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Constructeurs

Les piliers de Toyota

Publié le 28 avril 2006

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Evoquer le groupe Toyota sans se référer aux notions de Kaizen (amélioration permanente par élimination de toutes les formes de gaspillage), de lean management (le mariage des performances et de la flexibilité) conduirait à une vue forcément limitative de cette entreprise. Bien que fondée...
Evoquer le groupe Toyota sans se référer aux notions de Kaizen (amélioration permanente par élimination de toutes les formes de gaspillage), de lean management (le mariage des performances et de la flexibilité) conduirait à une vue forcément limitative de cette entreprise. Bien que fondée...

...au XIXe siècle, la société Toyota fait souvent figure de pionnière dans les domaines de gestion, d'organisation ou de logistique.

La genèse de Toyota

Aujourd'hui indéboulonnable des cimaises des différents classements des meilleures entreprises du monde, Toyota n'en demeure pas moins une "multinationale familiale". L'aventure Toyota débute vraiment en 1897, lorsque Sakichi Toyoda invente la première machine à tisser automatique au Japon. C'est l'origine d'une épopée dans l'industrie textile du pays. Dans les années vingt, Kiichiro Toyoda, fils de Sakichi, effectue plusieurs voyages aux Etats-Unis et en Europe et découvre ainsi les premières effervescences de l'industrie automobile. Ce qui suscite son plus vif intérêt : dès 1937, il fonde la Toyota Motor Corporation en exploitant le cash issu de la vente réalisée par son père sur la propriété intellectuelle de son métier à tisser automatique. Toyota s'impose alors rapidement comme le premier constructeur automobile de l'archipel. Passées les heures troubles de la Seconde Guerre mondiale, sur lesquelles règne toujours une complète omerta, Toyota reprend sa marche en avant (40 % de part de marché au Japon) et décide, à la fin des années 50, de conquérir de nouveaux marchés. C'est l'heure des premières incursions aux Etats-Unis, avec les Toyota Crown en 1957, et surtout la Corolla en 1965. Presque simultanément, l'Europe est accostée, en 1963, via des importations au Danemark. La mondialisation est en marche et elle ne sera jamais démentie. Toutefois, Toyota reste encore aujourd'hui un groupe à part : aucune personne ou entreprise ne le possède véritablement. Pourtant omnipotente au niveau de la direction d'entreprise, la famille Toyoda, qui fait toujours vivre l'esprit du fondateur, ne détient pas plus de 1 % des actions émises. La mosaïque des sociétés qui constitue le groupe ne représente pas non plus un volume d'actions gigantesque. Le lien avec le capital d'Etat est nul. En fait, l'actionnariat est principalement détenu par le groupe Mitsuï, et par les banques traditionnelles de Sakura, de Tokaï, et de Sanwa (avant les récentes fusions et notamment la constitution de UFJ Bank). Cependant, les banques ne contrôlent pas la direction de Toyota. Il convient de préciser qu'aujourd'hui, Toyota est la première capitalisation mondiale du secteur automobile.

Le Toyota Production System, paradigme du lean management

Très répandue dans l'industrie en général et dans l'industrie automobile en particulier, la notion de lean management se rapporte à la gestion d'entreprise et propose de marier performances (productivité, qualité…) et flexibilité de la structure. Rationnellement maintenus dans une coque rigide, l'entreprise comme le site de production doivent être capables d'ajuster en permanence leurs process et leur organisation. Née au Japon, cette notion a été poussée à son extrême par Toyota qui en est aujourd'hui le symbole (voir The Toyota Way de Jeffrey K. Liker). Le lean management s'articule autour de deux concepts principaux : le "juste à temps" et "l'autonomisation" (jidoka ou réponses standardisées aux problèmes immédiats). Le premier concept s'applique par l'intermédiaire de la production à flux tendus, du changement rapide d'outils (SMED), et de l'intégration de la logistique. Le second se déploie avec des outils d'arrêt automatiques de production (andon), des méthodes d'élimination des causes d'erreur (pya yoke), et d'analyse de problèmes (les fameux five what). Le lean management, et donc le TPS, s'appliquent à quatre niveaux de l'outil de production. Premièrement, la valeur. Elle doit être conçue du point de vue du client final et l'entreprise doit assurer son écoulement permanent, ce qui correspond à une démarche systémique de contrôle des stocks. Deuxièmement, le schéma de production. L'entreprise produit en "tirant" en fonction de la demande et non en poussant sa capacité générique. Les opérations de production, manuelles ou robotisées, sont standardisées de façon à permettre l'amélioration continue (par la suppression d'actions non créatrices de valeur ou des défauts des machines). Troisièmement, le management. Les responsables et les opérateurs doivent identifier et éradiquer les problèmes dès leur apparition. Chaque employé est force de proposition pour améliorer la chaîne de production (voir Kaisen). Le management global doit trouver ses racines dans la réalité du terrain et les décisions doivent être consensuelles. Quatrièmement, l'inscription dans une vision à long terme. Ce qui se traduit par une recherche permanente de l'excellence et non par une suite de raccords d'objectifs à court terme. Cette philosophie du travail, dont Toyota est totalement imprégné, peut paraître bien théorique, alors qu'elle relève d'un prosaïsme maniaque, d'une dévotion à la réflexion empirique et qu'elle induit une implication sans faille de tous les salariés de l'entreprise. D'ailleurs, le système fait école et se retrouve désormais dupliqué aux domaines des services, du développement et des nouvelles technologies de l'information et de la communication. En outre, Toyota "impose" ce système à ses fournisseurs au nom de la productivité et de la qualité des produits.

Gros plan sur le Kaizen

Réputé, mais souvent méconnu, le Kaizen, qui s'inscrit dans le cadre du lean management et du Toyota Way, est largement exploité par Toyota. Il s'agit d'éliminer toutes les formes de gaspillage réparties en sept grandes catégories (productions excessives, attentes, transports et manutentions inutiles, tâches inutiles, stocks, mouvements inutiles, et productions défectueuses). Il relève donc de la gestion de l'efficience productive et du travail et ne peut nullement être assimilé à un empilement de bonnes idées et de trouvailles anecdotiques. En effet, le Kaizen est avant tout un outil pour influer sur le coût de revient. Concrètement, on trouve deux niveaux de Kaizen : la définition des normes Kaizen qui relève de la direction et du top-management, et les chantiers Kaizen in situ via les suggestions de l'ensemble des salariés. Il est important de souligner que la notion de Kaizen n'est pas réservée au monde de l'usine, mais qu'elle peut s'appliquer à de très nombreuses activités (vente, pièces&services, etc.). La France, qui s'est portée volontaire il y a quelques années pour développer le Kaizen de manière systématique et structurée, a été désignée pays-pilote pour l'Europe en la matière.

Une culture sociale spécifique

Au Japon, la grève est inenvisageable, du moins selon les modalités que l'on connaît en Europe. Et d'une manière générale, la lecture japonaise de la relation salarié-employeur diffère de la nôtre. Ainsi, au Japon, le taux d'absentéisme dans les usines est inférieur à 5 %. En outre, le taux de rotation du personnel est très faible (de l'ordre de 10 %). Ce qui n'a pas toujours été le cas. A l'orée des années 90, Toyota voyait partir près de 25 % de ses jeunes recrues au cours de leur première année de travail. La direction a alors réorienté sa politique pour que l'entreprise reste attractive : en robotisant le plus possible les tâches dites dévalorisantes des 3 K (Kitanaï pour sale, Kiken pour dangereux, et Kitsuï pour dur) et en améliorant les conditions de travail générales (notamment la gestion des heures supplémentaires sensées assurer le Tact-Time, c'est-à-dire l'ajustement journalier du volume de travail). A l'échelle du globe, Toyota rencontre parfois des difficultés en matière de gestion des ressources humaines, car son modèle initial n'est pas aisé à dupliquer. Ainsi, passée l'euphorie des créations de postes, les premières années de l'usine de Valenciennes n'avaient pas grand chose à voir avec le tableau idyllique qu'on voulait nous dépeindre. La volonté de melting-pot a rapidement été revue à la baisse et les relations avec le personnel et ses représentants syndicaux se sont considérablement européanisées au fil des années. A ce propos, on peut rappeler qu'au Japon, Toyota n'a jamais eu à faire face à un conflit syndical majeur depuis la période austère de l'après Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée.

Logistique et après-vente

Intimement liées au sein de l'organisation du groupe, ces deux activités figurent au premier rang des forces du groupe. Jadis en retard par rapport à d'autres constructeurs sur la logistique, Toyota a su réagir en repensant son mode de fonctionnement de fond en comble. Du coup, via des investissements informatiques considérables, le groupe fait aujourd'hui figure de pionnier. Un seul exemple : pour la réparation d'un véhicule, les commandes de pièces sont informatisées et intégrées au moment de l'établissement de l'OR, et les pièces sont acheminées sur le site dans un panier dédié au véhicule. Soit un gain de temps et une réduction du risque d'erreurs considérables. Pour l'après-vente, Toyota profite d'une manière générale de la fiabilité de ses véhicules (le groupe est au 1er rang mondial de la fiabilité devant Honda). Peu parasités par les imprévus et les dossiers sensibles, les ateliers peuvent respecter leur planning et optimiser leur flux d'opérations. Et comme la qualité des méthodes et du personnel est au diapason, les résultats, naturellement perfectibles, sont bons.


 Alexandre Guillet

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