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Constructeurs

Lucien Mathieu, T&E : "La réglementation CO2 ne doit pas faire les frais de la crise"

Publié le 14 avril 2020

Par Alice Thuot
7 min de lecture
Lucien Mathieu, analyste transport et mobilité électrique pour l’association européenne Transport & Environment, revient sur la demande de moratoire de l’ACEA et les défis qui attendent les constructeurs.
Pour T&E, la crise actuelle ne doit pas remettre en cause les objectifs CO2.

 

Pourquoi selon T&E, la crise du coronavirus n’est pas un contexte valable pour demander un moratoire sur les objectifs européens de CO2 ?

Pour la simple raison que la conformité avec la règle européenne CO2 est tout à fait possible, même dans ce contexte. Premièrement, l’atteinte de ces objectifs ne dépend pas du nombre mais du type de véhicules. Les chiffres de mars illustrent bien cela : sur ce mois, les véhicules hybrides, 100 % électriques et hybrides rechargeables, ont représenté 12 % du marché européen, un record, malgré la forte chute des immatriculations totales. Et ce record a été observé dans tous les marchés clés. Deuxièmement, il a déjà été constaté qu’une crise induisait un recul des émissions de CO2 des VN écoulés : en 2009, ce niveau avait affiché un repli de 5,1 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans ce contexte de crise, les automobilistes ont une tendance à se diriger vers les petits et moyens véhicules.

 

Les constructeurs sont-ils suffisamment armés dans ce contexte ?

Les constructeurs disposent aujourd’hui d’une gamme suffisamment large, aussi bien en électriques qu’en thermiques, positionnés sur ces segments de marché. Rien que sur l’électrique, 50 % des modèles disponibles sont issus du segment des petits véhicules, les trois-quart sur celui des petits et moyens véhicules. Il ne faut donc pas que la réglementation fasse les frais du coronavirus et que nous réouvrions le débat à ce sujet. Les constructeurs ne sont d’ailleurs même pas d’accord entre eux sur cette question de moratoire. Certains se sont bien préparés et voient dans cette perspective de moratoire la perte d’un avantage concurrentiel. D’autres, du coté de l’Allemagne, sont a la traîne et se sont fédérés derrière cette demande, qui est, en tous les cas, dangereuse pour la compétitivité de l’industrie automobile européenne.

 

Pour quelle raison ?

On peut prendre un exemple très parlant pour illustrer l’impact négatif sur la compétitivité du secteur d’un report ou d’un assouplissement de ces normes CAFE. En 2009, lors de la précédente crise économique, Barack Obama a accepté de venir en aide à GM à condition que le groupe accepte des objectifs de réduction de CO2. Au final, cette condition a été très bénéfique pour GM, en lui permettant de se créer une certaine avance, d’être compétitif sur le plan CO2. De façon plus globale, le compétitivité de l’industrie européenne va être intimement liée à sa capacité à réaliser sa transition vers la mobilité électrique. Une régression sur les standards CO2 serait synonyme d’une baisse des ambitions en termes d’électromobilité, ce qui serait alarmant face à des constructeurs américains ou chinois qui eux, se lancent pleinement dans l’électrique. Une baisse de la compétitivité sur ce segment d’avenir serait donc préoccupante à la fois au niveau niveau industriel et climatique.

 

L’engouement pour les électriques début 2020 est-il réellement du à une demande naturelle ? On se souvient d'un volume massif en janvier, suite aux rétentions, intentionnelles, des immatriculations fin 2019. 

Il est vrai que lorsque nous avons observé les immatriculations en janvier 2020, nous nous étions effectivement dit que nous n’avions pas assez de données pour conclure à une tendance générale. Nous ne pouvions pas faire une distinction entre demande naturelle et immatriculations expressément reportées en début d’année. Il est certain que ce décalage d’immatriculations de la fin de 2019 au début 2020 - que nous ne pouvons pas mesurer- a eu un impact. En France, l’impact de la fin du bonus à 6 000 euros pour les professionnels, initialement prévue fin mars, a certainement eu un effet que nous n’avons pas les moyens de mesurer. Mais il ne s’agit pas uniquement de cela, les chiffres des mois suivant l’ont prouvé. L’augmentation dans les ventes totales des modèles électriques en mars donne une certaine indication qui concorde avec nos estimations. T&E a en effet évalué de 5 et 7 % la part des véhicules électriques dans les ventes totales en Europe en 2020, une proportion qui varie selon les constructeurs et les marchés. Nous sommes donc dans les clous par rapport aux analyses, qui estiment, pour 2021, une part de marché de 10 %.

 

Quid des problèmes de production qui pourraient perturber les stratégies des constructeurs ?

Nous suivons de prêt l’impact des fermetures d’usines et des arrêts de production en Europe en nous basant sur les données fournies par IHS Markit. Ces perturbations concernent tous les types de véhicules, qu’ils soient thermiques ou électriques. Il faut également noter que beaucoup de modèles électriques, au volume potentiellement important, doivent démarrer leur production durant la deuxième moitié de l’année. On peut citer la Volkswagen ID.4, la Fiat e-500 ou encore la Seat Leon PHEV. Les fermetures d’usines et arrêts de productions n’ont, pour l’heure, pas d’impact. Il faut aussi garder en tête que les électriques ne sont pas les seuls moyens pour les constructeurs d’atteindre leur objectif CO2. Ils disposent également de crédits carbone, à hauteur de 7 g/km par éco-innovation reconnues. Parmi elles, les éclairages à LEDs par exemple.

 

Vous faisiez référence à l’engouement pour les petits véhicules en période de crise, n’est-ce pas dangereux pour la profitabilité des constructeurs, qui parallèlement, n’ont jamais autant investi ?

Il est difficile pour nous de commenter l'aspect économique et la profitabilité des constructeurs. On peut juste observer que, ces dernières années, les profits des constructeurs ont été très importants grâce à l’explosion du segment des SUV. Des économies ont été faites, les constructeurs ont profité de cette rentabilité, et c’est tant mieux. Il est évidemment primordial que ces acteurs soient rentables. Mais il est aussi important que ces aspects n’entravent pas la transition énergétique. D’ailleurs, les programmes de relance des différents Etats doivent s’orienter vers ces objectifs, à travers des primes à la casse permettant l’achat de véhicules zéro émission. Le segment des professionnels est particulièrement à soutenir : leur vision TCO leur permet d’appréhender plus facilement que les particuliers les avantages de l’électrique. Leurs achats de VN permettent de mettre sur le marché des occasions plus abordables pour les particuliers. Dans ce contexte, il est par exemple extrêmement dommageable que l’Etat français ait décidé d’une diminution du bonus pour les professionnels.

 

D’aucun soulignent l'impact négatif sur la demande en électrique de la chute des prix des carburants...

Le prix du pétrole et son évolution est quelque chose de difficile a observer et analyser, puisque imprédictible. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un indicateur très pertinent pour observer la transition vers la mobilité électrique. Déjà, puisque même si le baril est à 20, 50, 100 euros, cette transition énergétique est absolument indispensable. De plus, avec les taxes, la variation du prix du baril ne se reflète de toute façon pas le prix à la pompe.

 

Cette crise pourrait-elle profondément changer notre perception vis à vos de la mobilité ?

Elle pourrait être un levier de réduction des déplacements quotidiens entre le domicile et le travail, via la démocratisation du télétravail. Mais à ce stade, ce n’est que de la spéculation. Il est vrai que la réduction de l’utilisation des véhicules particuliers et de l’autosolisme, via le télétravail, et l’utilisation des transports en commun, vont de pair avec une transition vers la mobilité électrique, pour réduire à la fois le nombre de trajets, mais aussi leur impact

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