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La situation est grave… mais pas désespérée

Publié le 5 octobre 2012

Par Tanguy Merrien
13 min de lecture
Chute des ventes VN, rentabilité en perte de vitesse, affaires fragilisées, les réseaux de distribution sont, à la sortie du premier semestre 2012, dans l’œil du cyclone. Inquiets, sceptiques, voire pessimistes, nombreux sont les opérateurs à s’être confiés sur leur avenir plus ou moins proche. Si tout n’est pas si sombre, l’heure est à la réactivité. Tour d’horizon.
Les distributeurs du lion attendent les effets positifs de la montée en gamme des nouveaux produits, à commencer par la 208.

En mai dernier, à l’occasion de notre traditionnel bilan des réseaux (JA n° 1159), nous vous faisions part du recul de la rentabilité moyenne au sein des réseaux de distribution en 2011. Cette même rentabilité moyenne a ainsi pâti du recul de plusieurs activités. En effet, après deux années durant lesquelles constructeurs et distributeurs ont travaillé ensemble à professionnaliser chaque activité afin de soigner la satisfaction client, puis multiplié et pérennisé les centres de profits, préparant le terrain à une sortie de prime à la casse tout en douceur, le marché automobile a, sans surprise, reculé en 2011. Les ventes hexagonales ont clôturé l’exercice passé en baisse de 2,11 %, à 2 204 229 VN. Mais c’était en 2011, autant dire des lustres. Malheureusement, quelques mois plus tard, en 2012, le constat est identique, voire pire.

La baisse du marché VN n’explique pas tout

A fin juin, le marché VN poursuivait sa dégringolade et reculait de 14,4 %, à 1 048 298 immatriculations. C’était sans compter sur la période estivale, en général peu propice à un rétablissement de la situation. Les mois de juillet et août n’ont évidemment pas enrayé la chute des ventes et le marché hexagonal terminait après huit mois à 1 294 021 unités, en retrait de 13,4 %. Si on ajoute à cela une conjoncture économique peu enthousiasmante à tous les niveaux, des plans sociaux en pagaille et la fragilité des constructeurs français, nul n’a besoin d’être devin ou agrégé d’économie pour comprendre que, sur le terrain, l’ambiance est à la morosité. Il suffit aussi d’observer les rentabilités moyennes des réseaux pour comprendre que les activités des concessionnaires français sont en berne. En six mois, certaines de ces rentabilités ont brusquement chuté, témoignant de la situation dans laquelle se trouvent certaines marques et, surtout, leurs opérateurs. Mêmes les plus performants se situent aujourd’hui dans l’œil du cyclone. Ainsi, le réseau Nissan pouvait s’enorgueillir de compter sur une rentabilité moyenne de 2 % fin 2011. Un semestre plus tard, celle-ci est tombée à 1,2 %. Celle de Ford est passée de 0,9 % à 0,1 %, Opel de 0,9 % à 0,2 % (avec 46 % du réseau qui perd actuellement de l’argent, N.D.L.R.), Peugeot de 0,83 % à 0,3 %. Même l’insolente santé financière des opérateurs Volkswagen s’est vue affaiblie en chutant de 1,5 % à 0,8 % en six mois. Et encore, ces marques sont pour ainsi dire “bénies” comparées à d’autres comme Renault. La rentabilité moyenne du réseau au losange serait descendue de 0,6 % à - 0,9 % ! “La situation est très contrastée, il n’existe pas d’uniformité. Les deux premiers quadrimestres n’ont pas été bons, avec des niveaux de commandes qui n’ont pas suivi. A cela se sont ajoutées une guerre des prix et une baisse de la fréquentation en après-vente. Et certaines marques sont également plus exposées que d’autres”, constate ainsi Olivier Lamirault en tant que président de groupe multimarques, mais également président de la branche VP du CNPA. Un constat relayé par un financeur, Jean-Jacques Weiter, directeur distribution de CGI, qui tous les jours peut témoigner des difficultés de certains opérateurs : “Outre la baisse du marché VN, d’autres secteurs sont touchés. Il ne faut pas oublier non plus la baisse du taux d’absorption par l’après-vente, la baisse de la fréquentation dans les showrooms, les problèmes de surstockage et, de surcroît, la baisse des marges sur les VN. Autant d’éléments qui pénalisent les distributeurs et la santé financière de leurs affaires”, explique le financeur. De son côté, Claude Freret, P-dg de PGA Motors avance une autre explication : “Les besoins croissants en fond de roulement liés à des stocks trop lourds et vieillissants ont clairement fragilisé les groupes ne disposant pas d’une structure financière suffisante”. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant, donc, que certains soient sérieusement affectés.

30 membres du Top 100 dans le rouge

“Selon plusieurs partenaires financiers, 30 groupes membres du Top 100 seraient actuellement dans le rouge”, nous rapporte ainsi un distributeur qui préfère rester anonyme. S’il ne confirme pas cette information, Olivier Lamirault n’est pas étonné d’apprendre que “certains groupes importants sont effectivement entrés dans un plan de sauvegarde”. A l’heure actuelle, de nombreux bruits courent dans les réseaux sur tel ou tel distributeur, à commencer par le groupe Schuller, troisième opérateur national qui vient de céder au groupe Bodemer toute sa plaque Renault-Nissan-Dacia en Bretagne (lire JA n° 1166). “Les groupes les plus exposés sont ceux dont les marques souffrent le plus sur le marché actuellement, comme Renault, Opel ou celles du groupe Fiat”, entend-on de part et d’autre. Mais ceux qui en parlent le mieux sont encore les plus concernés.

Sans tomber dans un discours alarmiste, Jean-Paul Lempereur reconnaît la difficulté de la situation : “Fin juin, on avait encore réussi à tirer les marrons du feu, mais à fin août, on peut dire que l’été fut meurtrier. Toutes les marques que je distribue ont souffert et, encore, j’ai la chance d’être multimarques, ce qui n’est pas le cas de tout le monde”, explique l’opérateur nordiste également président du GNCO (groupement des concessionnaires Opel). Des propos relayés par Francis Bartholomé, P-dg du groupe Saint Christophe, principalement distributeur Ford : “Le réseau Ford a terminé le premier semestre avec une rentabilité moyenne de 0,1 %. Un niveau préoccupant, d’autant plus qu’au regard de ventes estivales et de celles du mois de septembre, ce triste score risque d’être semblable à la fin de ce mois.” De son côté, Olivier Varlez, directeur des Grands Garages du Gard, opérateur Peugeot, Citroën et Suzuki, regrette “la surmédiatisation de certains événements et en particulier la chute du marché ou les problèmes de PSA, qui n’aident pas à retrouver de la confiance”.

Tout le monde est touché

Même les opérateurs les moins exposés grâce à des marques “porteuses” montrent une certaine inquiétude. A l’image des opérateurs BMW : “La situation est difficile, certes, mais elle n’est pas dramatique. Nous avons la chance de compter sur une marque Premium et son succès. Mais, malgré notre gamme attractive et ses nombreuses nouveautés, nous aurions été en droit d’espérer écouler plus de véhicules. En outre, au regard de la conjoncture, il devient de plus en plus compliqué de prévoir le marché. Depuis quelque temps, toutes les semaines sont marquées par des événements qui impactent le secteur, ce qui, obligatoirement, déstabilise le marché”, explique ainsi un directeur commercial d’une concession BMW.

Même son de cloche pour Matthias Boniface, distributeur Hyundai et président du groupement des concessionnaires de la marque coréenne : “Au regard de nos résultats commerciaux, nous n’avons pas à nous plaindre, c’est vrai (+ 37,7 % de janvier à août). Depuis que Hyundai France est devenue une filiale à part entière, nous marchons sur l’eau. Mais je suis plus préoccupé par la santé financière. En effet, nous rencontrons des problèmes liés aux frais financiers, à la rémunération et à la gestion des stocks, ce qui impacte nos affaires. Mais c’est également dû à la restructuration du réseau, du nouveau statut de la marque en France. Il convient d’attendre que nos relations soient plus mûres avant d’en cueillir les fruits”, explique le dirigeant bordelais. Même les constructeurs affichent un discours prudent. “C’est vrai que cet exercice 2012 apparaît plus difficile. A fin juin, le réseau affichait une rentabilité moyenne de 0,8 %. Ce chiffre est certes moins bon que les 1,5 % de 2011, mais compte tenu du contexte, ce résultat n’est pas si mauvais”, nous explique ainsi Jacques Rivoal, directeur de Volkswagen France. Que faire dans cette conjoncture et, surtout, qu’attendre du second semestre, déjà bien entamé ?

Des éléments positifs

Première chose : le Mondial de l’Automobile de Paris ouvre ses portes à la fin de ce mois avec son lot de nouveautés. “Il faut profiter de l’effet positif du salon, de ses conséquences sur les ventes car, pendant une quinzaine, la voiture est replacée au centre des débats. Reparlons de rêve”, souhaite Jean-Paul Lempereur. Pour Olivier Lamirault, la période qui s’ouvre ne peut qu’être bénéfique, non seulement à court, mais également à moyen terme : “Nous allons assister à l’arrivée de la nouvelle Clio IV, à la montée en puissance de la nouvelle Audi A3 ou encore des aides gouvernementales sur les véhicules hybrides, autant d’éléments porteurs pour nous, distributeurs.” D’autres comptent sur l’implication de leurs concédants pour relancer la machine, à l’image de Francis Bartholomé, qui espère “une communication accentuée de la part de la marque Ford ou un plan Go Further enthousiasmant et d’autres événements comme des salons locaux et des opérations pour relancer l’activité. Soyons prudents et attendons que la tempête passe, en courbant l’échine. Appliquons la tactique du roseau”.

Communication, un maître mot dans la bouche de beaucoup de concessionnaires. Ceux-ci attendent énormément des constructeurs dans ce domaine, ce qui signifie aussi un soutien à toute épreuve. “C’est le moment de parler de soi en bien, de communiquer sur toute la gamme, de faire connaître les produits, d’autant plus que, chez Peugeot, ceux-ci arrivent en nombre”, souhaite Olivier Varlez. “Ce n’est pas parce que les ventes ou le marché reculent que c’est obligatoirement la faute des distributeurs. Au contraire, il faut même compter davantage sur les réseaux pour communiquer au niveau local et relayer ce qui se fait au niveau national. Que les constructeurs s’appuient sur l’expérience du terrain de leurs hommes”, réclame encore Mathias Boniface. “Même si les temps sont durs, un constructeur, quel qu’il soit, et au regard du marché actuel, n’a aucun intérêt à ne pas soutenir un de ses distributeurs en difficulté sous peine de perdre du terrain par rapport à la concurrence”, résume Jean-Jacques Weiter.

Vers une nouvelle voie ?

Enfin, comme à chaque crise, c’est peut-être aussi le moment d’explorer d’autres pistes et d’en profiter pour faire évoluer son métier. D’abord à très court terme. “Certains opérateurs démontrent leur capacité à performer dans la situation actuelle ce qui suppose qu’ils travaillent de manière optimisée la fidélisation de leurs clients ainsi que la vente additionnelle dans tous les métiers” analyse en premier lieu Claude Freret. “La période est propice pour procéder à des changements. Ceux-ci doivent venir de nous et il ne faut pas attendre qu’on nous les impose. J’ai souhaité par exemple élargir les plages horaires d’ouverture et demander à mes équipes de s’adapter à la situation avec plus de flexibilité”, avance de son côté Olivier Lamirault. Mais également à plus long terme. “J’ai demandé à mes équipes de ne pas se consacrer uniquement à l’activité VN, mais de miser sur les autres secteurs d’une concession comme le VO, le financement, les services ou la carrosserie. Il faut une véritable prise de conscience, c’est une question de survie. A nous distributeurs de rassurer les équipes en développant les services annexes et autres périphériques”, détaille Jean-Paul Lempereur. “Il faut que l’expérience et le terrain prennent enfin le pas sur le marketing”, conclut Mathias Boniface. L’histoire l’a déjà prouvé, chaque crise a débouché sur une nouvelle ère. Les distributeurs français sont peut-être en train de la créer.

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QUESTIONS À... JACQUES RIVOAL, directeur de Volkswagen France

"Nous restons attentifs et si un ajustement apparaît nécessaire, nous le ferons"

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Après huit mois d’activité, comment jugez-vous votre performance ?
JACQUES RIVOAL.
Dans un contexte de marché plus bas que prévu, nous figurons toutefois parmi les gagnants. Avec une part de marché de 8,3 % à fin août, nous sommes en avance sur notre objectif annuel qui se situe à 8 %. Depuis le début de l’année, nous avons grignoté près d’un point de part de marché.

JA. Comment vos distributeurs vivent-ils cette année 2012 qui semble être difficile pour les réseaux ?
JR.
C’est vrai que cet exercice 2012 apparaît plus difficile et nous sommes très vigilants. A fin juin, le réseau affichait une rentabilité moyenne de 0,8 %. Ce chiffre est certes moins bon que les 1,5 % de l’année 2011, mais compte tenu du contexte que nous avons évoqué, ce résultat n’est pas mauvais. D’ailleurs, nous pensons que le réseau devrait finir l’année autour de 1 % de rentabilité. Cependant, du fait d’activités après-vente ou VO plus difficiles, nous restons très attentifs et avons même engagé un grand chantier avec nos distributeurs afin de voir quels sont les coûts que nous pourrions réduire, voire supprimer, à cause de leur faible valeur ajoutée pour le réseau et les clients.

JA. Ce travail pourrait-il avoir un impact sur le déploiement des nouvelles normes de la marque ?
JR.
Notre réseau doit afficher des normes de représentation au niveau de la qualité des véhicules, mais nous ne devons pas être excessifs non plus. Nous restons donc attentifs et si un ajustement apparaît nécessaire, nous le ferons.

Propos recueillis par Christophe Jaussaud

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ZOOM - Quel avenir pour le groupe Schuller ?

La cession en Bretagne, en juillet dernier (JA n° 1166), de toute la plaque Schuller Renault-Nissan-Dacia au groupe Bodemer a alimenté bien des conversations chez les distributeurs ces dernières semaines. Comment le 3e groupe de distribution hexagonal peut-il céder une plaque aussi stratégique à un concurrent ? Les premiers commentaires sur l’avenir du groupe font état d’un début de désengagement progressif. “Le plus probable reste la vente par appartements du groupe”, suppute un distributeur. D’autres cessions seraient donc à venir les prochains mois. Mais pour nombre de concessionnaires, les malheurs du groupe Schuler inquiètent beaucoup plus qu’ils n’étonnent. “Le groupe Schuller a eu à faire face à de sérieux problèmes de trésorerie, notamment liés à la gestion des stocks, sans oublier aussi le départ de l’ancien DG, Roger Munoz, excellent gestionnaire, qui n’a pas été remplacé”, croit savoir un distributeur. Un autre s’étonne de “la rapide croissance externe du groupe ces dernières années, qui n’a peut-être pas été digérée comme il le fallait”. D’autres préfèrent accuser la marque principale du distributeur, en l’occurrence Renault : “Les soucis traversés par le groupe Schuller cachent surtout une relation difficile avec le constructeur. Ce dernier n’a pas tendu la main à son opérateur comme il aurait dû. En effet, Renault aurait pu notamment racheter les encours du distributeur en patientant jusqu’à ce que la tempête se calme.” En attendant une suite à cette situation, probablement une réduction du périmètre du groupe et une cession de ses actifs pour une meilleure maîtrise de la trésorerie, ce genre d’imbroglio inquiète les professionnels de la distribution : “Cela risque de provoquer des dommages collatéraux qui pourraient s’avérer préjudiciables. En effet, les banques et établissements de crédit seront plus frileux à l’avenir au moment de soutenir un distributeur en difficulté…”, conclut enfin un autre concessionnaire.

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