Les tendances de Genève
Pour sa 82e édition, le Salon de Genève s’est plus que jamais révélé central, comme en témoignait le nombre élevé de nouveautés importantes mises en avant. Cependant, en toile de fond, c’est bien entendu la crise de la “vieille” Europe qui mobilisait les grands patrons. Juste avant le Salon, Matthias Wissmann, président de la Fédération allemande de l’industrie (VDA) revoyait précisément les prévisions de la zone Europe de l’Ouest à la baisse, tablant sur un marché en recul de 5 %, à 12,1 millions d’unités. C’est aussi le scénario retenu par les experts d’IHS Automotive, tandis que les analystes de Fitch Ratings vont même plus loin : “Le marché du VN devrait chuter de plus de 5 % en Europe de l’Ouest cette année. Concernant les principaux marchés, l’Allemagne devrait perdre 2 %, la France 7 %, l’Italie 8 % et l’Espagne et le Royaume-Uni 3 %”. Comme prévu, le début de l’année est d’ailleurs sévèrement orienté à la baisse, avec – 9,1 % sur janvier-février, soit quelque 200 000 ventes évaporées.
Des inquiétudes à relativiser
Les grands dirigeants raisonnent au diapason des analystes et Didier Leroy, président de Toyota Europe, ne s’en est pas caché : “Nous sommes très prudents, car nous pensons qu’il y a une grave crise de confiance des clients en Europe de l’Ouest et la situation est d’ailleurs pire que prévu sur les deux premiers mois de l’année”. Toutefois, Didier Leroy estime que la marque pourrait faire fi de la conjoncture et afficher une croissance de 2,7 % dans cette région cette année, notamment parce que les performances de l’exercice écoulé avaient été grevées par les catastrophes naturelles en Asie. Toyota pense donc pouvoir passer de 822 386 ventes à 835 000, ce qui se traduirait par une hausse de sa part de marché de 0,3 %, de 4,2 à 4,5 %. Même Martin Winterkorn, président du directoire de Volkswagen AG, groupe qui vient de présenter des résultats annuels remarquables, se montre mesuré : “2012 s’annonce comme une année difficile, principalement sur les marchés d’Europe du Sud”, en ajoutant cependant : “Nous pensons pouvoir rééditer notre performance de ventes mondiales de 2011 et les deux premiers mois de l’année ont d’ailleurs été excellents pour nous”.
Une surcapacité de 24 millions d’unités en Europe !
Fondamentalement, ce n’est pourtant pas le repli du marché européen qui pose problème. En effet, cette baisse n’est pas vertigineuse et elle était de surcroît attendue. Sur un marché parfaitement mature, presque essentiellement mû par le principe du renouvellement, les turbulences économiques, en l’occurrence de grande ampleur, ont logiquement un impact sur la confiance des ménages et la décision d’achat. Les dispositifs d’incitations à l’achat des états sont par nature exceptionnels et le levier dynamique des nouvelles offres produits a ses limites. Dès lors, le recul des ventes de VN n’a rien de surprenant. De plus, considérant qu’il serait contenu aux alentours de 5 %, on ne peut pas parler de cataclysme. En fait, le véritable problème réside dans les surcapacités industrielles dont souffrent plusieurs constructeurs. “Hormis le petit nombre d’usines vraiment peu performantes qui ont été fermées, peu de choses ont été mises en place dans cette région pour traiter le problème des surcapacités, surcapacités qu’on estime au-delà de 24 millions d’unités”, assène Paul Newton, expert d’IHS Automotive, tout en soulignant que les interférences politiques viennent compliquer une équation industrielle initialement simple.
“Difficile de faire l’économie de la fermeture de certaines usines”
Parmi les constructeurs concernés, on trouve notamment Peugeot, Citroën, Renault, Opel et Fiat. Des constructeurs qui sont d’une certaine manière victimes d’une double peine car ils sont presque tous très dépendants de l’activité en Europe de l’Ouest. D’où des pertes majoritairement déplorées au titre de l’exercice 2011. “Si ces constructeurs ne s’attellent pas rigoureusement et durablement au redimensionnement de leur outil industriel dans cette région, nous ne voyons pas comment leur situation peut évoluer positivement”, indique Emmanuel Bulle, de Fitch Ratings, avant d’ajouter : “De nouvelles restructurations sont nécessaires et comme en 2009, il sera vraisemblablement difficile de faire l’économie de la fermeture de certains sites”.
L’insolente réussite du Premium
En revanche, les constructeurs Premium sont épargnés par les tensions du marché. Après avoir dégagé des résultats souvent historiques en 2011 (Audi et BMW), ces constructeurs ont d’ailleurs largement fait le show à Genève. Audi présentait notamment la nouvelle A3, qui inaugure la plate-forme MQB du groupe. Les dirigeants d’Audi ont clairement joué la continuité, ne prenant pas de risques sur un segment névralgique. Ce qui inspire ce commentaire à Paul Newton : “Même si elle est complètement nouvelle, cette A3 est difficile à distinguer de l’ancien modèle. Audi a peut-être manqué une opportunité de changer la donne sur ce segment”. Toutefois, ce reproche pourrait vite devenir caduc si cette troisième génération d’A3 enregistre d’aussi bons résultats que les précédentes. En outre, on sait que la marque a des cycles de produits plus longs que ses concurrents et une relative neutralité est dès lors bonne conseillère. De son côté, BMW adoubait sa nouvelle Série 3 qui devrait représenter 420 000 livraisons cette année et rester sans coup férir le modèle Premium le plus vendu au monde. Ce volume pourrait même passer à 620 000 ventes d’ici 2014, avec l’introduction des versions coupé et GT. De son côté, Mercedes-Benz dévoilait la nouvelle Classe A, très attendue par la marque et ses distributeurs. Reprenant la nouvelle architecture MFA, le modèle balaie de la main ses racines et revient à un référentiel plus classique sur ce segment, affichant de surcroît un design émotionnel non dénué de motifs sportifs. Des arguments qui devraient lui permettre de revenir peser dans le duel entre l’A3 et la Série 1. A la lisière du territoire Premium allemand, Volvo présentait sa nouvelle V40, fidèle aux intéressantes orientations stylistiques initiées sur la V60. Selon plusieurs observateurs, ce design de parti-pris pourrait perturber les clients de la marque, mais l’essentiel est bel et bien ailleurs, le modèle étant promis à la conquête de nouveaux clients sur le segment C haut de gamme, des clients que la C30 n’a jamais convaincus, faute de version 5 portes. Entre des constructeurs Premium qui élargissent leur offre et des généralistes qui cherchent à monter en gamme, inutile que de préciser que le jeu concurrentiel s’annonce féroce sur le segment des compactes !
Tous les constructeurs ne sont pas égaux face à la croissance mondiale…
La bonne santé du Premium n’est pas la seule bonne nouvelle confirmée à Genève. En effet, hormis les réserves évoquées pour la zone Europe, les prévisions de croissance à l’échelle mondiale ont été confirmées par les analystes et les grands dirigeants automobiles. Après les 75,2 millions d’unités enregistrées en 2011, le volume mondial devrait ainsi passer cette année à 78,3 millions de ventes. Les locomotives ne changent guère et on retrouve le Brésil, la Russie, l’Inde, l’Asie dont bien entendu, la Chine. “Il y a donc de réelles opportunités pour ceux qui ont un outil industriel bien dimensionné et bien localisé, comme pour ceux qui peuvent faire valoir les bonnes alliances”, indique Paul Newton. L’accord conclu entre General Motors et PSA Peugeot Citroën a d’ailleurs animé de nombreuses conversations à Genève (voir encadré). Cependant, cette nouvelle donne mondiale joue aussi en faveur des constructeurs Premium. “Sur tous les marchés, même sur les marchés émergents, l’image et la notion de marque prennent de plus en plus d’importance. En outre, ces constructeurs peuvent élargir leur entrée de gamme, en suivant notamment la tendance générale du downsizing pour répondre aux objectifs de faibles émissions”, souligne encore Paul Newton. On peut aussi ajouter que les énergies alternatives leur ouvrent des perspectives prometteuses, comme en témoignent le label e-tron chez Audi ou la création de la marque iBMW. Conjuguée au déploiement de l’artillerie lourde chez certains constructeurs (Volkswagen, Toyota, Chevrolet, Ford, Nissan…), cette situation rend les constructeurs intermédiaires et trop européo-centrés, comme Peugeot, Citroën, Fiat ou encore Opel, plus vulnérables. Surtout que des marques comme Skoda, Kia et Hyundai, dotées de grands moyens, sont dans des phases offensives. La croissance mondiale ne profitera pas équitablement à tous les acteurs.
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FOCUS - Genève en 7 enseignements capitaux
• Croissance mondiale assurée, mais peur sur l’Europe.
• Plusieurs constructeurs cherchent à nouer des alliances.
• Le downsizing s’intensifie,
la chasse aux émissions aussi.
• La guerre des compactes aura bien lieu. Celle des prix aussi…
• La niche du luxe confirme
ses belles perspectives de croissance.
• Les offres de personnalisation ont toujours le vent en poupe.
• La bataille des systèmes d’infotainment s’annonce féroce.
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ZOOM - Alliances et mésalliances
Annoncé juste avant l’ouverture du Salon de Genève, l’accord conclu entre PSA Peugeot Citroën et General Motors a naturellement alimenté bien des conversations lors des journées professionnelles. “Au-delà de la problématique des réactions des places de marché, c’est une excellente nouvelle pour PSA”, s’enthousiasme un dirigeant du groupe, avant d’ajouter : “Cela nous change des mauvaises nouvelles annoncées juste avant les Salons… Nous sommes coutumiers du fait et cela nuit aux messages que nous voulons parfois faire passer”. Sans doute une référence à l’intervention “douche froide” de Philippe Varin juste avant Francfort. Peu de précisions ont été apportées sur le contenu de l’accord à proprement parler (voir JA n° 1156), mais Stephen Girsky a tout de même lâché à propos d’Opel/Vauxhall : “Toute discussion sur une faillite n’a pas lieu d’être, pas plus que toute discussion concernant le fait que nous ne serions pas engagés envers l’Europe”. Somme toute directement concerné, Sergio Marchionne a pris soin d’essayer de laisser les portes entrouvertes : “L’accord entre PSA et GM n’a fermé aucune piste pour Fiat/Chrysler. Nous sommes ouverts à plusieurs possibilités d’alliances, sauf quand ce n’est vraiment pas compatible, comme avec Daimler ou Volkswagen par exemple”. Mais il ne fut pas exclusivement question de PSA et GM. En effet, de leur côté, Ratan Tata et Alan Mulally ont coupé court aux rumeurs en affirmant respectivement : “Nous n’avons fait aucune proposition à Saab, c’est de la désinformation pure et simple”, et “Nous n’avons pas de projet d’alliance dans notre radar, même si nous restons ouverts à tous les partages de technologies, quand cela est pertinent”.
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