Martin Winterkorn élu Homme de l’Année 2008 !
Si une finale allemande était prévisible, tant Martin Winterkorn et Wendelin Wiedeking faisaient la quasi-unanimité au sein du jury, il ne faut pas croire que les discussions se sont limitées à tenter de départager les deux hommes. Plusieurs membres du jury ont notamment mis en avant Ratan Tata, son macro-empire et sa nano-voiture : "Avec ce choix, nous trouverions quelqu'un qui a sauvé deux fleurons de l'histoire automobile, Jaguar et Land Rover, mais aussi quelqu'un qui peut changer cette industrie. Dans cette période économiquement troublée, mais annonçant des défis vertigineux, ce serait l'occasion de faire le lien entre héritage et futur". Cependant, 2008 fut-elle vraiment l'année de Tata, alors que les résultats financiers fléchissaient et que le projet Nano se heurtait précisément à quelques difficultés ? Pour d'autres membres du jury, Vincent Besson mérite une consécration pour saluer son travail de fond sur les produits de Citroën. Produits commercialement couronnés de succès et insufflant un vent de fraîcheur sur le marché tout en anticipant les modifications du mode de consommation de l'automobile. Certes, mais la distinction de Jean-Pierre Ploué l'an dernier ne répondait-elle pas déjà en grande partie à ces arguments…
FOCUSLes membres du jury • Astagneau Denis, France Inter |
La crise en toile de fond de l'élection
D'autres membres du jury estiment aussi que Thierry Morin peut rallier bien des suffrages, pas nécessairement le manager rigide et impitoyable, mais le stratège qui a compris très tôt que les équipementiers devaient apporter des solutions globales. Sous sa houlette, Valeo a su élargir sa base de clientèle et sa couverture géographique, porté par une vision à long terme. "Mais ses hésitations sur le sujet des plates-formes et surtout son mode de management par le stress et l'autorité le rendent moins incontournable". Pour d'autres membres du jury, la crise change la donne traditionnelle de l'élection, l'un d'entre eux pensant même que le prix n'a pas vraiment lieu d'être pour 2008. "L'automobile est en guerre. C'est la crise. Une crise faite de milliards de dollars évaporés, de plus encore de milliards d'aides, de fermetures d'usines, d'emplois supprimés, de participations envisagées et de rachats en projet. La crise du manque d'anticipation d'une industrie omnisciente, productrice de l'objet structurant du 20e siècle, coupable de ne pas avoir eu d'autres desseins que de satisfaire ses pontes, dirigeants et actionnaires. Et son ego. Une affaire d'hommes cette guerre. Dans ce contexte, mieux vaut opter pour une femme en prise directe avec l'écologie, capable de sortir l'automobile de sa vieille image et de porter des valeurs de vision de d'humanisation. Nathalie Kosciusko-Morizet correspond à ce nouveau dessein". Si le principe et la démarche sont louables, NKM a-t-elle vraiment laissé une empreinte dans l'automobile en 2008 ? Non, répondent la plupart des jurés.
Audi : l'atout maître
Dès lors, les discussions se cristallisent autour de Wendelin Wiedeking et de Martin Winterkorn. Le fait automobile de l'année, bien qu'opaque, n'est-il assurément pas l'opération Porsche/ Volkswagen ? Attention, Rupert Stadler reste encore en lice, car le bilan immaculé de la marque Audi en 2008 a fait forte impression. "Quand tout s'écroule, même l'indéboulonnable Toyota, une seule marque surnage, Audi !", s'enthousiasme un membre du jury. C'est précisément l'atout Audi qui va faire basculer la victoire dans le camp de Martin Winterkorn. Surtout que sans faire offense à Rupert Stadler, c'est bien Martin Winterkorn qui a présidé aux destinées de la marque aux anneaux de 2002 à 2007. Nombre d'analystes n'hésitent d'ailleurs pas à parler de "cycle Winterkorn" pour expliquer la réussite actuelle de la marque. Malgré la crise et l'effondrement des marchés, Audi vient pourtant de battre un 13e record annuel consécutif de ventes, dépassant la barre symbolique du million de véhicules immatriculés (1 003 400 ventes soit + 4,1 % par rapport à 2007). "La marque a dépassé BMW en Europe ; le fait de ne pas être trop dépendant du marché américain, qui lui fut reproché, s'affirme comme un avantage, d'autant que par corollaire il lui reste un potentiel de croissance outre-Atlantique ; ses résultats en Chine sont spectaculaires. Bref, sa stratégie de diversification géographique est très équilibrée", détaille un membre du jury.
Le meilleur généraliste face à la crise
Cependant, on ne saurait aujourd'hui réduire Martin Winterkorn à Audi. A la tête du groupe Volkswagen, il affiche aussi des résultats émérites. Dans le clan en déroute des généralistes, le groupe Volkswagen a su tirer son épingle du jeu en 2008 avec des ventes en croissance de 0,6 %, à 6,23 millions de véhicules. Au-delà d'Audi, Volkswagen VP a aussi enregistré un nouveau record avec 3,67 millions de ventes (+ 0,1 %), tandis que Skoda et Volkswagen Utilitaires rendaient respectivement une carte de 674 500 immatriculations (+ 7,1 %) et de 488 700 ventes (+ 2,9 %). Seule la marque Seat, chroniquement malade depuis plusieurs années, n'a pu éviter un recul de ses positions. "Nous avons tenu notre promesse : le groupe Volkswagen a livré plus de véhicules que jamais, dans une année pourtant difficile. Cela prouve l'efficacité de la stratégie multimarques que nous poursuivons et cela démontre aussi que notre gamme de modèles jeunes et attractifs est favorablement accueillie par les clients du monde entier", commentait sobrement Martin Winterkorn lors du Salon de Detroit. Comme pour la seule marque Audi, la pertinence de la couverture géographique du groupe est ainsi à souligner. Ses trois premiers marchés sont en effet l'Allemagne (1,06 million de ventes à + 0,4 %), la Chine (1,02 million à + 12,5 %) et le Brésil (633 300 à + 8,9 %). En Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis, le groupe a vu ses ventes s'éroder, mais à un rythme moindre que celui du marché. Aux USA, le groupe fait d'ailleurs tout l'étalage de sa pérennité en confirmant en septembre la création d'une nouvelle usine au Tennessee en pleine tempête. "Nous devenons le constructeur européen le plus important sur ce marché et nous devons donc y établir une base importante de notre développement. Cette usine nous aidera par ailleurs à limiter l'impact des fluctuations de taux de change", souligne Martin Winterkorn.
L'art de la diversification
Cet art de la diversification est l'une des marques de fabrique de ce capitaine d'industrie, comme en témoigne notamment son action de consolidation du groupe sur l'activité PL. En juillet dernier, le groupe est ainsi devenu l'actionnaire majoritaire de Scania AB avec 68,6 % des parts de droits de vote. Suite à l'épisode de la vraie-fausse OPA de Porsche, Volkswagen détiendra bientôt 49,29 % de Scania pour 71,81 % des droits de vote. Une diversification que l'on retrouve encore sur le front des recherches sur les énergies alternatives. Au-delà du travail d'optimisation, somme toute classique, réalisé sur les technologies existantes (TDI, TSI, DSG…), et en plus des recherches à long terme menées sur l'hydrogène (articulées autour de deux axes : un process de combustion à froid et un système fuel-cell à haute température), le groupe est présent sur toutes les pistes prometteuses, se prémunissant de tout dogme : gaz naturel, bio-masse, bio-carburants, carburants synthétiques (notamment l'éthanol à base de cellulose), et bien sûr, l'électricité (le groupe vient notamment de conclure un accord avec Toshiba en vue de lancer une gamme de petites voitures baptisée "New Small Family"). Ingénieur de formation, Martin Winterkorn suit de près ces sujets et n'hésite pas à rappeler, souvent pris à parti sur la position environnementale contestable des constructeurs allemands, que son groupe fut le premier à proposer une solution hybride, via Audi, mais que le marché n'était alors pas prêt. Il souligne en outre, qu'à peine arrivé à la direction de Volkswagen, il a lancé le projet d'une toute petite voiture Volkswagen, située en dessous de la Fox. Elle sera prochainement dévoilée et commercialisée sur les marchés émergents comme dans les pays traditionnels. Contrairement à ses prédécesseurs, il a tenu à ce que Volkswagen développe ce véhicule névralgique seul, rompant ainsi les projets d'association avec Fiat et Ford. L'homme est aujourd'hui résolument tourné vers l'avenir, appliquant toujours des méthodes résolument pointilleuses et un style direct. "Ne m'ennuyez pas avec les bonnes nouvelles, donnez-moi les pires", dit-il souvent à ses cadres. Méconnu dans le triangle latin, l'homme jouit d'une très forte notoriété en Allemagne, comme en témoigne sa récente intervention "politique" dénonçant le protectionnisme de l'Etat et des constructeurs français. A ceux qui veulent le réduire au fils préféré de Ferdinand Piëch, il rétorque simplement qu'il "a travaillé avec lui depuis près de trente ans et qu'il a énormément appris à ses côtés, mais que cela ne s'est pas fait dans la soumission". Et à ceux qui souhaitent monter en épingle sa rivalité avec Wendelin Wiedeking, il lance avec affabilité : "Nous sommes très complémentaires, Monsieur Wiedeking est très porté sur la dimension marché de l'activité quand je me concentre volontiers sur sa dimension technologique".
Photo : L'incroyable succès d'Audi se poursuit et de nombreux analystes n'hésitent pas à parler de "cycle Winterkorn".
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