Non-respect de la norme Euro 6 : vers des plaintes collectives d'automobilistes ?
Le 13 décembre a été un nouveau jour noir pour l’industrie automobile. Pour rappel, c’est à cette date que les trois villes Paris, Madrid et Bruxelles ont eu gain de cause auprès du Tribunal de l’Union européenne suite à leur recours contre l’assouplissement de la norme Euro 6.
Approuvé par la Commission européenne, cet assouplissement, appelé officiellement "facteur de conformité" et officieusement "permis à polluer", autorisait les constructeurs à mettre sur le marché des véhicules diesel dont les niveaux d'oxyde d’azote (NOx) étaient bien supérieurs à la limite de 80 mg/km fixée par le Parlement européen, dans le cadre de la norme Euro 6. Dans le détail, avant annulation de cet assouplissement, les nouveaux véhicules pouvaient émettre jusqu’en 2020 jusqu’à 110 % d'oxyde d’azote par rapport à cette limite de 80 mg/km, puis jusqu’à 50 % après 2020.
"Une remise en question du poids des lobbyings"
Une situation irrationnelle pour la maire de Paris, qui a fait de la lutte contre la pollution son cheval de bataille. Et ainsi prit la décision de déposer un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, avec le soutien des mairies de Bruxelles et de Madrid. Une démarche payante pour Anne Hidalgo, et ce, à double titre. "Cette décision d’annuler ces permis à polluer va non seulement dans le sens de la protection de la santé publique, mais ouvre la possibilité aux autorités locales de s’exprimer devant le Tribunal de l'UE", a-t-elle déclaré ce matin. En effet, seuls les Etats, la Commission européenne et les acteurs concernés – ici les constructeurs – sont normalement en droit de contester ce type de décisions auprès du Tribunal, ce qui exclut en temps normal toute démarche de la part des maires, non autorisés à agir devant cette juridiction.
"Le recours a finalement été déclaré recevable et a donné gain de cause aux trois villes", a expliqué Jérémie Assous, avocat de la Ville de Paris qui a mené cette action. "Il s’agit d’une décision inédite, qui non seulement remet en question le poids des lobbyings, mais redonne également la parole aux citoyens. Cette jurisprudence signifie que chaque citoyen, par l’intermédiaire des collectivités, peut contester une norme européenne afin de demander réparations", complète Anne Hidalgo, qui ouvre la voie aux actions collectives, comme cela a été le cas notamment aux Etats-Unis après le scandale du Dieselselgate. "On peut parler de coup d’Etat judiciaire : le droit de contester est passé des mains de quelques vingtaines de personnes à des millions de citoyens", illustre Jérémie Assous.
"Vers une accélération du renouvellement du parc"
Un discours qui contraste avec la réaction officielle de la Commission européenne au lendemain de la décision d’annulation de ces facteurs de conformité. L’institution avait alors déclaré à l’AFP qu’elle prenait note du jugement et allait "l’analyser en détail pour voir comment procéder". Commission qui dispose d’ailleurs de deux mois pour entamer un éventuel pourvoi devant la justice européenne afin de contester cette annulation.
Et pour les constructeurs, que change cette décision ? Dans l’immédiat, rien, puisque, afin d’éviter toute incertitude juridique en attendant une nouvelle réglementation, le Tribunal de l’UE a maintenu les effets de la disposition facteur de conformité "pour le passé et pour une période raisonnable pour permettre de modifier la règlementation en la matière". Traduction : les constructeurs ont donc douze mois pour mettre en conformité leurs moteurs aux exigences de la norme Euro 6, sans pénalité ni rappel pour les VP et VUL neufs déjà immatriculés en prenant compte du facteur de conformité. La disposition pourrait cependant bien poser de nouveaux problèmes de production et de livraison pour certaines marques, déjà pénalisées par le passage au cycle d’homologation WLTP.
Mais, pour Anne Hidalgo, cette décision aura surtout pour effet d’impliquer un peu plus les constructeurs dans la transition industrielle. "Cette décision va donner une nouvelle feuille de route en stoppant cette distorsion de la concurrence dans le secteur de l’automobile. Les constructeurs qui ont fait le choix de sortir du diesel plus vite que les autres et pensent à la mobilité dans sa globalité vont être mis à l’avant-garde." La maire de Paris espère aussi une accélération du renouvellement du parc automobile français vieillissant. "L’Europe doit mettre en place une politique industrielle d’accompagnement de la sortie du diesel et plus généralement du thermique, explique-t-elle. Je crois beaucoup à la capacité de cette industrie à s’adapter vite. Mais cette mutation industrielle va également générer une évolution des emplois de ce secteur qui emploie plus de 13 millions de personnes dans le monde. Il est donc indispensable de se préoccuper de l’accompagnement social." Un discours finalement pas si éloigné de celui de l’Acea et de son président Carlos Tavares.
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