pas évoquer les incidents techniques qui vous mettent actuellement sous les feux des projecteurs. Quel est l’impact en termes d’image ?
MB. Nous prenons ce problème très au sérieux. General Motors se veut transparent avec les consommateurs et nous prenons des dispositions pour pouvoir leur promettre que cela n’arrivera plus jamais. Nous investissons énormément dans les process de sécurité, en vue d’atteindre le 0 % de défaut dans les véhicules, à travers le monde.
JA. Après plus d’un an à ce poste, jugez-vous qu’il y a une différence à être une femme ?
MB. Non, je ne crois pas. General Motors prête grande attention à la diversité et autour de moi, à la direction, j’ai des profils des plus variés, en termes d’expérience de poste et de régions du monde. Nous composons pour remplir nos objectifs. Vous savez, l’automobile est un secteur très complexe. Nous devons de fait conjuguer les talents pour élaborer la stratégie la plus adaptée. En tant que femme, j’encourage les jeunes demoiselles, bien sûr, mais les jeunes hommes aussi, à poursuivre dans l’automobile. Quelle que soit leur voie, avec une formation à l’encadrement, leur expérience aura de la valeur dans la prise de décision.
JA. Pour finir sur une note légère, pouvez-vous nous dire quelle est votre fonction préférée dans OnStar ?
MB. Je suis toujours occupée et ne veux pas être distraite au volant. J’utilise donc beaucoup de fonctions, notamment la recherche de destination avec mise en relation et la réservation de place, à l’hôtel ou au restaurant.
JA. Quelle voiture conduisez-vous ?
MB. Une Cadillac Escalade. Mais j’ai une affection toute particulière pour la nouvelle Chevrolet Camaro.
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