Gérard Detourbet nous a quittés
Titulaire d'un doctorat en mathématiques, Gérard Detourbet avait entamé sa carrière chez Renault en 1971. Après avoir occupé différents postes de direction, il avait rejoint en 2001 la filiale roumaine Dacia, en tant que directeur du développement industriel et des projets-véhicules.
Il a alors supervisé le développement d'une gamme de véhicules à bas coûts, avec des prix commençant nettement sous les 10 000 euros, un concept révolutionnaire lancé par le PDG de l'époque Louis Schweitzer, auquel très peu d'observateurs croyaient à l'origine, mais qui a connu un très grand succès. Il occupait dernièrement le poste de vice-président de l'alliance Renault Nissan Mitsubishi, chargé des innovations de rupture.
"C'est avec beaucoup d'émotion que le groupe Renault a appris le décès de Gérard Detourbet", a déclaré la directrice générale de Renault, Clotilde Delbos, dans un message posté sur LinkedIn. "Avec près de 50 ans de carrière au sein du groupe (...), il a été un acteur clef de nombreux projets de l'entreprise. Visionnaire (...), il est à l'origine du concept de véhicule abordable", a-t-elle rappelé, adressant à sa famille et ses proches de "sincères condoléances" de la part des collaborateurs.
Conçue initialement pour les pays émergents, la gamme dite "Global Access" a également trouvé un important débouché en Europe de l'Ouest où ses véhicules sont commercialisés sous la marque Dacia et figurent parmi les meilleures ventes du marché. Les véhicules à bas coûts représentent désormais 35 % des ventes mondiales du groupe Renault. Ils sont un pilier de sa rentabilité et de son internationalisation.
Un homme que le Journal de l'Automobile avait eu le plaisir de rencontrer et d'honorer puisque Gérard Detourbet avait été élu "Homme de l'Année 2016". L'ensemble de la rédaction adresse ses plus sincères condoléances à la famille.
---------------------------------------------------------------------------------------
Gérard Detourbet était revenu sur son parcours et sur les défis rencontrés durant sa carrière, notamment la Logan et la Kwid, à l'occasion d'un entretien paru dans le JA N°1251 en avril 2017.
"Pour Logan comme pour Kwid, nous faisons référence à un nouveau type d’innovation"
Entre la Chine et l’Inde, quelques heures avant de monter dans un énième avion, Gérard Detourbet, auréolé du titre de l’Homme de l’Année, a trouvé le temps de nous accorder un entretien pour évoquer le riche et protéiforme projet Kwid, mais aussi un parcours professionnel très dense qui a évolué à l’échelle du groupe Renault et de l’Alliance. Rencontre avec un grand dirigeant qui sait cultiver une réelle idiosyncrasie.
JA : Régulièrement nominé au cours des dernières années, vous êtes finalement élu au titre de l’année 2016 pour l’intensification du succès de la gamme Entry et surtout, le succès de Kwid, qui est bien plus qu’un modèle. A vos yeux, est-ce une année à marquer d’une pierre blanche dans une carrière pourtant déjà riche en succès ?
Gérard Detourbet : Au premier chef, c’est un réel plaisir d’être distingué par ce prix, mais je dois dire que j’ai été très étonné ! En effet, je suis resté en France jusqu’en 2012 et je côtoyais alors assez régulièrement la presse française et européenne. Par le passé, j’avais d’ailleurs appris avoir été nominé certaines années. Donc, je me suis dit : après être sorti du radar médiatique depuis quatre ans, hormis lors de la présentation de Kwid en Inde, puisqu’une délégation française s’était déplacée, comment est-ce possible que cela arrive ? Bref, c’est une surprise, mais une bonne surprise !
JA : A propos de Kwid, n’avez-vous pas là aussi été surpris par le retentissement provoqué par ce modèle en France et en Europe, surtout qu’il fait l’objet de moins de remarques négatives que la Logan du début de l’épopée ?
GD : D’une manière générale, j’ai toujours trouvé qu’il y avait une certaine bienveillance dans l’accueil réservé par la presse européenne à la première Logan et à tous les produits qui ont suivi. Ces projets suscitaient des interrogations, certes, mais aussi de l’intérêt et un accompagnement globalement favorable. Dès lors, l’accueil réservé à Kwid, un produit anormal, entre guillemets, ne m’a pas surpris, dans la mesure où il s’inscrit dans une certaine continuité. Si vous prenez l’exemple de Duster, que nous avons pourtant lancé dans un contexte délicat, vous constaterez que la presse avait été curieuse et positive. En fait, j’ai presque été plus étonné par l’accueil très favorable qui a été réservé à Kwid en Inde, car une telle intensité n’était pas forcément prévisible.
JA : A propos de Kwid et afin de se prémunir des approximations, peut-on revenir sur la genèse du projet et trouve-t-il notamment sa source dans le destin tourmenté de la Tata Nano ou est-ce plus nuancé que cela ?
GD : Au départ, s’il y avait une vision du président Louis Schweitzer pour Logan, il y a eu une vision de Carlos Ghosn pour Kwid, cette nouvelle famille au sein de l’Alliance. En schématisant, on peut dire que le postulat initial est limpide : nous avions fait le low-cost des marchés automobiles matures et il fallait donc faire le low-cost des marchés “immatures”. Or, même à une certaine distance d’observation, nous constations que l’Inde était un marché particulier caractérisé par des Suzuki Maruti 800 et Alto vieillissantes, mais qui assuraient bel et bien l’accession à l’automobile. Et il y avait eu cette tentative encore plus décalée de la Nano qui se voulait un pont entre les motos et les autos. A l’époque, Tata représentait environ 30 % du marché, valeur qui a bien baissé depuis, et la Nano n’était pas dénuée de qualités, notamment en termes d’habitabilité, rapportée à ses dimensions. Qu’elle ait eu des défauts finalement rédhibitoires pour séduire le marché indien, c’est encore autre chose. C’est cette tentative d’élargir le segment A au point de jonction entre 2 roues et 4 roues qui a inspiré le président Carlos Ghosn. Et il faisait aussi valoir une vision stratégique afin de positionner mondialement Renault et Nissan dans ce périmètre.
JA : Mais ensuite, il a fallu essayer de matérialiser cette vision, comment avez-vous appréhendé et organisé ce rôle de défricheur ?
GD : Nous sommes partis d’une étude papier dont il convient de rappeler qu’elle a été réalisée par Arnaud Deboeuf, car j’étais alors en charge du programme M0. Cette première étude papier tendait à démontrer que nous pouvions y parvenir, avec des différences entre Renault et Nissan cependant, car Renault s’est tout de suite orienté vers une nouvelle plate-forme et un nouveau moteur, alors que Nissan revisitait plus volontiers le carry-over. C’est finalement la première option qui a été retenue, baptisée CMF-A, et on m’a confié le challenge. Au départ, tout n’a pas été très rapide car dans un ensemble de la taille de l’Alliance, un projet de cette nature divise forcément et certains n’y croyaient pas ou auraient préféré que ces ressources soient allouées à un autre projet. D’ailleurs, soyons honnêtes et modestes, au départ, si nous sommes convaincus de pouvoir réussir, cela ne veut pas dire que nous sommes sûrs de réussir…
JA : Justement, de votre point de vue, quelles ont été les principales difficultés à surmonter, étant entendu que rétrospectivement, les choses apparaissent souvent plus simples qu’elles ne l’ont été, dans une veine œuf de Colomb ?
GD : Pour Logan comme pour Kwid, nous faisons référence à un nouveau type d’innovation, où il s’agit notamment de faire tout pour moins cher, mais pas à la marge, pour moitié moins cher au moins ! Et pour Kwid, de surcroît, nous partons de zéro : nous ne reprenons rien d’existant, ni moteur, ni boite de vitesses, etc. D’ailleurs, en temps normal dans l’industrie, on ne fait jamais cela, car c’est trop risqué, beaucoup trop risqué. Mais avec ce projet, nous partons ex-nihilo : nouvelle plate-forme, nouveaux modèles, nouveau moteur…jusqu’à des nouvelles vis ! Une autre caractéristique du projet réside dans le fait qu’il repose sur un management de mission assimilable à un état d’esprit de commando, avec des personnes très déterminées, mais aussi avec une majorité de profils ayant un professionnalisme technique et automobile limité. Dans un ratio d’environ 400 “nouveaux” collaborateurs pour 45 cadres expérimentés, rompus aux méthodes du groupe et maîtrisant parfaitement leur sujet. Si je précise mon propos, il faut savoir que sur ces 400 collaborateurs, un très gros tiers était issu de l’extérieur, de sociétés de services. Des collaborateurs individuellement bons, mais pas forcément collectivement… Or, développer une automobile, c’est forcément un projet collectif. Sachant aussi que les deux autres tiers venaient de RNTBCI (Renault-Nissan Technical Business Center India), soit des collaborateurs de l’Alliance, mais pas encore nécessairement très expérimentés. Sachant encore qu’il y a aussi les fournisseurs locaux, des entreprises parfois de très petite taille. C’est aussi ce défi relatif à la maîtrise automobile et au lien social qu’il a fallu relever. Enfin, nous devons aussi parler du pilotage du projet sur un unique plateau, divisé en sous-plateaux de spécialités. Tous les vendredis, je battais la mesure pour m’assurer que tout était bien orchestré et synchronisé. C’était comme un paquebot lancé à forte vitesse, mais cependant agile. D’ailleurs, la voiture décidée au départ n’est pas celle que nous avons délivrée à l’arrivée. Des modifications relatives aux coûts, mais aussi aux attentes des clients, car nous étions en prise directe avec les Indiens et le marché. Par exemple, quand Kwid a été conçue, il n’y avait pas d’habillage intérieur et pourtant, au final, il n’y a plus de tôle apparente.
JA : Initialement, Kwid a été développé en Inde et prioritairement pour l’Inde : que pouvez-vous nous dire de ce marché qu’on présente souvent comme la future Chine automobile, alors que son éveil sera peut-être plus lent eu égard aux disparités du pays dans des registres aussi variés que les infrastructures, les communautés, les langues officielles… ?
GD : Dans sa forme, je ne crois pas du tout à un développement de l’Inde comparable à celui de la Chine ! Certes l’Inde fait valoir un potentiel énorme, mais n’a pas la même maturité politique que la Chine. De plus, c’est une fédération qui n’a pas véritablement de pouvoir central fort qui peut prendre des décisions d’envergure et les faire appliquer avec détermination. Ce n’est pas non plus la même maturité démocratique. Par ailleurs, l’Inde n’a pas bâti son essor sur l’industrie, privilégiant l’informatique par exemple. Il en résulte un esprit moins orienté vers les méthodes industrielles et moins organisé, ce qui constitue un trait culturel du pays d’ailleurs. Sans oublier qu’il y a moins d’argent disponible en Inde qu’en Chine et qu’on passe d’un pays paysan, 900 millions d’individus sur un total d’1,2 milliard il y a encore peu, à un pays qui s’urbanise au gré de flux considérables. Le financement des infrastructures, notamment la distribution de l’eau et de l’électricité, est prioritaire, mais tout se passe de manière un peu erratique… Pour les transports en général et l’automobile en particulier, le principal frein viendra donc des infrastructures. En outre, n’oublions pas qu’au-delà du retard de culture industrielle, le marché automobile chinois représente en un mois ce que le marché indien réalise en un an. En Inde, c’est encore le deux-roues qui est roi, avec 1,2 million de ventes chaque mois !
JA : Puisque nous évoquons la Chine et l’Inde, que pensez-vous de la nouvelle mappemonde automobile et de la vertigineuse accélération de la globalisation que vous avez connue durant votre carrière ?
GD : Vous savez, je suis issu de la mécanique et j’ai commencé à m’intéresser au produit automobile en tant que tel plus tard. J’ai vu des pays évoluer très rapidement. Si on reprend l’Inde comme exemple, quand nous y avons lancé Logan, le crédit n’existait pas, c’était un achat cash et familial, alors qu’il représente 90 % des ventes aujourd’hui. Cela a considérablement modifié le secteur automobile, car à partir du moment où on achète une mensualité, on voit la valeur des véhicules augmenter. Il y a eu une montée en gamme, ce qui est un effet de la globalisation et des évolutions sociales associées. Au final, actuellement, nous vendons majoritairement Kwid en versions hautes, alors que Redi-GO, pourtant plus axé sur l’argument prix, fait des volumes moindres.
JA : Et comment avez-vous vécu cette transformation au sein de Renault, qui est à certains égards un cas d’école de la globalisation ? Un sujet d’autant plus pertinent que vous êtes Français et que vous connaissez la relation très affective, voire parfois très subjective, qui lie la marque, la Régie serions-nous tentés de rappeler, aux Français ?
GD : C’est passionnant, mais force est aussi de reconnaître que lorsque vous vivez ces transformations de l’intérieur, vous ne les mesurez pas forcément à leur juste valeur. Sur le moment, vous souhaitez que les choses aillent plus vite, alors que quelques années après, avec un pas de recul, vous constatez l’extrême rapidité des changements. Le plus remarquable à mes yeux réside dans la complexification de l’entreprise. Quand je suis arrivé chez Renault, l’équation était simple, car nous produisions des voitures pour la France, en premier lieu, puis pour le marché européen. En outre, notre gamme était réduite. Sous l’effet de la globalisation, le changement a été considérable avec la forte expansion des gammes des constructeurs, la multitude des pays et des régions couverts, etc. Plus que l’automobile en tant que telle, c’est le management d’un système qui se complexifie chaque jour un peu plus qui me semble le plus intéressant. Plus particulièrement encore dans le cadre d’une alliance comme celle de Renault et Nissan, sans oublier les autres entités. L’essentiel est donc dans la capacité de la direction de l’entreprise, son président en tête, de favoriser la croissance tout en trouvant des modes de management globaux, mais aussi précis et locaux, et en améliorant les résultats.
JA : Dans un registre approchant, en tant qu’ingénieur reconnu, comment avez-vous vécu les grandes révolutions technologiques des dernières décennies et quelles sont celles que vous isoleriez volontiers ?
GD : Trois éléments me viennent spontanément à l’esprit, le premier ayant trait aux process et les deux autres étant liés à la conception. L’élément de process nous renvoie naturellement à la robotisation. Nous sommes tout simplement passés de systèmes pleinement manuels à des systèmes 100 % automatisés. Et cela a eu un impact considérable sur la manière de travailler de l’ingénierie. Avec le gain du droit à l’erreur, car il devenait possible de corriger les choses en cours de process. En somme, d’une machine à gérer les hommes, l’usine devient une machine à gérer les machines. J’ai connu cela empiriquement quand j’étais à Sandouville et cela s’est accompagné de conversion de métiers, avec l’émergence des techniciens machines par exemple. Par ailleurs, pour la conception des véhicules, la CAO (Conception Assistée par Ordinateur) a été une véritable révolution. Et Logan a été la première voiture intégralement réalisée en CAO ! Il n’y a même pas eu de prototype. Nous avons retenu cette option, afin de réduire les coûts et aussi parce qu’il s’agissait d’une voiture relativement simple. Là encore, nous parlons d’une innovation technologique, mais aussi d’une évolution majeure des techniques de conception et des méthodes de travail des ingénieurs. Ce qui implique aussi de facto des mutations managériales. La troisième révolution est informatique et ce sont désormais ces systèmes qui régissent la voiture elle-même. Actuellement, vous pouvez recenser entre 40 et 50 calculateurs dans une voiture et la prochaine étape est de les condenser en un seul, soit dit en passant. Pour avoir un ordre d’idée de ce qui s’est passé, prenons l’exemple des premiers moteurs à injection électronique, le calculateur mobilisait quelques kilooctets de programmes contre 4 ou 5 gigaoctets aujourd’hui. Enfin, la quatrième révolution est devant nous : c’est le véhicule autonome et c’est donc l’Intelligence Artificielle qui va rentrer dans la voiture. Voilà le prochain chapitre à écrire, même s’il y en a d’autres.
JA : Pour revenir à des notions fondamentales qui caractérisent certains de vos travaux, j’aimerais connaître votre définition de l’Entry, voire du low-cost même si je sais que vous vous méfiez beaucoup de cette lexie, car ce sont des notions complexes et présentant de surcroît des distorsions ou des hiatus selon les pays où on les envisage ?
GD : Cette question m’est souvent posée et elle est effectivement complexe. Ce n’est tout d’abord pas la même chose selon la voiture ou le produit qu’on fait. Disons que le low-cost, mot qu’effectivement je n’aime plus trop, consiste en une recherche permanente d’un contenu optimisé malgré les fortes contraintes de coût. D’où des différences selon les pays, les gammes, les clients… Sur cette base, plusieurs jalons sont incontournables. Primo, comprendre précisément les clients pour savoir ce qu’il convient de mettre dans la voiture. Dans ce domaine, il y a des invariants dans les demandes des clients dans le monde. La difficulté provient parfois davantage des souhaits des équipes marketing. Prenons un exemple simple : tous les spécialistes du marketing veulent des roues en aluminium, alors que l’immense majorité des clients se contente d’un design de type roues aluminium. Il faut donc aussi savoir dire “non” en interne. Secundo, comment obtenir ce contenu au meilleur prix possible. Et dans ce périmètre interviennent naturellement les négociations avec les fournisseurs. Mais il s’agit aussi d’un grand travail de simplification en amont, afin de pouvoir demander des efforts de simplification de process de fabrication aux fournisseurs, pour in fine, contenir les coûts à un niveau très bas.
JA : Ce qui nous renvoie au design-to-cost, un pilotage à la fois subtil et serré de tous les coûts, souvent caricaturé par l’image du donneur d’ordre étranglant les fournisseurs, n’est-ce-pas ?
GD : Tout le monde doit vivre, c’est le b.a.-ba. Donc, il ne s’agit pas d’annihiler les marges, mais bel et bien de réduire autant que faire se peut les coûts. En utilisant moins de matière, en réduisant les temps d’usinage, en emballant mieux les produits, en optimisant les flux tendus, etc. Tout est étudié et il n’est pas uniquement question d’ingénierie. Pour illustrer la méthode, on peut aussi recourir à l’adage populaire qui veut que “ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières”.
JA : Comment expliquez-vous que l’Alliance, et Renault en particulier, aient si peu de concurrents sur ce périmètre de marché, alors qu’on sait que d’autres constructeurs de premier ordre s’y sont essayés ?
GD : Je serais plus nuancé, car nous avons des concurrents. En Inde, Suzuki et Maruti sont à nos niveaux de prix par exemple. La différence réside dans le fait qu’ils n’ont pas une approche mondiale de leur diffusion. Par ailleurs, en filigrane de vos propos, on devine une référence au groupe Volkswagen que nous suivons naturellement avec intérêt. Leur problème ne relève pas du savoir-faire, mais est d’ordre culturel, à savoir qu’ils sont orientés vers la mise en commun des plates-formes, ce qui a pour effet de lisser les différences et d’éloigner de l’Entry. On le voit très bien avec Skoda et Volkswagen. Un autre groupe est intéressant à suivre, Toyota. Avec Daihatsu qui évolue dans le low-cost en Asie du Sud-Est. En fait, la particularité de Renault est d’avoir un traitement mondial pour ces produits, la plate-forme M0 en étant l’illustration. Mais entendons-nous bien, avec certains modèles de ces plates-formes, nous ne sommes pas considérés comme low-cost sur bien des marchés. Cela revient à ce que nous disions tout à l’heure. Toujours est-il que Renault est sans doute le seul groupe à avoir une stratégie claire et déterminée de gagner de l’argent avec le low-cost. Car dans l’industrie automobile, règne dans l’esprit du plus grand nombre un paradigme qui veut que “plus c’est cher, plus c’est générateur de marge”. Or, notre groupe dégage des marges sur l’Entry et le lowcost, et à des niveaux significatifs. D’ailleurs, nous sommes observés et il y a fort à parier que nous aurons bientôt plus de concurrents.
JA : On vous connaît discret et peu enclin à parler de vous, mais le prix de l’Homme de l’Année ne saurait se limiter à des performances commerciales ou financières et le jury prend aussi en compte l’empathie provoquée par les dirigeants. Dès lors, pourriez-vous nous dire quels sont les principaux jalons importants que vous isoleriez volontiers dans votre riche parcours ?
GD : Comme vous le savez, je présente la particularité d’être mathématicien de formation. Et j’ai d’ailleurs rejoint Renault par le biais des mathématiques pour réaliser des études scientifiques et économiques, sous la direction de Freddy Ballé, à l’époque de Bernard Hanon. En fait, mon travail était décorrélé du produit fabriqué par Renault. Je voulais me rapprocher de la réalité de l’entreprise et on m’a confié la responsabilité de l’industrialisation du châssis de la R25, à Sandouville. Cela a vraiment constitué un tournant dans mon parcours, car cela revenait à passer d’un milieu universitaire à une usine automobile. L’intelligence universitaire et l’intelligence du terrain qui ne se croisent pas toujours naturellement. Il a fallu faire des efforts, mais cette rupture a été très formatrice, très féconde. Plus tard, je me suis orienté vers le montage et ce fut une période très stimulante, car nous entrions dans l’ère de l’automatisation et des robots. C’est à cette période que nous avons défini un mode de montage universel, commun à toute nos usines, et c’est d’ailleurs celui qui prévaut aujourd’hui dans l’Alliance. Lors de mon passage en mécanique, la mutation de l’usinage rigide vers le flexible fut aussi passionnante à concevoir et à mettre en œuvre, avec de nouvelles machines. Enfin, impossible de ne pas citer le projet Logan dont nous avons déjà beaucoup parlé aujourd’hui. Dans ce parcours, on peut finalement trouver au moins une constante : à chaque fois, il a fallu que je trouve des modes de raisonnement différents. Chaque phase était un questionnement intellectuel, ce qui est passionnant.
JA : Et pour conclure, alors que beaucoup de gens évoquent votre caractère bien trempé, comment vous définissez-vous en tant que manager et avez-vous des convictions dans ce domaine ?
GD : J’ai des convictions dans ce domaine, et je les défends, souvent avec détermination, c’est vrai. D’une manière générale, je crois qu’un manager doit savoir où il va. On peut appeler cela une vision. Il faut ensuite savoir susciter l’adhésion des collaborateurs. Alors, on peut avancer, sans compromis ni calculs politiques.
Propos recueillis par Alexandre Guillet
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.