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Aux grands maux toujours les mêmes remèdes

Publié le 1 avril 2025

Par Catherine Leroy
5 min de lecture
TRIBUNE – Patrice Mihailov – En mars 2025, la Commission européenne a annoncé un plan de soutien à l'industrie automobile, mais celui-ci soulève de nombreuses interrogations. Alors que les résultats des constructeurs restent élevés, les subventions chinoises sont accusées de créer une "concurrence déloyale", bien que l'industrie européenne bénéficie elle-même de soutiens massifs. Avec l'augmentation des prix des voitures et des pièces détachées, les consommateurs sont contraints de recourir à des formules de location, perdant ainsi leur pouvoir d'achat et leur liberté de choix.
Patrice Mihailov, avocat spécialisé dans le droit de la distribution. ©Patrice Mihailov

En mars 2025, la Commission européenne a annoncé un plan de soutien à l'industrie automobile, qui s'analyse comme une déclaration d'intention, de nature politique, appuyée sur des affirmations contestables :

- l'industrie automobile serait en "danger de mort", alors qu'entre 2014 et 2023, le résultat des constructeurs a augmenté de 128 %, se maintenant à un niveau élevé en 2024 ;

- les subventions chinoises créeraient une "concurrence déloyale", alors que l'industrie automobile en Europe est elle-même massivement subventionnée ;

- le marché serait "inondé par des véhicules chinois bon marché", alors que ces immatriculations ont représenté entre 1 et 2 % en 2023 et 2024.

 

Le marché a effectivement enregistré un puissant repli, de l'ordre de 25 %, qui s'explique en premier lieu par l'augmentation du prix d'acquisition et d'usage des voitures : +45 % entre 2019 et 2024 !

 

Et c'est la même chose pour les pièces de rechange, dont l'augmentation impacte l'entretien, la réparation et l'assurance : +29 % entre 2020 et 2024.

 

Le résultat : les particuliers n'ont plus accès à l'achat d'un véhicule neuf et conservent plus longtemps leur véhicule avant de le remplacer.

 

Conserver des profits élevés

 

Les principaux constructeurs européens ont développé une formule qui leur permettrait d'augmenter encore leur rentabilité. À défaut de pouvoir acheter le véhicule, il est désormais proposé au consommateur des formules de location, panachées avec la fourniture de services d'entretien, de réparation et d'assurance, l'ensemble pouvant être renouvelé tout au long de la durée de vie du véhicule.

 

Dans ce schéma, qui est déjà opérationnel pour l'essentiel, le distributeur n'est plus un commerçant indépendant, mais un mandataire du constructeur et de sa captive – il est leur agent – pour la mobilité, qui inclut le financement et l'après-vente.

 

En 2022, des constructeurs ont ajouté une brique à cette construction, en élargissant le mandat à la commercialisation des véhicules : le fameux "contrat d'agent".

 

Les contrats qui étayent ce modèle posent des problèmes de concurrence : imposition du prix de vente, soumission des distributeurs à des clauses de non-concurrence directes et indirectes, appropriation des données commerciales des distributeurs, fermeture de l'accès aux réseaux des équipementiers, fin des ventes croisées et contrôle des modalités de cession des affaires des distributeurs.

 

L'effet de ces dispositifs est démultiplié par leur effet cumulatif, puisqu'ils sont collectivement mis en œuvre par la plupart des constructeurs. Le fonctionnement normal du marché est enrayé : les constructeurs n'obéissent plus à la demande, c'est la demande qui obéit aux constructeurs.

 

Le consommateur pris au piège

 

Pour le consommateur, la première conséquence réside dans la pérennisation d'un système inflationniste, qui ajoute à chacun des métiers de l'aval – banque, location, entretien/réparation, négoce de pièces, négoce VO – le poids supplémentaire d'une marge prélevée par le constructeur.

 

La seconde conséquence réside dans le passage de la propriété à l'usage, qui n'est pas choisi par le consommateur, mais s'impose en raison de l'inaccessibilité de l'achat.

 

En outre, l'usage est contractualisé sur une période généralement pluriannuelle, pendant laquelle le consommateur perd toute possibilité de faire jouer la concurrence : il est captif de l'écosystème et au service – comme les distributeurs et autres acteurs de la filière – d'une rente payée au constructeur.

 

Une dernière conséquence est annoncée par la Commission dans le cadre du plan de soutien aux constructeurs : les États membres sont invités à produire de nouvelles incitations fiscales, pour soutenir leur activité et leurs profits.

 

Ainsi, les consommateurs, au travers de leurs impôts, contribueront aux bénéfices des constructeurs, dans le cas même où leurs moyens ne leur permettraient pas d'acheter une nouvelle voiture, ni même de la louer.

 

Le plan d'action présenté par Madame von der Leyen et Monsieur Séjourné au mois de mars 2025 reprend pratiquement mot pour mot les éléments de langage qui avaient servi à justifier la suppression de l'encadrement de la distribution (non-renouvellement du règlement d'exemption de la distribution auto) en juillet 2009 :

 

"(…) le secteur automobile rencontre actuellement des difficultés imputables à une forte diminution de la demande liée à la crise économique générale, ainsi qu’à une dégradation du climat de confiance dissuadant les consommateurs d’acheter des produits aussi onéreux que des voitures. (…)

 

Il s'ensuit que la Commission ne devrait pas imposer de contraintes d'ordre réglementaire qui ne soient justifiées par l'objectif consistant à protéger la concurrence sur le marché et qui risquent au contraire d'entraver les efforts déployés par le secteur pour améliorer sa compétitivité au niveau mondial"[1].

 

Comme en 2009, le plan d'action de 2025 est envisagé sans contrepartie, que ce soit en termes d'emploi local, de respect de la concurrence, des consommateurs, aussi bien que de l'aval de la filière.

 

Avec l'expérience, on sait maintenant où ça mène.

 

[1] Communication de la Commission, 22 Juillet 2009, Le futur cadre réglementaire concernant la concurrence dans le secteur automobile, § 7, 11.

 

Par Patrice Mihailov, avocat spécialisé dans le droit de la distribution

 

Découvrez la version intégrale et documentée de la tribune Au chevet de l'industrie automobile, toujours les mêmes remèdes ! ici

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