Lettre ouverte à Christian Streiff
...et votre arrivée aux commandes de ce grand Groupe industriel en est un témoignage.
D'aucuns laissent cependant entendre que ça ne bouge pas assez. Ils ont sans doute quelque raison de le faire. Ainsi François Heisbourg, dans son très récent ouvrage "l'épaisseur du monde", écrit : "Si on appliquait ce rythme de progrès (celui du traitement de l'information ; note d'E.F.) à d'autres domaines, une voiture neuve coûterait moins d'un euro et roulerait plusieurs centaines de milliers de kilomètres avec un litre d'essence". Croyez-moi : on est assez loin de cet objectif, et vous aurez beaucoup à faire pour vous en approcher quelque peu. Pourtant, Dieu sait si on investit sur le Produit ! Comme dans quelques autres secteurs, on tend à considérer que le Produit est tout. C'est presque vrai, d'ailleurs. Dommage que notre petit monde soit en panne d'imagination, dans ce domaine comme dans quelques autres. Depuis longtemps, nous compensons notre absence d'idées de trois façons : en enrichissant "toujours plus outre" le contenu électronique des modèles ; en utilisant le pantographe, c'est-à-dire en reproduisant le même concept dans tous les segments de marché : c'est ainsi qu'est née, entre autres, la 1007 ; en recourant au grand mixer de l'automobile, qui est à l'origine de tous les cross-over qui naissent chaque jour.
Bref, l'automobile a quelque peu perdu ses marques, sauf celles qu'elle devrait perdre et qui continuent à vivoter. Des marques, d'ailleurs en bonne santé, vous n'en avez que deux, ce qui est une chance inouïe ; vous allez faire des envieux parmi vos égaux. Il n'est pas exclu, d'ailleurs, que l'amitié fraternelle ne pousse ceux qui en ont cinq ou six à vous en proposer une, à un prix imbattable et très inférieur à celui qu'ils ont payé eux-mêmes au moment de l'acquisition. Vous verrez bien, mais je vous conseillerais de vous méfier : vous avez mieux à faire que de prêter assistance à vos concurrents en les libérant d'un fardeau. Le Groupe que vous dirigez a intégré Citroën en quelques décennies, et lui a fait retrouver ses racines esthétiques. Comme vous l'avez sans doute déjà remarqué, il lui reste (et il vous reste) à parfaire l'opération en différenciant les cibles de clientèle auxquelles les deux marques peuvent s'adresser. Ce n'est pas une mince affaire, c'est une affaire d'expansion rentable, difficile à mettre en œuvre mais, à mon humble avis, indispensable.
Ce n'est pas tout, et je m'en voudrais, Monsieur, d'oublier un ou deux autres défauts majeurs de notre microcosme. D'abord, notre conception archaïque du monde nous amène à considérer la Demande comme un élément intangible, hors de la portée des constructeurs et des distributeurs. C'est une thèse confortable et étayée par de savantes études sur le marché "mature", cyclique et stagnant. Permettez-moi donc de faire naître en vous quelques doutes, au moyen de deux ou trois questions. Tenons-nous en au marché français : il s'y vend, bon an mal an, deux millions de véhicules neufs et six millions de véhicules d'occasion. Cela ne vous choque-t-il pas ? N'y a t il vraiment rien à faire, au niveau de l'offre de nouveaux modèles, pour faire basculer des acheteurs de VO. vers les VN ? Et ne peut-on vraiment pas intervenir auprès de quelque Autorité, pour limiter la durée de vie des voitures ? Cette insuffisance de notre monde en rejoint une autre, par le truchement du prix clientèle du Produit automobile. Pour réveiller la Demande, il faut aussi faire chuter les prix, ce qui suppose qu'on réduise les coûts ; et s'il y a un domaine dans lequel on n'a rien fait de ce point de vue, c'est celui de la distribution automobile. Les réseaux de vente des constructeurs sont des objets désuets et coûteux. Mais ceci est une autre histoire.
Je vous remercie pour votre aimable attention et vous salue bien respectueusement.
Ernest Ferrari, Consultant
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