"Nous sommes des facilitateurs"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Quel est votre domaine d’intervention ?
PATRICK RIBIÈRE. A la création de mon cabinet en 1995, il s’agissait d’auditer les réseaux. Evaluer, expertiser et redresser, le cas échéant, des concessions en difficulté. Dans le cadre de mes activités, le groupe Maurin m’a alors confié être à la recherche d’un site Fiat. Au cours d’un déjeuner avec Eric Mathiot, l’idée nous est venue de nous associer, tout en gardant des structures séparées, pour poursuivre dans cette voie. A l’époque, personne ne menait réellement ce genre de missions. Nos connaissances complémentaires ont ainsi permis à ce groupe d’acquérir la concession Fiat de Valence. Aujourd’hui, nous travaillons avec 75 des 100 plus grands groupes de France et avec 70 % des 10 plus importants.
JA. Vous êtes devenus une sorte d’agent intermédiaire dans le processus de cession-acquisition…
PR. Nous mettons en relation vendeur, acheteur et constructeur, sur mission ou mandat d’une de ces trois parties. Nous accompagnons les investisseurs dans leurs recherches de locaux, de panneaux, de financements. Nous avons des accords avec des banques et pouvons en faire profiter nos clients. Nous les conseillons. Parfois, certains veulent vendre, mais nous leur recommandons d’attendre. Nous cherchons à trouver les meilleures options pour nos clients. Nous réalisons également la valorisation des fonds de commerce. C’est d’ailleurs souvent la partie la plus délicate. Notre éventail d’intervention est assez large. Nous sommes des facilitateurs.
JA. A quel stade intervenez-vous dans la négociation ?
PR. Quand un distributeur s’intéresse à une marque, nous le présentons à la direction de ce constructeur pour le faire agréer. Ensuite, nous pouvons le présenter au vendeur. Nous sommes agréés et reconnus par plusieurs marques. Dans certains cas, dans le cadre de prospections pour un client, nous allons voir un concessionnaire qui s’est levé ce matin-là sans intention particulière de vendre, mais nous parvenons à l’en convaincre. Parfois, ce sont les marques elles-mêmes qui nous appellent pour régler un problème sur une zone précise.
JA. Comment procédez-vous ?
PR. Le gros problème d’un concessionnaire, c’est qu’il ne vend ni achète des sites tous les jours. Des distributeurs sans descendance se retrouvent, par exemple, souvent sans repère face à la nécessité de vendre. Nous les guidons, les orientons vers des opérateurs que nous savons en développement sur un territoire donné ou sur une marque particulière. Sur chaque mission, nous ne présentons qu’un seul éventuel acheteur au vendeur. Nous ne sommes pas là pour faire de la surenchère. Tant qu’il n’y a pas d’accord, nous n’en parlons pas à d’autres candidats.
JA. Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez à faire face ?
PR. C’est toujours une relation délicate. Quand un distributeur vend une affaire, il vend de l’or, alors que l’acheteur part du principe qu’il reprend quelque chose qui ne vaut rien. Tout s’achète et tout se vend. Il s’agit d’être au bon prix. Quand un acheteur demande trop, ou un vendeur pas assez, à nous de leur faire entendre raison. Parfois, il nous arrive aussi de réévaluer à la hausse la valeur du fonds de commerce par rapport à l’estimation faite par le vendeur. Si les conditions ne sont pas conformes au marché, nous ne nous intéressons pas à l’affaire. Néanmoins, les difficultés sont rarement insurmontables. Notre travail est de trouver des solutions et que toutes les parties soient satisfaites. Personne ne doit se sentir lésé.
JA. Cristallisez-vous les tensions ou méfiances des différentes parties ?
PR. Pas vraiment. Nous nous rémunérons d’ailleurs sur les deux parties à parts égales, car nous ne pouvons décemment pas être juge et partie. Et puis c’est une question de réputation. Je connais le métier et ses acteurs. Je fais surtout beaucoup de relationnel. Il s’agit d’être à l’écoute des distributeurs, de leurs envies, de leurs projets, leurs recherches, puis à l’écoute des constructeurs, de leurs besoins, de leurs exigences. Tout est basé là-dessus. Avec certains, nous arrivons à un tel degré de confiance que la seule poignée de main suffit. Il y a encore des investisseurs avec lesquels on peut fonctionner à l’ancienne.
JA. Les relations humaines peuvent-elles faire échouer une opération ?
PR. Bien sûr. La discrétion est d’ailleurs essentielle. Parfois, l’acheteur nous demande de ne pas communiquer son nom car il veut reprendre l’affaire d’un ami et ne veut pas que sa relation interfère sur le processus de vente. Dans l’agglomération niçoise, il nous est arrivé de traiter une affaire durant treize mois. Une période pendant laquelle aucun des deux ne connaissait l’identité de l’autre. Au final, il s’avère que les deux partaient en vacances ensemble régulièrement.
JA. Sur quels critères réalisez-vous la valorisation des fonds de commerce ?
PR. Il y a plusieurs critères qui entrent en ligne de compte. La marque, la localisation, les volumes réalisés, les volumes potentiels, l’avenir de la marque, la rentabilité de l’entreprise. Après, il y a aussi beaucoup de feeling. Je pense même que cela constitue 15 à 20 % de la valorisation.
JA. La concentration des réseaux à l’œuvre depuis près de quinze ans semble s’être considérablement accélérée ces deux dernières années. Vous qui êtes aux premières loges, quelles observations faites-vous ?
PR. Nous sommes à la croisée des chemins. Dans les mois et années qui viennent, il va y avoir beaucoup de transactions. Cela paraît banal et convenu de le dire, mais il est évident que les distributeurs monomarque et monosite sont condamnés à grandir ou à passer la main. Les exigences des marques réclament une telle surface financière que cela devient compliqué de lutter. Cela ne peut que s’accélérer. Il y a d’ailleurs beaucoup d’opportunités en ce moment. Nous le voyons très nettement. Nous n’avons jamais eu autant de contacts. C’est même assez phénoménal.
JA. Faut-il s’attendre à des évolutions majeures dans les mois qui viennent ?
PR. Aujourd’hui, avec la crise économique, il y a de vraies incertitudes. Certains se disent que c’est le bon moment, car les conditions sont optimales pour vendre. Des grands acteurs se disent quant à eux qu’il est impératif de consolider leurs positions dès aujourd’hui. Lorsque l’on regarde la capillarité des groupes de distribution, on comprend mieux certaines stratégies. Il y a beaucoup de reclassements, de ventes, de rachats, de recentrages, d’ajustements, de recherches de synergies.
JA. Quels panneaux ont aujourd’hui les faveurs des investisseurs ?
PR. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de demandes sur le Premium. C’est étonnant dans une période difficile. Surtout quand tout le monde met en exergue les exigences des constructeurs haut de gamme en matière de standards. Mais le Premium fonctionne. C’est un fait. Actuellement, la valorisation la plus élevée, c’est BMW, car la plupart du temps, les investissements immobiliers ont déjà été réalisés. Ensuite, vient Audi. Chez Mercedes, c’est un peu compliqué parce que le réseau fonctionne en “close up”, les opérateurs se revendent leurs affaires entre eux. Chez les généralistes, les différences sont importantes. Ford est une marque très recherchée aujourd’hui, notamment pour des questions de rentabilité pérennes. Kia et Hyundai sont aussi demandées pour leur développement produit.
JA. C’est souvent le plan produit qui fait bouger les lignes de la cote ? Si cote il y a…
PR. C’est évident. L’exemple de Citroën est tout à fait frappant à ce niveau. C’est aujourd’hui un contrat très recherché alors que ça n’était pas le cas cinq ans en arrière. Aujourd’hui, Peugeot est de mieux en mieux valorisée. Pour moi, c’est maintenant qu’il faut investir chez Peugeot. Je le préconise souvent. Mais, encore une fois, c’est aussi une affaire de cycle. Les valorisations fluctuent rapidement. Un jour, on est au zénith, et l’autre à plat ventre. Il faut trouver le bon moment pour investir ou pour vendre.
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PR Conseil en bref
Après avoir pris les commandes du développement réseau de General Motors en France, puis celui de Seat et de Daewoo, Eric Mathiot a également occupé la direction générale de Kia dans l’Hexagone, puis la présidence de Rover.
Patrick Ribière affiche un profil plus financier. Il a fomenté le premier floor plan de Chrysler en France, avant d’occuper des fonctions aux finances chez Simca, puis de prendre la direction de Fiat Crédit en France, puis en Europe.
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