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Constructeurs

"N’oubliez pas que nous sortons de deux années en mode survie !"

Publié le 15 décembre 2010

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Alain Visser, vice-président d’Opel - Après une période très difficile, Opel, forte de nouvelles certitudes malgré une restructuration encore effective, peut enfin se projeter vers l’avenir et envisager de partir en reconquête. Toujours aussi enthousiaste et affable, Alain Visser nous précise sa vision du marché et nous détaille les projets de la marque.

Journal de l’Automobile. Comment définiriez-vous aujourd’hui le degré d’acuité de la crise d’Opel et le niveau d’avancement du plan de restructuration ?
Alain Visser.
Tout d’abord, les grosses incertitudes et les spéculations sur l’avenir d’Opel sont désormais derrière nous, ce qui est une très bonne chose, naturellement. Après l’épisode Magna et Sberbank et d’autres pistes, chacun sait désormais que Opel reste propriété à 100 % de GM. En outre, la direction de GM a démontré qu’elle consolidait fermement sa décision, en injectant 1,9 milliard de fonds et liquidités dans l’entreprise, soit un effort largement supérieur à ce qui était initialement envisagé dans le premier montage. En revanche, le plan de restructuration est encore en vigueur et notre direction avait annoncé 8 000 suppressions de poste sur un total de 46 000 salariés. Malheureusement, la fermeture de l’usine d’Anvers s’est d’ailleurs révélée incontournable.

JA. Quel est l’impact financier de cette restructuration ?
AV.
Comme l’a récemment confirmé notre président, Nick Reilly, les coûts de restructuration sont lourds, puisqu’ils vont représenter 1 milliard d’euros sur 2010 et vraisemblablement 500 millions d’euros sur le prochain exercice. Cependant, l’essentiel réside dans le fait que le financement de l’entreprise est bouclé, même si un tour de table est en cours. C’est ce qui nous permet d’envisager un retour dans le vert en 2012, hors coûts de restructuration s’entend.

JA. Au moment d’essayer de redevenir profitable, vous devez aussi composer avec une guerre des prix féroce sur le marché européen : comment voyez-vous évoluer cette situation ?
AV.
Dans ce domaine, l’effet des primes à la casse a été très net, d’autant que l’arrêt, progressif ou non, des dispositifs a ensuite été compensé par le biais des incentives constructeurs. Cependant, nous sommes en présence d’un phénomène de fond qu’on ne saurait réduire à une dimension conjoncturelle, dans la mesure où il dure depuis plusieurs années. En fait, en moyenne, le prix des véhicules baisse de 1 % par an, calculs corrigés en prenant en compte les équipements. Et ce depuis dix ans… Très honnêtement, à l’avenir, il n’y a aucune raison pour que cela change. D’une part, rien n’indique que le niveau d’agressivité des marques va se réduire et tout le monde continue donc à provisionner des budgets discount. D’autre part, à moyen terme, l’arrivée des constructeurs chinois, même s’ils ne sont que deux ou trois, n’ira sûrement pas dans le sens d’une inversion de tendance. Bref, nous devons faire avec, surtout les généralistes qui doivent aussi faire face aux constructeurs Premium, qui lancent des modèles plus petits, et à l’ascension des constructeurs coréens. Pour répondre à cette problématique, au-delà du travail sur la réduction des coûts propre au secteur industriel, il faut nécessairement investir très fortement sur la marque et son image. Dans cette optique, le design se révèle notamment central.

JA. Est-ce que cela influe sur votre plan produits, pouvant vous inciter à monter en gamme ?
AV.
Attention à ne pas prendre le problème à l’envers ! Ce sont les véhicules de base qui constituent l’image d’un constructeur généraliste et pas forcément les véhicules de niche. Si vous n’avez pas une image solide à la base, le reste n’est que cosmétique ! En clair, pour Opel, la clé réside dans les segments de la Corsa, de l’Astra, de l’Insignia ou du duo Meriva/Zafira. Même si nous pouvons naturellement en proposer et si cela peut participer de la valorisation de notre image, l’enjeu ne se situe pas pour nous sur les SUV, les cabriolets ou les voitures de sport.

JA. L’image, n’est-ce pas précisément l’un des points faibles d’Opel face aux consommateurs ?
AV.
Je ne pense pas que l’image d’Opel soit mauvaise, loin de là, et plusieurs enquêtes nous le confirment. En revanche, elle est devenue un peu floue. Et nous n’avons pas été aidés par la lourde période d’incertitudes que nous évoquions en préambule. Ainsi, nous estimons que nous sommes passés à côté de 30 % de ventes en Allemagne tout au long de l’épisode Magna. N’oubliez pas que nous sortons quand même de deux années en mode survie ! Le travail sur l’image de la marque est une de nos priorités, comme en attestent notre nouveau slogan et les orientations de plusieurs de nos publicités. Notre ancrage allemand, la notion de précision allemande en fait, doit être davantage mis en avant. Nous devons aussi nous adresser à une clientèle plus jeune et poursuivre notre travail, déjà remarquable à mon sens, sur le design.

JA. Peut-on rapprocher cette volonté de rajeunissement de la clientèle avec le lancement pour 2013 d’une petite voiture branchée, baptisée Junior, que vous évoquez régulièrement ?
AV.
Tout à fait. Ce modèle, que j’ai coutume de désigner par la périphrase “iPod sur roues”, nous permettra de nous positionner différemment et de faire valoir un réel attrait vis-à-vis des jeunes clients. C’est le prolongement d’une démarche initiée avec le renouveau stylistique d’Insignia et poursuivie avec la proposition chic et excitante du GTC. Dans une optique similaire, nous faisons aussi d’ores et déjà des choix plus radicaux dans la sélection de nos ambassadeurs, le ton de nos publicités ou dans notre façon d’exploiter les réseaux sociaux.

JA. Considérant votre image actuelle, pouvez-vous vraiment lancer un modèle positionné comme la Fiat 500 avec succès ?
AV.
Le véhicule Junior sera très innovant à son lancement, mais si vous le comparez à ce qui existe aujourd’hui sur le marché, c’est vrai qu’on peut le rapprocher de la 500. Un véhicule dans le vent, dynamique, compact mais offrant cinq places, pour un prix de vente moyen assez élevé, de l’ordre de 13 000 à 14 000 euros. Honnêtement, si Fiat l’a fait, pourquoi pas nous ?

JA. L’orchestration du lancement de la 500 s’est réalisée avec des budgets marketing importants notamment : alors que la situation financière de votre marque est difficile, disposerez-vous tout de même de cette force de frappe ?
AV.
Je ne vais pas dévoiler maintenant ce que nous allons mettre en œuvre dans les années à venir pour ce modèle, mais je peux vous assurer que nous avons les ressources pour porter ce lancement, vu que le projet a été validé comme une de nos priorités en interne. La Junior doit véritablement nous permettre d’entrer dans de nouveaux univers, plus féminins ou life-style notamment, et de conquérir une nouvelle clientèle. En revanche, j’insiste sur le fait que le modèle restera une Opel, bien intégré dans notre gamme. Audi a gagné un prix pour sa campagne “A8, A1, la taille ne fait pas le statut” et je trouve cela effectivement très pertinent. Bref, Junior se distinguera par ses innovations, son style, son identité Opel et aussi ses motorisations, avec des versions thermiques, mais aussi une version électrique.

JA. A propos de la diversification des constructeurs généralistes vers des univers plus Premium, que vous inspire le choix de Citroën avec la ligne DS et cela pourrait-il vous traverser l’esprit ?
AV.
Je pense que Citroën a pris une très bonne initiative, car si la marque avait de jeunes clients, elle peinait à séduire les jeunes clientes. Mais cette réflexion n’est pas à l’ordre du jour chez Opel.

JA. Vous évoquiez une version électrique pour “Junior”, êtes-vous convaincu par le succès futur de cette technologie ?
AV.
Je crois fermement au succès du véhicule électrique. C’est même une profonde conviction. Cependant, il est difficile de faire des prévisions de marché à l’heure actuelle car l’essor du VE dépend fortement de l’intensité du soutien des gouvernements. Au plan industriel, il faut aussi attendre le déclic de l’effet d’échelle. C’est aussi pourquoi nous proposons l’Ampera, une offre de transition qui est assurément la mieux adaptée au marché actuel.

JA. En termes de prévisions de marché à l’horizon 2020, même si vous pointez la difficulté d’en faire, êtes-vous plus proche de Martin Winterkorn ou de Carlos Ghosn ?
AV.
Comme je vous le disais, je suis persuadé que le VE est promis à un grand avenir, mais cela prendra du temps. Par conséquent, je n’adhère pas forcément aux prévisions avancées par Carlos Ghosn pour 2020. Il faut être visionnaire, certes, mais pas forcément rêveur…

JA. Quelles conséquences peut avoir l’essor du VE sur le secteur automobile, à terme ?
AV.
Dès que la batterie sera devenue mainstream et que la miniaturisation sera effective, le design des véhicules pourra considérablement évoluer. Et des projets que nous considérons aujourd’hui comme futuristes seront une réalité. Par ailleurs, le développement du VE engendrera une grosse évolution au niveau du marketing.

JA. Sur quels marchés prédisez-vous la plus forte pénétration des VE ?
AV.
Même si j’insiste sur le fait qu’il est difficile de faire des prévisions à l’heure actuelle, on peut penser que le VE dispose d’un potentiel très important en Chine par exemple. La Chine, et aussi de grandes villes asiatiques. D’une part, parce que l’air y est parfois déjà irrespirable alors que le parc est amené à croître et d’autre part, parce que ces zones bénéficient d’infrastructures adaptées, avec notamment des voies très larges ouvrant des perspectives intéressantes pour l’intercommunication entre les véhicules. Face à cette réalité, il faut d’ailleurs prendre conscience que l’Europe ne doit pas traîner en chemin car d’autres constructeurs auront bientôt des choses à proposer sur le VE.

JA. En marge du VE et des énergies alternatives en général, poursuivez-vous vos efforts sur le downsizing ?
AV.
Tout à fait. Mais il convient de distinguer deux natures de downsizing. Le downsizing sur la taille des modèles vendus est effectif dans le mix, mais il est dicté par l’environnement du marché, principalement les taxes sur le CO2. En revanche, le downsizing sur les motorisations relève du fait des constructeurs et nous sommes naturellement investis dans cette démarche. D’autant qu’il s’agit d’une tendance durable.

JA. Puisque nous évoquions à l’instant le marché chinois, pouvez-vous nous préciser les perspectives de développement d’Opel hors d’Europe, car cela apparaît comme une condition sine qua non à la viabilité de tout business-plan ?
AV.
Le cœur de notre activité est en Europe et nous avons des objectifs de croissance dans ce périmètre. Nous comptons en effet gagner 1,5 point de parts de marché d’ici deux ou trois ans. Toutefois, nous projetons aussi de conquérir de nouveaux marchés, comme nous l’avons fait en Afrique du Sud. Sur la base de Holden, l’Australie présente un potentiel intéressant, au même titre que la Chine, ou encore le Chili et Israël. Dans certains cas, cela concernera des volumes limités, mais ce sont de réelles opportunités, surtout quand le jeu des taux de change est intéressant.

JA. Hormis la Chine, vous n’évoquez pas les autres BRIC qui concentreront pourtant la croissance mondiale de demain, que doit-on en déduire ?
AV.
Qu’il y a plusieurs projets en cours ou à l’étude, mais qu’il est trop tôt pour en parler…

JA. Quelles sont aujourd’hui vos parts de marchés sur les principaux marchés européens, sachant que vous avez perdu beaucoup de terrain ces dix dernières années ?
AV.
En Allemagne, notre part de marché est de 7,5 % (N.D.L.R. : contre 17 % il y a dix ans), tandis qu’elle s’établit à 12 % au Royaume-Uni, avec Vauxhall, et à 3,5 % en France (N.D.L.R. : contre 6 % auparavant). Sur le marché européen, nous affichons 6,2 % de parts de marché (N.D.L.R. : contre 10 % il y a dix ans). Mais comme je vous le disais, nous comptons croître en Europe dans les années qui viennent et c’est déjà le cas dans plusieurs pays. Nous avons un potentiel de croissance certain sur la cible des particuliers, mais surtout sur celle des entreprises, car l’incertitude liée à notre avenir ne joue plus en notre défaveur. Nous sommes donc optimistes. D’ailleurs, si le changement d’Opel est peut-être difficile à percevoir de l’extérieur, je peux vous assurer qu’il est bien réel.
 

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