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Le management d’après…

Publié le 10 mai 2021

Par Romain Baly
8 min de lecture
TRIBUNE - Spécialiste du recrutement et chasseur de têtes dans le secteur automobile, Christophe Muyllaert nous livre chaque mois son regard sur un sujet d'actualité. Hyper-sollicité depuis un an, le manager souffre tout autant que son statut qui doit être aujourd'hui redéfini.
Christophe Muyllaert, Partner Mobilité et Transport chez Agora Search&Consulting.

 

Dans les années 80, Renault proposait une série spéciale intitulée "Manager" pour ses modèles milieu et haut de gamme 21 et 25, qui faisaient écho à la BX "Leader" disponible chez Citroën. Si à l’époque triomphante des "yuppies" - ces jeunes cadres ambitieux venus des Etats-Unis - une telle initiative avait du sens, elle parait inimaginable de nos jours, alors que les managers n’ont plus la cote.

 

Ce constat est sans appel et largement étayé depuis plusieurs années par de nombreuses études, 66 % des salariés interrogés dans le cadre du baromètre "Radioscopie des managers", organisé par Cegos en octobre 2018, ayant par exemple indiqué qu’ils n’aspiraient pas à devenir manager. Ils sont même 79 % selon un sondage réalisé en décembre 2017 par BVA pour Audiencia Business School, justifiant leur manque d’enthousiasme par le stress généré, la lourdeur des tâches administratives et le manque de reconnaissance.

 

Un lent processus de dégradation

 

Le problème s’avère plus profond qu’un simple déficit d’image puisque les managers eux-mêmes corroborent ce qui ressemble à un profond malaise, à l’instar de ceux qui, interrogés par Ipsos pour le compte du BCG en septembre 2019, ne seraient que 35 % à souhaiter conserver leur statut dans les 5 à 10 années à venir s’ils avaient le choix. Une situation qui résulte semble-t-il d’un lent processus de dégradation, puisqu’ils sont 81 % à estimer que leur métier est aujourd’hui plus difficile à exercer qu’au cours des dernières années, et qui affecte également leur vision de l’avenir proche. 71 % d’entre eux considèrent en effet que leur rôle sera affecté par des profonds changements dans les 5 ans à venir, alors que 38% anticipent que celui-ci aura disparu à cette même échéance.

 

Et le phénomène touche également les représentants des générations Y/Z (18-34 ans) qui sont à peine 29 % à souhaiter assumer des fonctions managériales. Ce peu d’appétence pour un statut auxquels ses détenteurs eux-mêmes semblent de moins en moins attachés provient sans doute en grande partie du manque de reconnaissance du management comme une compétence à part entière. En témoigne le mode d’attribution du titre, qui relève encore très souvent de la récompense. Nombre de salariés sont en effet intronisés dans une fonction d’encadrement non pas pour leur aptitude à mener une équipe, mais en raison de leur expertise métier, de résultats obtenus ou de leur fidélité à l’entreprise.

 

Ce mode de promotion rappelle à quel point l’organisation hiérarchique pyramidale qui prévaut dans nombre d’organisations constitue l’héritière directe des structures issues de la révolution industrielle. Dans ce contexte, il existe en effet rarement d’autre possibilité que d’accepter de manager une équipe pour les collaborateurs désireux de progresser dans l’entreprise, qu’ils le souhaitent ou non.

 

Une réalité loin d’être marginale si l’on considère qu’à peine 54 % des managers ayant participé en novembre 2017 à l’étude Opinionway consacrée à l’état de l’art du management ont demandé à assumer leur rôle. Or, on imagine volontiers ce que la nomination à un "poste à responsabilité" d’un collaborateur peu enclin à la gestion des hommes peut engendrer de conséquences désastreuses pour lui-même, mais aussi pour l’entourage concerné. Une situation qui devrait sans aucun doute inciter les entreprises à imaginer de nouveaux modes de promotion, comme des postes d’expert ou de responsables projet.

 

Plus "collaborateur-manager" que manager

 

Mais au-delà des raisons pour lesquels ils sont nommés, les principaux intéressés ont également l’occasion de vérifier au quotidien le manque de considération des activités liées au management. Parce que la gestion d’une équipe est trop souvent considérée comme une simple attribution, la charge de travail qu’elle entraîne est rarement prise en compte à hauteur de ce qu’elle représente véritablement.

 

Il n’est donc pas rare que les managers entament une véritable seconde journée quand le rythme infernal des réunions - elles-mêmes génératrices de tâches additionnelles - s’est enfin calmé, afin de se consacrer au traitement des courriels et autres tâches administratives, sans oublier les sujets qu’ils traitent en direct. Il n’est donc pas étonnant que les managers se considèrent plus surchargés et stressés qu’auparavant (respectivement 78 et 74 % selon le BCG), puisqu’ils sont pour beaucoup d’entre eux de véritables "collaborateurs-managers" assumant deux rôles à temps complet, à l’image de ces mères de famille qui cumulent leur activité professionnelle à celles de leur foyer. Une comparaison qui laisse d’ailleurs songeur sur le rythme auxquels sont soumises les femmes managers ayant charge d’enfant(s).

 

Malmenée au quotidien, la compétence managériale l’est aussi à l’occasion des entretiens annuels de performance dont elle constitue volontiers le parent pauvre, comme l’indique le baromètre Cegos montrant que les managers sont essentiellement évalués sur la base d’objectifs quantitatifs, qu’il s’agisse de leur performance individuelle (pour 85 % d’entre eux) ou de la performance collective de leur équipe (88 %). En la matière, on imagine volontiers que des KPI associés à des résultats financiers ou commerciaux l’emportent sur les appréciations qualitatives liées à l’encadrement des collaborateurs. Là encore, prévaut la conception d’un manager expert de son domaine, mais pas dans la conduite des hommes.

 

Cette situation incite également à réfléchir sur la façon dont le management doit être enseigné, considérant qu’il l’est principalement dans des écoles dont les étudiants n’ont en principe aucune expérience de l’entreprise, et qui passeront plusieurs années par la case "managé" avant de se voir confier la responsabilité d’une équipe. Une étude réalisée pour Cadreo en 2019 indique d’ailleurs que 40 % des interviewés ont appris à manager sans être formés, démontrant que trop souvent, le management est considéré comme relevant d’un savoir inné détenu par des meneurs d’homme charismatiques fonctionnant "à l’instinct", et dont la formation semble davantage considérée comme relevant du développement personnel plutôt que de véritables techniques.

 

Les avantages traditionnels ne font plus recette

 

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la crise de la Covid-19, laquelle a mis à mal l’unité de temps et de lieux qui prévalait lorsque managers et collaborateurs se retrouvaient au bureau. Dans une étude récente dédiée à filière automobile, il ressortait que l’un des trois éléments les plus importants de la crise de la Covid-19 impactant les managers réside dans une modification profonde attendue de leur rôle, une majorité d’entre eux soulignant également la nécessité pour ceux-ci d’acquérir de nouvelles compétences.

 

Or, ce sont précisément les managers qui ont été sollicités pour assurer la continuité de l’activité des entreprises, et pour apporter le soutien nécessaire aux équipes. Et ce sont également eux qui auront la charge d’accompagner les changements à venir, alors que nombre d’entreprises se dirigent vers un modèle hybride d’organisation du travail, mêlant présentiel et travail à distance. Mais avant d’augmenter davantage leur charge de travail et d’accroitre la pression sur ceux dont on a beaucoup exigé durant les périodes de confinement, sans doute serait-il judicieux de considérer cette transition comme une opportunité de reconcevoir le rôle du manager avec ceux qui sont concernés au premier chef.

 

On constate en effet que les avantages traditionnels liés au statut de manager, qu’il s’agisse du salaire, de la voiture de fonction ou du bureau individuel, ne font plus recette. Certains sont d’ailleurs plus ou moins vidés de leur substance par les nouveaux modes de travail - comme les systèmes de flex-office - ou les tendances sociétales, avec l’évolution des modes de mobilité. Mais surtout, c’est le sens même de la fonction managériale qui doit être repensé dans un univers corporatif ou les codes hiérarchiques ont largement changé. Et ce sont bien souvent les managers ou aspirant-managers eux-mêmes qui ne se sentent plus à l’aise avec le modèle du chef charismatique "à la Steve Jobs ou Jack Welsh", préférant l’idée d’un leader humble et accessible. Sans doute parce que la part grandissante parmi eux des représentants de la génération Y incarne de nouvelles aspirations dans les rapports au sein de l’entreprise, où l’obéissance cède le pas à l’adhésion, la discipline à la participation.

 

Redonner du sens à cette fonction

 

Comme toutes les crises, celle provoquée par la Covid-19 constitue une opportunité, particulièrement s’agissant de l’organisation des modes de collaboration au sein de l’entreprise. Il apparaît donc essentiel de profiter du "Nouveau Normal" qui se met en place pour accompagner les managers dans l’évolution de leur rôle (voir chronique du mois d'avril 2021 sur les organisations hybrides) mais aussi de leur statut, leur assurant une meilleure reconnaissance. Sans redonner sens à une fonction véritablement au cœur de la performance de l’entreprise, les candidats à l’encadrement pourraient se faire plus rares, et ce n’est pas la promesse d’une voiture de fonction - quand bien même s’agirait-il d’une série spéciale - qui y changera grand-chose.

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