Luc Chatel, PFA : "La crise actuelle complique un peu plus cette transformation historique de l'automobile"
La France est-elle capable de prendre le virage de la deuxième révolution automobile ? C'est à cette question que la Journée de la filière automobile, organisée par la PFA le 26 octobre 2021, va tenter de répondre. Luc Chatel, le président de la PFA, va en effet présenter le fruit d'un long travail baptisé "Quelle feuille de route pour la filière automobile à l'horizon 2030 ?"
Il s'agit d'un plan pour que l'industrie automobile française relève le défi de la transformation historique qu'elle est en train de vivre. La PFA a ainsi chiffré à 17,475 milliards d'euros, sur 5 ans, les investissements nécessaires pour réussir cette transition (dont 30 % doivent être des accompagnements publics). L'industrie de notre pays doit, pour rebondir, capter de nombreux investissements dans cinq secteurs essentiels. Ainsi, la PFA ambitionne que l'Hexagone représente 20 % du marché européen des batteries, 25 % de celui de l'hydrogène, 25 % de celui de l'électronique de puissance, 15 % de celui de la connectivité et des services et enfin exploite 8 usines dédiées à l'économie circulaire.
Le 26 octobre prochain, le gouvernement, qui sera présent à la journée de la PFA, va également donner plus de précisions, notamment sur la ventilation des investissements alloués à l'automobile dans le plan France 2030.
Création de zones franches
Pour atteindre ces objectifs, certaines choses vont devoir évoluer. Luc Chatel pointe notamment la compétitivité et milite pour la création de zones franches pour les productions de véhicules électriques. "L'Europe a décidé d'une mutation à marche forcée, indique le président, elle doit maintenant accompagner les entreprises notamment avec la création de zones franches." Pour lui c'est un sujet européen, qui demandera sans doute du temps, mais Luc Chatel affirme avoir eu un écho favorable de la part du gouvernement et de Thierry Breton, commissaire européen. "La France doit porter cette question durant sa présidence de l'Union européenne", appuie Luc Chatel. A quoi pourrait ressembler, fiscalement, une zone franche ? On pourrait imaginer une exonération des impôts de production et une réduction des charges sociales de 50 à 75 %.
Quant à l'objectif de 2 millions de véhicules électriques produits en France à l'horizon 2030, qui fait partie du plan France 2030 présenté par Emmanuel Macron, le président de la PFA reconnaît qu'il s'agit "d'un objectif ambitieux mais pas hors de portée. A condition d'y mettre les moyens." L'enjeu de la compétitivité refait surface ici, la PFA pointant, par exemple, un écart d'environ 40 % entre la main d'œuvre espagnole et française.
Un réel travail doit être entrepris sur ce sujet pour rebondir. "Ce n'est pas un hasard si la France est passée de la 2e à la 5e place en termes de production de véhicules en voyant chuter son volume annuel de 3,5 à 2 millions" rappelle Luc Chatel.
Se mettre une balle dans le pied ?
La PFA a également travaillé sur un scénario de montée en puissance des véhicules électriques en corrélation avec le plan européen Fit for 55. Elle envisage ainsi que les VE et les PHEV représenteront 70 % du marché en 2030, avec un passage intermédiaire à 38 % en 2025 (9 % e 2020). Une projection qui n'aurait sans doute pas été la même il y a seulement deux ans tant les choses accélèrent. Il faut dire que la neutralité technologique a volé en éclats avec les futures réglementations, l'électrique est le seul moyen pour les respecter, donc les constructeurs savent où ils doivent aller. Quant au fait de "se mettre une balle dans le pied", Luc Chatel note que là aussi les choses ont changé en prenant l'exemple des États-Unis. "Il y a encore deux ans, au salon de Détroit, à part tesla, l'électrique n'était pas un sujet. Aujourd'hui, tous les grands constructeurs américains sont clairement engagés dans la course à l'électrique en investissant massivement."
Enfin, au sujet des PHEV, la PFA souhaite toujours que les modèles hybrides rechargeables fassent partie de cette transformation. "Nous défendons toujours la pérennisation des PHEV, indique Luc Chatel, au moins pour un temps car par nature il s'agit d'une technologie hybride. Puis il ne faut pas oublier que nous produisons sur notre sol ces modèles à forte valeur ajoutée." Un combat que devra aussi mener le président de la République durant la présidence française de l'UE durant laquelle devrait être totalement finalisé le plan Fit for 55.
L'impact des VE sur le contenu et le prix des véhicules
Ces changements vont avoir de lourdes conséquences sur l'industrie dans son ensemble. En premier lieu, l'emploi sera impacté. La PFA estime que 60 000 emplois vont être détruits (solde net entre destructions et créations) du fait de cette transformation. Ce chiffre vaut dans une situation de rebond de l'industrie automobile française, car dans le scénario catastrophe où le déclin se poursuit, il pourrait grimper à 100 000 emplois. Rappelons que l'automobile représente en France 360 000 emplois, hors intérim, et environ 400 000 avec ce dernier.
Ce bouleversement va aussi complétement redistribuer les cartes chez les fournisseurs car le contenu des véhicules va évoluer. Ainsi, selon un travail réalisé, sur des données de 2019, par la PFA avec Alix Partner, l'écosystème des pièces liées à un moteur thermique par exemple (moteur, transmission, échappement, alimentation en carburant, essieux, etc..) va passer de 5 500 euros par véhicule à 600 euros (prix d'achat des pièces par les constructeurs).
Logiquement, l'électronique de puissance (1 500 euros) ou encore les batteries (8 000 euros) vont prendre plus de place. Ainsi, au final, là où un véhicule thermique coûtait 15 100 euros, celui 100 % électrique grimpe à 23 900 euros (toujours prix d'achat des pièces par les constructeurs), soit une hausse de 58 %. Les équipementiers de tous les rangs vont devoir s'adapter rapidement, sous peine de disparaître. La PFA a d'ailleurs mis en place un fond pour soutenir l'innovation des PME.
Des tensions logiques mais surmontables
Luc Chatel est également revenu sur l'actualité immédiate, notamment la pénurie de semi-conducteurs qui va faire perdre de 3 millions de véhicules produits en Europe cette année. "Cette crise fait des dégâts, insiste Luc Chatel, "et complique encore un peu plus cette transformation historique de l'automobile." Malheureusement, pourrait-on dire, le président de la plateforme a évoqué "une crise durable, sur une grande partie de l'année 2022 encore" pour les semi-conducteurs mais pointé aussi la hausse des matières premières. Rappelons que le prix de l'acier a, par exemple, bondi de 120 % ou que le prix du fret avec la Chine a été multiplié par dix. Ajoutez à cela, un marché du neuf en baisse durable de 20 % et cela ajoute encore des problèmes.
Une situation qui fait naturellement naître des tensions dans les relations entre constructeurs et équipementiers, notamment sur la manière de répercuter ses hausses. Mais plus largement, malgré ces tensions, Luc Chatel milite pour "jouer collectifs, car c'est vital" en soulignant le rôle de la PFA qui est un lieu d'échanges. Le président soulignant notamment des coopérations dans des domaines d'avenir comme la connectivité où Renault et Stellantis collaborent avec Orange. Il met également en avant les rencontres des patrons de la R&D des constructeurs et équipementiers, organisées par la PFA.
Quant à la hausse du carburant, sujet d'actualité par essence, Luc Chatel n'y va pas de sa proposition mais réfléchit seulement sur ce que cela peut dire de notre époque. "Dans l'éventualité où cette hausse serait durable", l'ancien ministre y voit un facteur d'accélération pour l'électromobilité, rendant son TCO encore plus compétitif. Mais surtout, pour lui, "cela nous rappelle que l'automobile est indispensable au quotidien pour une très large partie des Français. Dans certains cercles de réflexion, on a peut-être tendance à l'oublier."
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