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Constructeurs

Carlos Ghosn : “Un réseau doit être profitable s’il fait du bon boulot. Il ne doit pas l’être s’il n’en fait pas !”

Publié le 17 mars 2006

Par Christophe Jaussaud
12 min de lecture
A l'occasion du Salon de Genève, Carlos Ghosn est revenu, le temps d'une table ronde organisée avec une dizaine de journalistes français, sur certains éléments du plan Renault Contrat 2009. Image de marque, produits, design, réseau, nouvelles technologies, rien ne manque. Morceaux choisis....
A l'occasion du Salon de Genève, Carlos Ghosn est revenu, le temps d'une table ronde organisée avec une dizaine de journalistes français, sur certains éléments du plan Renault Contrat 2009. Image de marque, produits, design, réseau, nouvelles technologies, rien ne manque. Morceaux choisis....

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Nos dires doivent correspondre à une réalité mesurable par le client

Je suis convaincu que le produit prime. Nous sommes là pour créer, innover, apporter au marché des produits attractifs, fiables, qui correspondent tant à un besoin rationnel qu'émotionnel. Dire que l'on va reconstruire le haut de gamme en considérant un nouveau nom est irréaliste. Je ne dis pas que l'image de marque n'est pas importante, d'autant que j'ai déjà souligné que celle de Renault n'était pas un atout aujourd'hui, mais le travail sur l'image de marque vient en parallèle, voire même légèrement en retrait du travail sur le produit.
Le succès de nombre de constructeurs aujourd'hui n'est pas dû à de beaux discours sur leurs marques mais à des produits convaincants, soutenus par une promesse de la marque que les clients ont effectivement retrouvé dans le produit, mais aussi dans les services. Nous devons renforcer cette cohérence chez Renault. Nos dires doivent correspondre à une réalité mesurable par le client. Tant que nous n'aurons pas des produits attractifs et convaincants, particulièrement dans le moyen et haut de gamme, nous serons toujours dépendants d'un seul produit et d'une seule zone géographique. Voilà la base de notre travail. Mais il faut aussi que le réseau soit capable de les mettre en valeur, de les vendre et de les entretenir. Il faut qu'il y ait une cohérence entre l'attractivité du produit, sa fiabilité, la qualité du processus de vente et la qualité du service. C'est seulement à partir de là que vous êtes en train de renforcer votre image de marque. Mais il faut également que ce travail sur l'image de marque s'appuie sur une définition claire de ce que doit être Renault. Quelles promesses fait Renault à ses clients ?
Il faut que cette définition soit partagée en interne de façon à ce que les designers, les ingénieurs, le marketing, le commerce travaillent sur un produit avec la même promesse faite par Renault à ses clients. Si ce n'est pas le cas, il y a peu de chance que nous puissions la traduire. Le travail sur l'image de marque s'effectue en plusieurs temps. Le produit constitue la première étape, suivi de la définition de la promesse faite aux clients. Nous sommes en train de redéfinir et de clarifier la promesse client, afin quelle soit partagée au sein de Renault, par les 126 000 personnes qui constituent le groupe, de manière à ce qu'elle soit omniprésente lors de la prise de décision.

Nous ne sommes pas des poètes, mais des industriels

Un slogan doit quelque part refléter ce que vous voulez faire de votre marque. Avoir un slogan sans une identité de marque forte aboutit à un débat sans fin. Il faut d'abord définir et partager cette identité, cette promesse de la marque et seulement à partir de là le slogan devient un vecteur de cette identité. Nous ne sommes pas des poètes, mais des industriels. Cette définition sera très vite communiquée à l'entreprise, d'autant que l'histoire de Renault est largement connue, il s'agit de clarifier un certain nombre d'éléments et de les partager avec l'ensemble de l'entreprise.

Aligner le réseau sur les performances des meilleurs

Le réseau de Renault est assez inégal. Vous ne pouvez pas en parler de manière globale puisque le réseau en France est différent de celui d'Espagne, qui lui même n'a rien à voir avec celui du Brésil. Toutefois, nous avons une force de frappe, notamment en France, tout à fait impressionnante, avec des investisseurs fidèles à la marque. Nous avons là un atout que peu de constructeurs automobiles ont en France. Je suis très confiant quant à la capacité du réseau français à faire de l'excellent travail. D'abord, nous devons lui donner des véhicules qui correspondent aux segments de marché en pleine croissance. D'une manière plus générale, en Europe, nous avons un réseau assez dense et suffisamment fort mais il incombe au constructeur de le mobiliser, de le former, de l'aider à conquérir le marché. Ensuite, dans la vie même du réseau nous avons des performances assez disparates. Le très bon peut côtoyer le très mauvais ! C'est inacceptable. Nous avons des distributeurs qui font de l'excellent travail en matière de qualité, de services et de satisfaction clients, nous les connaissons, et nous allons aligner tout le réseau sur ces meilleures performances. Quant à la profitabilité du réseau, en parler n'a pas de sens. Un réseau doit être profitable s'il fait du bon boulot. Il ne doit pas l'être s'il n'en fait pas ! La profitabilité devant être la récompense d'un bon travail. Nous veillerons à ce que notre réseau soit très profitable quand il fait du très bon travail. Mais nous veillerons également à ce qu'il ne le soit pas quand le travail n'est pas bon. N'importe quelles dérives, dans un sens comme dans l'autre, est un dysfonctionnement dans le cadre de l'entreprise. Il est de notre responsabilité de nous assurer que le réseau offre un bon service, par la formation, par des systèmes de mesures, par de l'incentive, par des sanctions de temps en temps si des clients se plaignent. Nous allons mettre en place un meilleur travail d'animation dans le réseau que par le passé.

La marque ne lancera pas de voiture polémique en interne…

Nous avons beaucoup de talent au design. Mais si la créativité d'un constructeur automobile demande cette compétence, elle n'est pas suffisante. Il faut que les meilleures idées voient le jour. L'un des grands problèmes auquel nous avons déjà commencé à remédier est le processus de décision à partir des propositions du design. Aujourd'hui, un plus grand nombre de personnes sont impliquées. Ainsi, le marketing et le commerce participent davantage aux décisions. Le but n'est pas qu'ils disent ce qu'il faut faire, mais surtout sur ce qu'il ne faut pas faire. De plus, la marque ne lancera pas une voiture polémique. Si Renault n'est pas soudé derrière une voiture, vous êtes quasiment sûr de courir à l'échec. Ce nouveau processus permet de lancer sur le marché des produits qui ont déjà fait, en interne, l'objet de beaucoup de débats, d'échanges, afin que toute l'entreprise puisse se concentrer sur sa réussite commerciale. La première proposition de Twingo illustre ce point. Il y avait un débat à l'intérieur de l'entreprise, certains avançaient que cette proposition n'était pas vraiment conforme à l'esprit Twingo. J'ai donc décidé de ne pas lancer cette voiture afin de comprendre pourquoi il y avait eu tant de débats et corriger cela. Nous l'avons fait et je peux vous dire que la Twingo que vous allez découvrir en 2007 a fait l'unanimité chez Renault. Ce n'est pas pour autant une garantie de succès mais elle aura beaucoup plus de chance.

Le réseau Renault a envie d'une gamme plus riche et nous allons la lui fournir

Il y a beaucoup de voies possibles. Avec le haut de gamme, il est évident que nous ne nous adressons pas uniquement au marché français, même européen, mais au marché mondial. L'expérience montre que lorsque vous avez des objets désirables, fiables, les marchés accueillent favorablement votre véhicule. L'expérience Nissan est très importante dans ce domaine. Nissan a été capable de lancer en Europe des Murano, des 350 Z, des Pathfinder… des produits relativement chers, très profitables, alors qu'en 1999 cela ne paraissait pas évident. Le réseau Nissan s'est approprié ces voitures, s'est engagé sur la qualité du service. Nous sommes ainsi entrés dans un processus vertueux. Le réseau Renault a envie d'une gamme plus riche et nous allons la lui fournir. Mais il devra se hisser au niveau des produits de façon à ce que l'on aboutisse à une situation gagnant/gagnant. Le constructeur investissant beaucoup sur le produit, le réseau, lui, devra faire de même dans la qualité du service et de l'après-vente de façon à entrer dans ce cercle vertueux.

Qui aurait parié en 1999 sur le fait que Nissan vende en Europe le Murano à près de 40 000 euros ?

Il n'y a pas de limite de prix pour une marque. Mais commencer par des voitures extrêmement chères, totalement déconnectées de votre cœur de gamme, ne fonctionnerait pas. Vous devez partir du moyen vers le haut de gamme de manière à asseoir, étape par étape, la crédibilité de vos voitures, de leur qualité ainsi que des services. Chaque voiture qui réussit crée un appel pour la suivante. Quelle est la limite ? Celle de votre innovation, votre limite à apporter des voitures qui soient convaincantes. Mais je ne vois pas, a priori, de limite pour Renault. Si vous considérez l'image de marque comme un élément non développable, effectivement, c'est une limite mais je ne le pense pas.
Aujourd'hui, 95 % des voitures vendues dans le monde ont un prix compris entre 5 000 et 45 000 e. Le reste m'intéresse, mais pour l'heure, nous commençons sur les segments les plus porteurs du haut de gamme dans cette tranche. Ensuite, éventuellement, nous irons vers les niches. Si l'on s'attarde sur l'exemple de Nissan et Infiniti aux Etats-Unis, la moyenne des prix de vente en 1999 n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Qui aurait parié en 1999 sur le fait que Nissan vende en Europe le Murano à près de 40 000 e ? Avec des produits qui plaisent, les gens vous suivent.

Nous ne sommes pas prêts pour des modèles sportifs…

Nos priorités vont aujourd'hui vers des opportunités de profits et de volumes. Alors il est vrai que nous avons gagné en Formule 1 et nous aurions tout intérêt à avoir une voiture sportive. Mais nous ne sommes pas prêts. Il y a toutefois la gamme Renault Sport. Il nous faudra un peu plus de temps car aujourd'hui nous avons déjà 24 produits à lancer sur trois ans, donc nous ne sommes pas très loin du maximum que Renault puisse faire. Nous avons effectivement beaucoup d'idées, beaucoup plus que notre capacité à les emmener sur le marché de manière ordonnée.

Si vous commencez à faire des produits pour remplir vos usines, vous avez un problème très sérieux...

Je ne fais pas des produits pour les usines ! Les produits sont avant tout destinés aux clients. Les usines doivent s'adapter aux besoins des clients. Si vous commencez à faire des produits pour remplir vos usines, vous avez un problème très sérieux. Tous les constructeurs qui se sont préoccupés de leurs usines plutôt que de leurs clients ont fini par satisfaire ni l'un ni l'autre. C'est le pêché mortel impardonnable dans l'automobile. L'expérience le prouve. Nous déclinons les produits en fonction des besoins ensuite seulement se pose la question de la répartition de la production nécessaire pour satisfaire nos clients en fonction de l'appareil industriel.

Faire de Samsung la base d'exportation de Renault en Asie…

Nous avons pratiquement doublé le nombre de véhicules. Dans le plan qui pré-existait, il y avait entre 12 et 14 produits. Nous l'avons passé à plus de 24. Ils se répartiront dans les trois marques du groupe. Samsung est aujourd'hui une usine Nissan, avec des produits Nissan et un management Renault. L'objectif est de transformer Samsung avec des produits dérivés des plates-formes Renault, de façon à faire de notre marque coréenne une base d'export pour Renault en Asie. Pour l'instant, elle n'exporte pas, pour une raison très simple : ces produits cannibaliseraient ceux de Nissan. Quant à Dacia, le futur repose essentiellement sur la plate-forme Logan. L'essentiel des 24 produits seront quand même des produits Renault.

Les changements sont plutôt propres à un style de management…

A différents égards, je pense que M. Schweitzer a été exemplaire. Les changements sont plutôt propres à un style de management. Il avait lui-même dit que son successeur ne lui ressemblerait pas. Le jour où je quitterai la tête de Nissan, je ne m'attends pas à ce que mon successeur fasse la même chose que moi. Sinon, il vaut mieux que je reste ! Ces passages de témoins entraînent inévitablement des changements, mais cela fait partie des règles. La transition s'est très bien passée.

Plus les réglementations se durcissent, plus l'intérêt du Diesel par rapport à l'essence diminue…

L'Ethanol a un avenir en France, comme partout, pour la bonne et simple raison qu'avoir un combustible qui soit généré par des produits agricoles, sans dépendances extérieures, sans limites et dans un contexte de hausse du pétrole, est une hypothèse qu'il faut prendre très au sérieux. Pour l'heure, l'Ethanol marche très bien dans des pays comme le Brésil. Même les Etats-Unis travaillent sur le sujet afin de produire de l'Ethanol d'une manière plus économique. L'Europe se penchera à son tour sur des solutions de production d'Ethanol qui soient plus efficaces que celles qui existent aujourd'hui.
Le marché européen est aujourd'hui dominé à près de 70 % par le Diesel, mais cela peut évoluer car plus les réglementations se durcissent, plus l'intérêt du Diesel par rapport à l'essence diminue. Jusqu'ici, les constructeurs n'ont pas répercuté les surcoûts, de la norme Euro IV notamment, au détriment de leur profitabilité mais si cette situation perdure, les conséquences peuvent être nombreuses dont la plus lourde serait de voir la destruction totale de la profitabilité des constructeurs européens. Si les constructeurs acceptent de répercuter le coût de ces réglementations sur le marché, le Diesel sera de fait moins attractif. La situation est assez instable pour les constructeurs européens et surtout pour les diésélistes.

L'hybride est pour nous une technologie maîtrisée…

Il faut ici raisonner avec l'Alliance car nous partageons le travail entre les deux constructeurs. La Nissan Altima, aux Etats-Unis, est disponible en une version hybride mais nous possédons également au sein de l'Alliance les piles à combustible, les CVT ou le Flexfuel. Renault a toutefois des développements propres qu'il met à la disposition de son partenaire et inversement avec Nissan. L'hybride est pour nous une technologie maîtrisée, une technologie que nous mettrons sur le marché en fonction de l'évolution de la demande. La stratégie de Renault et de l'Alliance consiste à développer toutes les technologies à un point tel que nous soyons capables de les lancer si le marché le demandait.


Propos recueillis
par Christophe Jaussaud

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