Entretien : Daniel Coppens, Président du Groupe Volkswagen France.
Journal de l'Automobile. Le groupe Volkswagen est, pour l'heure, l'un des rares à ne pas avoir revu ses objectifs 2008 à la baisse. Qu'en est-il pour le groupe en France ?
Daniel Coppens. Bien que l'ensemble de nos marques ait connu des situations différentes au cours de l'année, nous allons atteindre les objectifs fixés pour cette année 2008. Le groupe devrait totaliser environ 250 000 immatriculations soit 12 % de parts de marché. Il faut reconnaître que nous avons été aidés, dans notre réalisation globale, par les effets du bonus-malus. En effet, les ventes de nos petits modèles ont été boostées. Pour la marque Volkswagen, un mouvement vers de petits modèles, comme la Polo, a été enregistré. Quant à Audi, bien que de nombreux produits aient été assujettis à un malus, la marque va atteindre son objectif grâce aux nouveautés comme l'A5 ou l'A4 dont les livraisons explosent aujourd'hui. Pour de nombreux produits, nous n'avons pu livrer car les usines ne pouvaient pas suivre. Nous avons ainsi pris du retard jusqu'à cet été. Mais depuis le mois de septembre nous livrons pleinement.
Ja. Avez-vous encore un gros portefeuille ?
d.C. Il nous faudra jusqu'à la fin de l'année pour livrer la majeure partie de notre portefeuille. La demande a été telle que pour la Polo par exemple, nous livrons encore aujourd'hui des commandes enregistrées en juin dernier. Mais plus important encore, en octobre, deux de nos marques ont pris plus de commandes que l'année passée à la même période. Une très belle performance sur un marché où les prises d'ordres sont en recul de 16 % !
Ja. Il semble que le gouvernement réfléchisse à élargir l'écotaxe aux véhicules utilitaires en 2009. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
d.C. Dans le cadre de mes fonctions à la Chambre Syndicale des Importateurs, nous avons rencontré des représentants politiques et nous avons attiré leur attention sur la complexité d'une telle mesure. Si pour les VUL dérivés des VP, il semble probable que cela arrive rapidement, pour les VUL traditionnels où les modifications de cabines, de bennes ou plateaux sont aussi nombreuses qu'il existe d'utilisateurs, une telle mesure sera difficilement applicable. Puis, ce marché de l'utilitaire n'a pas besoin de cela. Sa proximité avec l'économie réelle sera déjà un frein pour l'année à venir.
Ja. Justement, comment envisagez-vous l'année 2009 ?
d.C. Nous devrions enregistrer un recul en 2009. Mais impossible aujourd'hui d'en estimer l'ampleur. Le marché atteindra-t-il 1,950 million, 1,9 million ou moins encore ? Je ne peux vous répondre. Je peux simplement vous dire que nous avons établi plusieurs scénarii qui tendent vers 1,9 million. La confiance est la clé. La crise financière a débuté avec une crise de confiance et le retour de cette dernière nous permettra ou pas, sinon d'éviter, du moins de limiter l'impact et la durée d'une crise économique réelle. Les actions du gouvernement, notamment auprès des banques, vont d'ailleurs dans ce sens. J'ai eu un entretien avec Jacques Attali, il y a peu, où la confiance était au centre de sa réflexion. En effet, si toutes les sociétés et même les individus envisagent, mais surtout mettent en place un plan B qui n'a pas encore lieu d'être, la crise sera inévitable. Cependant, je reste optimiste.
Ja. Quel serait le canal de distribution le plus touché par cette baisse des ventes ?
d.C. L'incertitude économique sera un frein aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers. Les raisons pourront être différentes. Un particulier pourra retarder son achat par précaution alors qu'une entreprise, qui aura réellement besoin d'un véhicule, pourra se voir refuser un financement.
Ja. Dans vos différents scénarii pour 2009, avez-vous conservé la tendance actuelle d'une forte progression des petits véhicules ?
d.C. Je constate qu'Audi a obtenu unmeilleur résultat en octobre de cette année par rapport à 2007. Il n'y a donc pas que les petites citadines qui connaissent la croissance. Cependant, je ne pense pas que l'ensemble du segment premium connaîtra la croissance, certains de nos concurrents vont continuer à souffrir. D'une manière plus globale, le changement de cap observé en 2008 est, selon moi, fondamental et définitif. L'augmentation de la part des petits véhicules et le downsizing mécanique resteront à l'avenir. Mais les autres segments de marché ne sont pas condamnés pour autant. Après une phase d'adaptation légitime, ils vont à nouveau progresser, notamment sous l'effet des innovations technologiques, mais il serait utopique de croire que les niveaux de vente passés seront à nouveau atteints.
Ja. Ce changement de comportement et de mix vers des véhicules moins rémunérateurs va-t-il changer votre business ?
d.C. Entre une Polo et un Touareg, le reste de la gamme Volkswagen se vend bien, notamment la nouvelle Golf, le Scirocco ou encore la Passat CC. De ce fait, notre rentabilité financière est aujourd'hui équivalente. L'effet volume compense en large partie ce changement de mix.
Ja. Le groupe Volkswagen vise la première place mondiale et la croissance nécessaire à cela passera inévitablement par les pays émergents. Quel sera le rôle de l'Europe et de la France dans cette croissance annoncée ?
d.C. Effectivement, cette ambition portée par Martin Winterkorn passe par l'amélioration de nos positions sur les marchés émergents, mais s'appuie également sur la décision stratégique d'attaquer le marché américain d'une façon plus structurée avec, entre autres, des moyens de production sur place. Face à cette nouvelle donne, l'Europe comme la France, vont apporter leur pierre à l'édifice. Certes, nous n'afficherons sûrement jamais une croissance à deux chiffres mais une progression est encore possible. Audi peut en témoigner et en témoignera encore dans le futur. Le lancement de nouveaux produits et l'occupation de certaines niches vont nous permettre d'augmenter mécaniquement nos volumes. L'arrivée aujourd'hui du Q5, puis celle de l'A1 en 2009, illustrent parfaitement cela pour Audi. Puis je pourrais vous tenir le même discours pour Volkswagen, Skoda ou Seat. Le groupe va encore accroître sa pénétration sur le marché et ainsi participer à cette croissance mondiale. Aujourd'hui, en France, nous sommes proches de 12 % et nous pouvons imaginer que gagner 2 à 3 points, à terme, n'est pas une mission impossible.
Ja. L'exclusivité des réseaux de vos marques est-elle un passage obligé pour assurer cette croissance ?
d.C. En théorie, chacune des marques voudrait une représentation exclusive. En pratique, cela ne peut se construire qu'avec du temps. D'autant qu'historiquement, notre réseau est un réseau mixte. Ainsi, lorsque Audi-NSU est arrivée dans le groupe, son développement a été assuré par des concessionnaires Volkswagen à l'époque. Nous n'avions alors pas les moyens de faire autrement. Volkswagen et Audi ont grandi ensemble, mais aujourd'hui la marque Audi a atteint un tel niveau qu'elle peut franchir un nouveau pas dans son développement avec la constitution d'un réseau exclusif. D'ailleurs, ce travail a débuté dans les années 2000. Aujourd'hui, nous assistons à la deuxième vague menant encore à plus d'exclusivité. Une nécessité aussi bien pour Audi que pour Volkswagen, connaissant le plan produits des prochaines années, mais aussi un impératif pour mieux répondre aux attentes de la clientèle. Si dans le cas présent, Audi, on parle beaucoup d'architecture, de bâtiments, de standards, etc. il ne faut surtout pas oublier les hommes. Cela signifie des équipes entièrement tournées vers une clientèle qui évoluera alors dans un univers totalement dédié à sa marque.
Ja. Un mot sur la résiliation des réparateurs agréés Audi ?
d.C. Durant ces 10 dernières années, la marque Audi a progressé sur tous les plans. Il est donc légitime que cette progression se traduise partout, y compris dans l'après-vente. Les exigences des clients ont, elles aussi, augmenté et nous devons y répondre. Audi a alors choisi la résiliation de son réseau de réparateurs agréés européen. Une décision qui ne préfigure aucunement une démarche similaire pour les autres marques du groupe.
Ja. En France, l'aspect collecte du programme Charteco fonctionne très bien mais qu'en est-il pour la récupération et la déconstruction des VHU ? Combien comptez-vous de broyeurs agréés ? Le fait que les constructeurs partenaires puissent combler les pertes est-il un frein à ce développement ?
d.C. Nous compterons d'ici peu un 6e broyeur. Notre objectif était de couvrir le territoire français et c'est aujourd'hui le cas. Si ce chiffre peut paraître insuffisant, il faut savoir que l'activité de broyage est une véritable installation industrielle où les investissements se chiffrent souvent en dizaine de millions d'euros. Quant au système de compensations d'éventuelles pertes, il s'agit d'une spécificité française. Toutefois, cette situation ne s'est pas présentée ces dernières années. Tous ont affiché d'excellents bénéfices notamment grâce à l'envolée du prix des matières premières. Certes, aujourd'hui, le contexte a changé, les cours ont baissé, mais les bénéfices dégagés précédemment doivent permettre de lisser les comptes.
Ja. Pourquoi ne pas associer d'autres constructeurs dans cette démarche ?
d.C. Nous avons essayé, mais sans succès car les constructeurs français ne voulaient pas suivre cette piste…
Ja. Aujourd'hui, concernant la relation produits/environnement, vous vous appuyez sur les pragmatiques programmes BlueMotion ou GreenLine. A quand la prochaine étape ?
d.C. Il y a peu, nous avons présenté à de nombreux décideurs français les tendances futures du marché ainsi que les travaux de recherche fondamentale de nos ingénieurs. Il faut bien comprendre que ce futur se lit à différents niveaux, mais il apparaît clairement que l'objectif est l'électricité dans un premier temps. Cependant, si des solutions techniques se profilent, pour l'heure, l'équation économique n'est pas encore résolue.
Ja. Pourtant, durant le dernier Mondial, beaucoup de constructeurs ont annoncé des véhicules électriques pour l'horizon 2010, n'est-ce pas ?
d.C. L'utilisation des véhicules électriques à cette date se limitera sans doute à des flottes captives. Mais je ne crois pas qu'à cette date, un client particulier pourra avoir le choix dans le showroom de son distributeur entre un véhicule à moteur thermique et un électrique offrant des prestations comparables. Pour l'heure, même si la technologie progresse, les batteries sont encore une source de problème. Notamment la gestion du flux d'électricité. En effet, elles devront répondre à des demandes d'énergie extrêmement élevées en phase de démarrage, puis gérer la récupération au freinage ou la fourniture de cette ressource à vitesse constante. Il y a encore du travail. Quant à la pile à combustible, qui pourrait fournir l'électricité nécessaire à la propulsion, en plus des défis, là encore, technologique et économique, se pose le problème du processus de fabrication et de conversion de l'hydrogène en électricité.
Ja. On peut dire qu'aujourd'hui Porsche détient réellement Volkswagen. Quelles peuvent être les conséquences de cette nouvelle donne sur le groupe et plus particulièrement sur votre activité en France ?
d.C. Les avantages pour les deux sociétés sont nombreux. Porsche va notamment pouvoir compter sur la puissance d'achat d'un groupe qui fabrique près de 7 millions de voitures par an. Les coûts de développement, comme le prouve aujourd'hui le travail autour des Touareg, Q7 et Cayenne, seront également une force. D'ailleurs, toujours dans ce sens de coopération étroite, la Porsche Panamera sera en partie produite dans l'usine Volkswagen de Hanovre. Un exemple qui pourra se reproduire sur d'autres sites du groupe Volkswagen à travers le monde. D'une manière plus pragmatique, il ne faut pas oublier le CO2 où la moyenne de Porsche va être noyée dans celle du groupe. De notre point de vue, l'arrivée d'un actionnaire comme Porsche est une bonne chose car il connaît fort bien notre industrie et son mode de fonctionnement basé sur le cycle de vie des produits. Il nous demandera des bénéfices, comme tout actionnaire, mais en tenant davantage compte du fonctionnement que je viens d'évoquer, contrairement à un actionnaire qui ne ferait pas partie de cet univers automobile. Quant à la France, il n'y aura pas d'impact direct sur notre activité et nos structures. Personne n'évoque jamais ce point, mais il y a déjà un précédent dans le groupe avec Scania. Ainsi, lorsque le groupe Volkswagen a pris le contrôle de Scania, la marque de poids lourd qui a d'ailleurs une usine en France, n'a pas vu sa structure hexagonale chamboulée. Certes, nous échangeons, mais aucun lien de subordination n'existe.
Ja. Vous évoquez les poids lourds : pourquoi la marque Volkswagen n'est pas présente en Europe sur ce secteur ?
d.C. Nous avons opté pour une stratégie visant essentiellement les marchés émergents. Les camions ou bus que nous produisons au Brésil ne correspondent pas aux critères des marchés occidentaux. En Europe, aujourd'hui, un camion est truffé d'électronique. Nous avons fait le choix de la simplicité et de la robustesse pour coller au mieux aux conditions d'utilisation. Au Brésil, seulement 5 % des routes sont goudronnées. Même si vu de France, cette activité poids lourds est assez peu lisible, nous sommes présents en Amérique du Sud, en Afrique du Sud, au Proche Orient, en Inde et en Asie où nous vendons environ 60 000 unités par an. Un chiffre proche de celui de Scania que nous devrions d'ailleurs dépasser l'année prochaine.
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