Entretien avec Francois Le Clec'h, directeur général de Mercedes Car Group (Mercedes-Benz, Maybach, Smart)
...se veut rassurant : la 451 sera d'une qualité irréprochable dès son lancement.
Journal de l'Automobile. Mercedes-Benz, Smart, Maybach : comment parvenez-vous à concilier le développement concomitant de trois marques foncièrement différentes ?
François Le Clec'h. Dans la mesure où elles sont justement très différentes, c'est à la fois très simple et très délicat. Chaque marque véhicule sa propre image et couvre des segments distincts. Par conséquent, il ne convient pas d'empiler les marques ou de les additionner, mais il s'agit de créer un univers global selon le principe de la complémentarité. Aussi bien pour les valeurs d'image de marque que pour les valeurs d'usage. Prenons un exemple très concret : si vous devez concevoir une publicité pour Smart, vous allez naturellement vous appuyer sur des critères différents que si vous aviez à travailler pour le compte de Mercedes-Benz. Les référentiels et le choix des supports diffèrent, au même titre que la possibilité de s'exonérer de certains codes. D'ailleurs, j'ai coutume de dire qu'il n'est pas fécond d'organiser des réunions communes entre les marques, d'autant qu'en schématisant, on peut dire qu'il n'y a pas beaucoup de points communs entre Brême, Hambach ou Sindelfingen. En revanche, il ne faut pas créer d'oppositions et bien respecter le travail de synergie effectué en amont et l'identité homogène de groupe.
JA. En abordant la question sous un autre angle, ne craignez-vous pas que les difficultés de Smart ne nuisent à Mercedes-Benz, notamment en terme d'image ?
FLC. Vous sous-entendez qu'il y a un problème d'image chez Smart… Or, paradoxalement, ce n'est pas du tout le cas. La fortwo bénéficie même d'un excellent capital image ! Qui n'a été nullement écorné par la décision d'arrêter la forfour. Ce n'est pas la même typologie de clients, les ex-forfour iront vers la Classe A ou B plutôt que vers la fortwo. La fortwo a un univers très caractérisé : une 2 places urbaine, écolo et sympathique, qui consomme 3,5 l/100 et rejette 90 g de CO2/km. Et sur cette base, elle se vend très bien ! Même en fin de vie en attendant l'arrivée de la 451. Croyez-moi, j'ai manqué de voitures en fin d'année ! Bref, la fortwo est une voiture unique dépourvue de concurrentes et ce sera pareil pour la 451. En ce sens, Smart ne peut donc pas nuire à Mercedes-Benz.
JA. Pourtant, l'usine d'Hambach n'était pas dans un climat social très serein en cette fin d'année, avec des menaces de débrayage émises par certains syndicats ?
FLC. Connaissez-vous des sites de production qui n'ont aucun problème au moment des négociations salariales ? Pas moi… Et il ne faut pas oublier que nous sortons d'une phase de restructuration liée au lancement de la 451. Il n'y a pas d'inquiétudes, le planning sera tenu. Vous savez, d'une manière générale, tous les constructeurs sont en voie de mutation et à la recherche d'économies. Dès lors, le dialogue peut parfois être délicat dans les usines, mais on trouve toujours une solution pour que le produit sorte en temps et en heure.
JA. Pourtant le projet 451 se heurte aussi à un problème de qualité de pièces avec une forte proportion de pièces qui ne passent pas le test qualité, n'est-ce pas ?
FLC. Il y a quelques problèmes, mais c'est tout à l'honneur de Smart qui prouve que ses exigences sont élevées et que sa politique qualité est intransigeante. La 451 sortira bien en mars et avec des pièces aux standards qualités définis. Et ce sera valable pour la 1re 451 comme pour la 10 000e. En termes de qualité, c'est du zéro tolérance dans le groupe aujourd'hui. Nous n'accepterons aucun compromis et la 451 sera prête le jour-J et au top niveau.
JA. Revenons à Mercedes-Benz, comment définiriez-vous l'image de la marque en France et que vous inspire ses récents succès significatifs ?
FLC. Nous jouissons d'une très bonne image en France. Les enquêtes attestent d'ailleurs que nous sommes la marque allemande Premium préférée des français. Les résultats aussi : + 12 % en 2005 et + 8 % en 2006, soit + 20 % en deux ans sur un marché pourtant étale. Par ailleurs, si vous
CURRICULUM VITAETitulaire d'une maîtrise d'économie et d'un 2e cycle de psychologie, François Le Clec'h entre chez Mercedes-Benz dès 1979. Trois ans plus tard, il devient responsable du département financement des ventes et sera l'un des grands artisans de la création de la société de financement dédiée à Mercedes-Benz. Après avoir occupé diverses fonctions de premier plan, il intègre le directoire en 1990, puis dans la foulée, le comité de direction de Mercedes-Benz France comme directeur général de Mercedes Car Group (Mercedes-Benz, Maybach, Smart). |
JA. Comment expliquez-vous votre progression sur des segments très exclusifs ?
FLC. Par la profondeur de notre gamme et par la qualité du réseau. Primo, au-delà des gros paris Classe A et B, notre gamme s'est enrichie et spécialisée. Ainsi, nous avons inventé un segment avec le Classe M qui s'est vendu à 7 300 unités en 2006 - un record absolu pour Mercedes-Benz - dans un contexte anti-4x4… Nous avons aussi une offre de cabriolets inégalée sur le marché. Nous avons innové avec la CLS tout en conservant nos piliers dans le domaine du luxe. Bref, le client a toutes les chances de trouver son bonheur chez nous. Et s'il veut changer de style, il peut le faire dans la même marque. Nous disposons donc d'une offre de fidélisation et de conquête. Secundo, notre réseau est très performant et joue pleinement son rôle crucial d'acte de vente dans la chaîne globale "produits-distribution-marketing". Il fidélise aussi très bien par le biais de l'après-vente. Nos distributeurs sont d'ailleurs récompensés de leurs efforts avec une rentabilité moyenne supérieure à 2 %, ce qui est remarquable dans la morosité automobile ambiante.
JA. Mais la marque peut-elle encore conquérir des parts de marché dans l'Hexagone ?
FLC. Il y a encore quelques années, quand on évoquait la marque, on disait qu'elle pouvait viser 3 % de parts de marché. Elle y est. Dans un premier temps, au regard du cycle de vie de notre gamme et de la concurrence, on peut tabler sur une stagnation de nos ventes, mais dans un second temps, l'objectif de 70 000 ventes me paraît tout à fait réalisable.
JA. Un objectif qui passe par une pérennisation de vos ventes sur les segments Classe A et B et donc aussi des "ventes sociétés", n'est-ce pas ?
FLC. Sans la Classe A et la Classe B, nous évoluions sur un marché intrinsèquement réduit. Avec ces modèles, nous avons pénétré de nouvelles sphères et fait face à d'autres concurrents. Cela englobe le marché du VP mais également celui des ventes sociétés. Sur ce dernier point, nous nous sommes donnés les moyens d'être compétitifs, avec un département spécialisé, des vendeurs dédiés et des offres de financement adaptées. Sans oublier une extrême vigilance sur le segment des loueurs courte durée. De plus, et on a souvent tendance à l'oublier, nous avons pris en compte dès le début l'importance du VO dans cette problématique d'ensemble. Vous ne pouvez pas développer le VN, notamment à destination du marché sociétés, sans mettre en place une politique VO adaptée. D'où la création du label Millésime. Nous sommes très interventionnistes et nous nous efforçons de reprendre nos véhicules récents pour éviter qu'un marché spécifique ne voit le jour et in fine, ne nous échappe. C'est un élément essentiel pour éviter de plomber un réseau. D'ailleurs, tout le monde le sait, mais encore faut-il le mettre en œuvre et résister aux sirènes du très court terme. Quand je vois certains constructeurs, je suis inquiet…
JA. Puisque nous évoquions la Classe A et la Classe B, comment expliquez-vous que la seconde fasse aussi bien que la première, ce qui est une surprise comme vous le reconnaissiez récemment sur le Mondial ?
FLC. La surprise s'est effectivement vérifiée. La Classe B, en s'appuyant sur un positionnement commercial pertinent et sur une identité de vraie familiale, a trouvé sa place sur un segment où la concurrence est pourtant fournie. C'est un segment caractérisé par la forte présence des français, mais il est possible de grignoter des parts de marché et le réseau s'y attelle avec succès. Le taux de conquête du modèle s'élève ainsi à 65 % ! D'une certaine manière, c'est logique : il est plus facile de progresser sur un marché tiré vers le haut que sur un marché peu occupé. Comment voulez-vous que nous progressions significativement sur le segment de la Classe S ? En chipant quelques ventes aux marques Premium allemandes, d'accord. Mais cela ne peut pas aller très loin car le segment n'est pas stimulé : les marques françaises ont échoué et aucune demande n'a été créée. En revanche, avec la Classe B, nous sommes face à un gros potentiel avec des mécanismes concurrentiels qui incitent à la performance.
JA. A ce propos, quel regard portez-vous sur un marché français qui fait la part belle aux marques premium tout en créant un appel d'air sur ce qu'il est convenu d'appeler le low-cost ?
FLC. D'une manière générale, il y a de quoi être déçu quand on observe le marché français. Le pays est en croissance, le pouvoir d'achat augmente, qu'on le veuille ou non, et le marché automobile ne suit pas. Par ailleurs, les mesures gouvernementales ne soutiennent pas vraiment un secteur qui n'est pas reconnu à sa juste valeur en termes d'emploi et de technologie. En outre, on critique toujours l'automobile sous l'angle environnemental sans jamais valoriser les avancées colossales qui ont pourtant été réalisées. Enfin, le marché français est très pauvre sur le haut de gamme, nous sommes les champions du monde de la petite gamme… C'est un pays riche qui se comporte en consommateur pauvre, c'est vraiment décevant.
JA. Fondamentalement, et notamment par rapport au succès de la Logan, que pensez-vous du phénomène low-cost ?
FLC. A ce sujet, je poserais simplement une question : est-ce une bonne chose de remplacer le VO par du bas de gamme ? Je ne sais pas… Je pense que ces offres sont adaptées à certains pays émergents, mais que nous n'en avons pas fondamentalement besoin en Europe occidentale. C'est de la substitution au VO. Je ne dirais pas que cette substitution s'opère au détriment de la sécurité et de la qualité, mais ce n'est pas totalement faux…
JA. Pour conclure sur une note plus légère et personnelle, quel est le dernier modèle du groupe que vous avez conduit et qui vous a vraiment surpris et séduit ?
FLC. Assurément la nouvelle Classe C avec l'option Advanted Agility ! C'est incroyable, cela confère une grande sportivité à la voiture. Sur tous les revêtements et avec une grande délicatesse, on ne sent pas les actions de l'électronique.
Propos recueillis par
Alexandre Guillet
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