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Constructeurs

Entretien avec Didier Maitret, président du directoire BMW France et vice-président BMW groupe : L’esprit de famille

Publié le 21 janvier 2005

Par Tanguy Merrien
12 min de lecture
"L'esprit de famille" Sans être véritablement goguenard, ce n'est pas sans un certain amusement que Didier Maitret reçoit le journaliste chargé de faire son portrait. Après 15 ans de bons et loyaux services chez Ford et presque 18 ans comme président du directoire...
"L'esprit de famille" Sans être véritablement goguenard, ce n'est pas sans un certain amusement que Didier Maitret reçoit le journaliste chargé de faire son portrait. Après 15 ans de bons et loyaux services chez Ford et presque 18 ans comme président du directoire...

...de BMW, ce passionné d'automobile pensait que tout était dit. "Il n'y aura pas beaucoup de scoop", annonce avec regret celui qui déclare faire partie "des vieux éléphants". Mais non "des dinosaures", précise-t-il tout de suite, un brin coquet… Hagiographie ?


Si l'on vous disait que Didier Maitret, ce dirigeant affable et quelque peu extraverti, éprouvait de la difficulté à se prendre pour un homme à part entière, vous seriez très surpris. Et pourtant ! Didier Maitret, en effet, ne se débarrasse pas facilement de ses deux enveloppes familiales qui lui collent à la peau : en privé, il est famille Maitret, au travail famille BMW. Etonnantes épousailles qui lui font commencer ses réponses à chacune des questions sur ses conceptions professionnelles par "le groupe…" ou "BM…" et, à chacune des questions un peu privées, par "pour la famille…". Qu'on comprenne bien qu'il s'agit là d'un choix mûri de longue date : "On ne vit qu'une fois, commente-t-il, et avoir une famille équilibrée, un environnement sympa, c'est ce qui importe." Et c'est ce qui détermine en tous points sa carrière professionnelle. Après avoir fait l'Essec, Didier Maitret décide d'aller passer un MBA aux Etats-Unis. C'est là que Ford le remarque et l'embauche dans le site mythique de Detroit. Il n'y reste pas longtemps, la direction en ayant besoin au siège européen, à Londres. Le mouvement ne gêne pas le jeune homme avide d'apprendre et de voyager. C'est d'abord dans le groupe qu'il voyage, apprenant son métier comme beaucoup, en passant de service en service. Promotion des ventes, gestion, service produits… il devient directeur à 30 ans et s'occupe d'administration commerciale, de logistique, de distribution. En somme, "un parcours classique" qui le mène tout droit à Londres prendre la direction commerciale de l'Europe du Sud. Cela tombe bien, il aime Londres, son métier, la marque et sa femme qui le suit avec ses deux enfants : "J'ai beaucoup de chance, mon épouse n'a jamais cherché à m'influencer et m'a laissé libre de mes choix professionnels", reconnaît-il. Et c'est aussi pour la famille qu'il dit non à Ford qui lui propose de vivre l'aventure du groupe deux ans aux Etats-Unis et deux ans au Japon. Une décision qu'il ne regrette pas même s'il est fier de la proposition qui lui a été faite et heureux de la collaboration avec Ford chez qui il a tout appris. C'est alors que BMW lui offre sur un plateau la présidence du directoire de BMW France à Paris. Et là, choix familial ou pas, le poste ne manque pas d'allure et, même si le salaire n'équivaut pas à celui de Ford US, la qualité de vie compense allégrement ce bémol.

"Pour moi, le luxe doit avoir une histoire et sonner juste"

Pour le traqueur de volumes de chez Ford, entrer chez BMW c'est comme découvrir un autre univers, dont les exigences ne manquent pas, ni le travail, mais un univers qu'on prend le temps de disséquer, d'analyser et même d'inspirer : "Le haut de gamme présente beaucoup d'avantages parce que vous êtes dans un monde beaucoup plus petit, qui fait beaucoup plus rêver, un monde qui, souvent, montre la voie, qui fait de la marge et gagne de l'argent, un monde qui, au niveau mondial, est plus homogène que dans le volume." Alors, Didier Maitret serait-il homme à se laisser corrompre par le goût du lucre ? Eh bien pas du tout, quand bien même se laisser bercer par le galop des chevaux d'une Série 7 sur les autoroutes allemandes le met en transes et le pousse à regretter l'apparition du Diesel (seulement en privé, côté professionnel, le Diesel est très bien !). Ce qui lui plaît chez BM - ne pas prononcer le W -, c'est de pouvoir écouter les gens, les connaître, leur présenter la stratégie du groupe, réagir en équipe. En fait, consacrer les valeurs humaines. Non que, chez Ford, l'on n'accorde aucune importance à l'homme, mais tout est démultiplié du fait des volumes à conquérir. "Dans le luxe, il y a moins de monde, le réseau emploie moins de personnes et vous pouvez le spécialiser. Il reste encore des valeurs humaines dans le luxe parce que les gens se connaissent mieux, ont plus de contacts entre eux." Et d'ajouter : "Quand vous êtes concessionnaire BMW, vous connaissez mieux vos clients que si vous représentez une marque à fort volume." Et c'est là l'un des traits de caractère les plus marquants de Didier Maitret : privilégier l'homme (ou la femme) avant toute chose. Lorsqu'il évoque Ford, c'est pour parler des hommes qu'il a rencontrés et qu'il continue de voir, dont il reçoit des nouvelles, et lorsqu'il parle de BMW, ce sont les équipes qui reviennent sans cesse dans son discours. S'il peut déléguer, c'est parce qu'il a la chance d'avoir une équipe solide en place - et pourtant ce n'est pas dans sa nature de déléguer, c'est bien parce qu'il doit voyager sans cesse et, avoue-t-il, parce qu'il vieillit - que le président du directoire de BMW France accepte de céder quelques pouces de terrain. Même approche côté réseau : si l'on doit résumer, on pourrait dire que l'on a le réseau que l'on mérite : "Je crois énormément en la valeur des gens, on peut obtenir beaucoup plus des gens si on est proche d'eux, si on leur explique pourquoi on veut telle chose, à quoi cela sert, pourquoi on adopte telle stratégie à 5 ans… Les ressources humaines sont pour moi quasi inépuisables. (...) C'est l'intérêt du haut de gamme : vous pouvez maintenir des contacts humains et cela vous permet de faire évoluer la marche de l'entreprise." Mais l'homme qui pense groupe et s'investit totalement dans les ressources humaines sait qu'il risque de payer cher le retour de bâton. Confer Rover.





Curriculum vitae

  • Nom : Maitret

  • Prénom : Didier

  • le 11 avril 1946 à Paris.
    Marié, deux enfants.

  • Diplômé de l'Essec, MBA de l'Université d'Indiana

  • Formation à l'école des grands constructeurs automobiles :
    - 1971
    : débuts chez Ford Detroit
    - 1972 : Londres, au siège européen de Ford
    - 1973 : gravit tous les échelons de la fonction commerciale chez Ford France
    - Fin 1982 : directeur général des ventes de Ford France, puis directeur commercial Europe du Sud de Ford, à Londres
    - Juillet 1987 : président du directoire BMW France et vice-président BMW groupe
  • "Vous ne pouvez pas faire partie d'une équipe de direction et dire : c'est pas moi…"

    S'il est un regret dans la carrière de Didier Maitret, c'est bien la cession de Rover. Sans juger du pourquoi ni du comment, le seul fait d'avoir involontairement trahi ses nouveaux collègues pèse lourd sur lui. Parce que le président France, prévenu en même temps que le réseau de la vente de Rover, ne peut faire autrement que de se sentir responsable, comme il le dit dans un soupir : "Vous ne pouvez pas faire partie d'une équipe de direction et dire : c'est pas moi… J'ai mangé ma cravate, mon chapeau et ça, je ne l'ai toujours pas digéré. Ma carrière n'en a pas pâti, mais des concessionnaires Rover en ont souffert, comme des membres de l'équipe, et ça, j'ai du mal à l'accepter." Dans le même temps, il reconnaît que cela a paradoxalement servi les intérêts du groupe, toujours dans une réaction très humaine : "Cela s'avérera sans doute salutaire pour le groupe, même si les conséquences, non pas financières, se feront encore sentir longtemps, mais cela a donné un coup de fouet inimaginable parce nous avions à cœur de montrer qu'après un échec pareil, nous n'étions quand même pas des mauvais ; et cela nous agaçait prodigieusement à ce moment-là que Ferdinand Piëch annonce qu'il allait nous racheter et essaie de nous déstabiliser. Aujourd'hui, nous sommes quand même contents de voir que la capitalisation boursière de BMW est supérieure à celle de Volkswagen." Parce que non content d'épouser la cause des hommes et des femmes qui travaillent avec lui, Didier Maitret réagit en fier propriétaire quand le groupe est attaqué. Cette fierté, il entend bien qu'elle soit partagée par tous, par "son réseau", de même que la passion pour la marque. Il explique cela par la notion de service. Quand un client vient chez BM (ou chez un constructeur de produits haut de gamme), il s'attend à une qualité de services à l'aune du prestige de la voiture, et ce service naît de la passion : "Ce qu'il faut en plus chez BMW, c'est la passion. Vous ne pouvez pas réussir longtemps chez BMW pleinement si vous n'avez pas cette passion pour vos produits, pour les marques. Parce que si vous ne l'avez pas, vous ne pourrez pas vous battre pour atteindre le niveau d'excellence qu'attend le client." Mais, pour réussir, la passion ne fait pas tout : "Les gens sont habitués au confort. Il faut donc des qualités de gestion ; parce qu'un concessionnaire qui serait un bon technicien, un passionné et qui ne serait pas un bon gestionnaire, un bon dirigeant, n'aurait pas d'avenir à court terme." Et passionné, Didier Maitret l'est à 200 %, à tel point qu'il s'auto-analyse, avec lucidité ? Jugez plutôt : "Je ne suis pas du tout un saint, je pense que tout le monde a droit à une seconde chance, je n'ai pas dit quatre. Je ne me mets pratiquement jamais en colère, je suis quelqu'un de calme, qui analyse et qui essaie d'écouter même si je suis quelqu'un d'assez extraverti." Dont acte.


    Hervé Daigueperce





    ZOOM

    Didier Maitret en 8 points

    Que pensez-vous de la délocalisation ?
    On peut, dans un certain nombre de cas, faire sans, surtout au niveau d'un constructeur, ce qui est beaucoup plus dur au niveau d'un sous-traitant. Tout dépend de la valeur ajoutée que vous apportez. Si vous en apportez beaucoup, vous pouvez éviter la délocalisation en vous réorganisant. Si vous en apportez très peu, vous êtes obligés d'aller où c'est moins cher. Notre stratégie est de monter nos usines là où nous avons nos gros marchés.

    Votre avis sur les 35 heures ?
    Je pense que c'est une erreur fondamentale, que c'est venu trop tôt, que c'était mal préparé, même si je me suis dit au début que, finalement, ce serait bien, vu ce qu'on demande à nos cadres, qu'ils puissent prendre un peu de temps pour eux, pour leurs épouses… On s'aperçoit que cela ne fonctionne pas bien, sans doute parce que c'est allé trop vite. Sans compter que cela demande des fortunes à l'Etat qui doit compenser. Et je ne parle pas des problèmes causés dans les PME-PMI comme les concessions : parler de flexibilité dans une concession est une aberration.


    L'avenir du marché automobile ?
    Il est extrêmement bon parce que l'automobile reste un moyen de liberté de se déplacer et cela ne changera pas. Dès que le niveau de vie d'un pays commence à s'élever, tout de suite l'automobile se développe. Par contre, l'automobile devra évoluer, aller vers des véhicules plus propres, s'adapter aux besoins des consommateurs, aux évolutions de l'environnement. Son avenir sera brillant, mais elle devra s'adapter de plus en plus fréquemment et rapidement. Il ne faut surtout pas avoir peur de l'autophobie actuelle qui est politiquement correcte.


    Le règlement européen ?
    Je ne suis pas sûr que ce soit une excellente chose ; on s'y est adapté et on vivra avec. Je crois que cela a été fait par un commissaire qui jouait sa carte politique plus qu'autre chose. Je pense qu'il va avoir des effets assez nocifs pour un certain nombre de concessionnaires parce qu'on va aller vers une concentration de concessionnaires et que cela risque de créer une opposition entre les puissants et les petits, voire condamner des petits. Cela, en fin de compte, va pénaliser le consommateur parce que la concurrence sauvage dans un métier de techniciens ne me paraît pas saine.


    La séparation vente/après-vente ?
    Est-ce vraiment réaliste ? On n'en a pas encore vu les effets.


    La concurrence asiatique ?
    Elle a servi d'épouvantail pendant un moment puis ça s'est calmé. Aujourd'hui, comme toutes les marques, elle essaie d'avancer. Certains vont bien, d'autres se cassent la figure… c'est le marché ! Vous ne pouvez pas avoir un marché mondial et ne pas avoir beaucoup de joueurs. Mais les constructeurs asiatiques sont actuellement dans une position assez forte, proches de marchés émergents qui se développent plus vite, bien présents aux Etats-Unis. Et ils s'occupent maintenant de l'Europe…


    Le rôle de la voiture dans le réchauffement de la planète ?
    Plus vous avez de voitures dans le monde avec des moteurs à explosion, plus vous allez émettre de CO2. Et la voiture en émet plus que le crottin de cheval. Cependant, tous les constructeurs automobiles travaillent sur la voiture propre. Cela prendra un peu de temps, mais il est sûr que ce problème devra être résolu par les efforts conjugués des pouvoirs publics, des constructeurs et des consommateurs qui devront sans doute payer un peu plus pour vivre dans un monde propre. Ce qui est positif, c'est que la solution est en route, mais tout le monde veut tout, tout de suite, ce qui n'est pas raisonnable.


    Quel est le prochain portrait que vous aimeriez lire ?
    J'aimerais bien lire un portrait d'un des nouveaux membres du comité de direction de Renault. Comment eux voient l'avenir.

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