La demande de véhicules électriques : périmètre et paramètres
Les participants
• Vanessa Chocteau, chef de projet mobilité propre, Groupe La Poste. • Eric Ledroux, directeur général d'Europcar France. • Alexandre Guillet, rédacteur en chef du Journal de l'Automobile. • Teddy Follenfant, journaliste expert en développement durable, NéoPlanète, RCF. • Yves Dubreil, ancien directeur • Charlotte de Silguy, secrétaire générale de l'Avere France • Robert Mezrahi, président • François Coulloudon, consultant en stratégie • Romain Beaume, chef |
Jacques de Selliers, administrateur délégué de Going Electric et de Green Mobil :
"En préalable, disons qu'on a déjà pu observer que les acheteurs spontanés de véhicule électrique deviennent toujours plus hésitants au moment de signer le chèque… C'est assurément l'une des difficultés qui se pose aujourd'hui. En fait, la voiture électrique n'apporte pas véritablement d'avantage à son utilisateur. Elle en apporte à la société, en réduisant les émissions nocives, la dépendance au pétrole, le bruit dans les zones urbaines et péri-urbaines etc. Mais pour l'utilisateur, la valeur ajoutée se révèle faible et pis encore, vient ensuite se dresser l'écueil de l'autonomie. On peut dire ce qu'on veut sur ce point et déployer des trésors de démonstrations rationnelles, mais la question de l'autonomie angoisse bel et bien les acheteurs potentiels de véhicule électrique.
Ces freins ne peuvent se lever qu'à l'usage, de façon empirique. Mais pour cela, encore faut-il avoir franchi le cap de l'achat et avoir sa voiture électrique.
Pourtant, 63 % des habitants de banlieue parisienne font moins de 40 km par jour. En outre, dans un périmètre de 50 km autour de vous, vous avez environ 50 stations essence, mais aussi 50 millions de prises électriques sur lesquelles vous pouvez recharger vos batteries !"
Alexandre Guillet : Les constructeurs reconnaissent volontiers que la première phase de diffusion des véhicules électriques s'opérera par le biais des flottes. Au-delà des problématiques de capital-image, quelles sont les demandes des acheteurs d'envergure et par extension, des utilisateurs ?
Vanessa Chocteau, chef de projet mobilité propre, Groupe La Poste :
"Au sein du groupe La Poste, le véhicule électrique est d'ores et déjà une réalité. Tout d'abord, nous sommes en phase de déploiement dans le cadre de notre plan "Transports propres". Avec un parc de plus de 50 000 véhicules, l'enjeu est significatif car cela représente pour l'heure 200 millions de tonnes de CO2 rejetées par an. Il s'agit de réduire notre facture énergétique comme notre empreinte environnementale.
Notre programme se décline en trois axes. Primo, le comportemental est déterminant ! Nous avons donc formé sur 2008 et 2009, via une de nos filiales, 52 000 agents à l'éco-conduite et nous poursuivons cet effort qui paye au niveau des consommations, mais aussi de la sinistralité. Par ailleurs, le véhicule électrique est particulièrement indiqué pour certains usages et nous ajustons donc les parcours et les chargements en fonction de cette donnée. Nous travaillons aussi sur le report modal au sens large. Enfin, nous agissons également sur les technologies, amorçant une substitution progressive des véhicules thermiques par des véhicules électriques. C'est très important pour nous et cela concerne les deux-roues, les quadri-cycles et bien sûr, les autres véhicules.
Nous sommes par essence un excellent utilisateur de véhicules électriques, et ce depuis les années 90, parce que nous avons des parcours très normés et prédictibles. De plus, dans une tournée, il y a beaucoup d'arrêts et de redémarrages… imaginez l'impact que cela peut avoir avec un véhicule Diesel. En outre, nous avons l'avantage de pouvoir recharger la nuit sans faire appel à la recharge rapide. Bref, nous sommes un peu l'utilisateur idéal pour le véhicule électrique".
Alexandre Guillet : Plus prosaïquement, quelles sont vos demandes d'acheteur au cours d'une négociation ?
Vanessa Chocteau : Nous nous sommes très vite rendus compte de la double problématique de l'offre et de la demande. Les constructeurs ont besoin de volumes, d'un marché en adéquation avec les impératifs d'échelle de l'industrie quand nous, acheteurs-utilisateurs, avons besoin de prix. Nous faisons le pari du coût d'utilisation, du TCO en fait.
Notre démarche est de structurer la demande. Avec un cahier des charges rédigé en commun avec des entreprises publiques et privées. Cela a pris un tour très concret avec l'Ugap, un groupement d'achats constitué de 19 entreprises, pour un volume de 50 000 véhicules électriques, dont 10 000 pour La Poste. Dans un premier temps, avec ce type d'initiatives, on peut espérer que le marché puisse s'ancrer sur les flottes captives. Par ailleurs, le développement de masse nous intéresse au premier chef car il conditionne la viabilité du marché secondaire, c'est-à-dire des reventes.
Alexandre Guillet : Quand vous dites que vous faites le pari d'un coût d'utilisation équivalent à celui des modèles thermiques, est-ce à dire que vous n'avez pas de certitudes à ce sujet malgré toutes vos simulations ?
Vanessa Chocteau : Nous avons bien entendu fait des simulations, mais la réponse appartient aux constructeurs. Nous n'avons effectivement pas encore de certitudes sur la question.
Eric Ledroux, directeur général d'Europcar France :
"Dans le monde de la location en général et pour Europcar en particulier, on est en train de passer du mythe à la réalité. Au sein du groupe, dès 1997, nous avons exploré la voie des énergies alternatives via notre gamme Environnement (GPL, hybrides, gaz naturel, VE, flexi-fuel…). L'intérêt du public, clientèle affaires, loisirs, assisteurs pour les VR, s'exprime manifestement depuis 2006, mais surtout sous l'angle de l'information. En revanche, les problèmes de l'impact prix et de l'autonomie ne sauraient être écartés d'un revers de la main. Surtout que le kilométrage quotidien moyen en location courte durée est de 150 km.
Nous avons signé deux accords d'intention avec Renault et Nissan pour l'achat de véhicules électriques et nous sommes passés à l'acte sur le Salon de Genève en commandant 500 véhicules électriques. C'est une vraie prise de risque, car nous avons commandé sans maîtriser tous les paramètres "prix". D'où seulement 500 unités. Bref, il reste une vraie interrogation sur le prix et surtout le TCO. Or c'est important car nous travaillons avec des rythmes de détention très courts.
Nos 500 modèles électriques Renault seront disponibles dans notre parc au 3e trimestre 2011. Et pour chiffrer un peu la demande, disons qu'à un horizon fin 2011-début 2012, nous disposerons d'environ 2 000 véhicules commandés en France, à rapporter à un total de 50 000 véhicules. Soit 5 % de notre parc, ce qui peut paraître assez modeste, mais c'est une première étape".
Alexandre Guillet : A une taille plus modeste, mais avec aussi un positionnement plus ciblé, vous représentez aussi un loueur, quelles sont vos attentes ?
Luis Aceituno, président d'Ecoloc'Car :
"Nous sommes les premiers loueurs de véhicules 100 % électriques en France, du vélo au 12 t qui sera homologué très prochainement. Nous travaillons avec des petits constructeurs et nous devrions disposer d'environ 200 véhicules d'ici fin août. Au départ, nous sommes partis d'un projet de visite guidée de Paris, avec Moving Paris, via l'iPhone et bientôt l'iPad en mode véhicule électrique et piétons. J'ai cherché des véhicules électriques et il a fallu se débattre avec les homologations, mais nous avons trouvé des modèles qu'on peut conduire dès l'âge de 16 ans, qui ont passé des crash-tests, et qui affichent des autonomies de 70 à 350 km. Nous avons notamment une Tesla qui est exploitée à Cannes, proposée à 1 600 euros par jour et qui rencontre un grand succès".
Alexandre Guillet : En marge de la location, se développe un nouveau rapport à l'auto, l'auto-partage en étant une bonne illustration urbaine. Quels sont les contours de ce rapport parfois appelé Auto 2.0 et quid de la problématique des bornes de recharge, passage obligé souvent occulté ?
Arnaud Mora, président-directeur général de DBT Freshmile :
"Tout d'abord, il ne faut pas négliger la question de l'autonomie et la peur des gens de tomber en panne sèche électrique, même si c'est un oxymore… Pour le moment, DBT est le leader des bornes de recharge en Europe et c'est une entreprise française. Nous sommes partis d'une analogie : tout le monde connaît Apple, l'iPod et iTunes. Apple enregistre de grands succès dans la musique numérique car l'iPod est un très bon appareil et avec iTunes, l'offre de services est au diapason. DBT, avec ses bornes, dispose en quelque sorte de l'-ipod et nous avons développé le pôle services. D'autant qu'objectivement, le véhicule électrique est pour l'heure aux yeux des utilisateurs, une proposition commerciale assez médiocre.
Par les services, il s'agit donc d'enlever les contraintes liées à l'électrique à l'utilisateur. Les constructeurs ont compris cela, voyant la notion de bien et de possession évoluer vers une nouvelle consommation de mobilité. D'ailleurs, cela n'est pas un problème pour eux, l'attachement à la marque n'est en effet pas pour autant menacé. Donc, l'Auto 2.0, c'est le passage d'une économie de biens à une économie de services commercialisant la mobilité. Or la mobilité électrique est très bien adaptée à ce changement de paradigme".
Alexandre Guillet : Mais concrètement, quelle est votre cible avec FreshMile ?
Arnaud Mora : "Notre cible est bien entendu les professionnels. Nous travaillons actuellement sur les appels d'offres de Paris et de Londres. Mais nous pensons aussi que le développement de masse passe par le particulier. Nous sommes surtout attentifs à décarboner les transports et cela ne se limite donc pas au cadre urbain. Les petits véhicules électriques sont indiqués pour les grands centres-villes, mais ça ne s'arrête pas là. Les villes moyennes, en province, sont aussi très concernées".
Alexandre Guillet : Toujours dans un rapport de Going Electric : "L'Union Européenne et l'industrie automobile doivent investir massivement dans les véhicules électriques et oublier les anciennes technologies". Le véhicule électrique ne peut-il se développer que par le biais d'aides diverses et variées ?
Jacques de Selliers : "On consacre encore beaucoup d'argent à l'amélioration des motorisations thermiques, mais cet argent vient forcément à manquer sur le développement de l'électrique. Or d'autres concurrents issus d'autres pays n'ont pas forcément cette contrainte et comme nous voulons que l'Europe soit à la pointe de l'électrique, nous nous permettons ce genre de remarques.
Selon nous, le développement du VE ne sera possible dans les dix années à venir que si les gouvernements aident les constructeurs et les acheteurs. Il s'agit d'aides financières certes, mais aussi d'incitatifs non financiers comme l'utilisation des voies de bus, la gratuité des parkings, la possibilité de recharger dans l'espace public. C'est essentiel et cela permet de lever bien des freins.
Pour les prévisions de la pénétration du VE, si on tient en compte toute la littérature existant sur le sujet, on oscille entre 3 et 15 % du marché à un horizon 2020. Par ailleurs, nous sommes convaincus que l'évolution ne sera pas si linéaire et progressive qu'on veut bien le dire aujourd'hui. Quand la taille industrielle sera atteinte, les prix vont baisser et dès lors, de nombreuses collectivités franchiront le pas. Rappelons encore que 80 % des déplacements sont faits en ville et avec une seule personne dans le véhicule".
Arnaud Mora : "Quand on parle du VE, on enchaîne systématiquement sur les aides. Je suis d'accord qu'il faut des dispositifs publics favorables, Londres en est une bonne illustration. Mais ensuite, vu l'état des finances publiques en Europe, je ne pense pas qu'il faille tout subventionner et ce n'est pas non plus aux contribuables de supporter tout le développement des infrastructures. C'est à l'industrie de proposer des modèles d'affaires viables, avec un calendrier d'amortissement pour les infrastructures.
D'autant qu'aujourd'hui, nous savons que nous sommes à la croisée des chemins : les modèles électriques sont moins coûteux qu'il y a dix ans et le prix des batteries est amené à baisser. Il n'y aura pas de rupture quantique du prix des VE, mais on sait aussi que les véhicules traditionnels vont pâtir à l'avenir de la hausse du prix des carburants, en lien direct avec celui du pétrole".
Eric Ledroux : "Il ne faut pas construire un modèle automobile qui soit uniquement porté par des subventions. Par exemple, en tant que loueur, nous sommes très attentifs aux aides distribuées à l'auto-partage, car on peut arriver au point de la concurrence déloyale.
Mais il est cependant nécessaire de faciliter le démarrage de cette technologie. Sinon… On garde tous en tête ce qui a pu se passer pour le GPL…".
Jacques de Selliers : "On ne peut pas baser un business-modèle sur des subsides, c'est un fait. Mais il s'agit aussi d'un choix de société et l'Etat a donc une grande responsabilité. Sous l'angle du bien commun. L'Etat doit donc donner des aides, temporaires entendons-nous, sinon on s'en remet aux initiatives individuelles et là, c'est long et très incertain".
Vanessa Chocteau : "Pour nous comme pour le groupement de commandes, les aides publiques sont clairement nécessaires. Aujourd'hui, on s'enthousiasme sur le VE, mais tout demeure très fragile et tout un écosystème doit être mis en place. Les aides publiques ont donc un rôle d'impulsion à jouer, à mettre en corrélation avec tous les efforts pour réduire les émissions. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le volet de la fiscalité. Une fiscalité dissuasive, notamment une taxe sur la production d'électricité, sonnerait la mort du VE. Parallèlement, il faudra veiller à une bonne standardisation et éviter les embrouillaminis de type Pal-Secam".
- Le véhicule électrique est-il l'annonciateur d'un changement de paradigme ?
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