"La ligne DS va bientôt s’enrichir d’une berline du segment C supérieur, d’un SUV et d’une grande berline"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Tout d’abord, on ne parle que de l’accord conclu entre PSA et GM dans les allées de Genève : qu’est-ce que cela vous inspire ?
Thierry Metroz. Spontanément, je pense que c’est une très belle opportunité pour nous, mais aussi pour GM, car plusieurs éléments sont réunis pour que l’accord soit gagnant-gagnant. Je ne suis donc pas inquiet et même très optimiste ! D’une manière plus générale, par rapport à l’évolution de notre industrie, je crois aussi que ce type de rapprochement devient de plus en plus incontournable. Bref, c’est une bonne chose car cela implique des remises en question, toujours salutaires, un enrichissement et une motivation encore décuplée.
JA. Au niveau du style, cela peut-il avoir une réelle incidence ?
TM. Dans des alliances de cette nature, il y a toujours des synergies, sur les plates-formes, les composants, les pièces… On se situe dans le domaine des achats et de la stratégie industrielle. En revanche, pour le style à proprement parler, chacun va conserver son identité, ce qui est dans l’intérêt de tous soit dit en passant. D’autant plus que les deux groupes ont des marques belles et fortes. Cependant, il y aura des échanges, notamment sur les méthodes et les manières d’appréhender les sujets, des échanges sans nul doute fructueux pour les deux groupes.
JA. Maintenant que vous avez eu le temps de prendre la pleine mesure de votre poste, comment appréhendez-vous le style de Citroën et sa dynamique favorable ?
TM. Cela fait désormais un peu plus de deux ans que j’ai rejoint le style de Citroën et je sais effectivement bien comment fonctionne la machine, entre guillemets. Dès le début, j’avais eu une bonne impression de son mode de fonctionnement et cette première bonne impression s’est confirmée. C’est un bon mélange de stabilité et de simplicité et dans les échanges avec les autres services, la fluidité des rapports humains l’emporte sur des process lourds, ce qui est une bonne chose. Au sein du style, nous constituons une équipe plutôt compacte car si vous prenez les deux marques, cela représente environ 390 personnes. Cette compacité nous permet d’échanger beaucoup entre nous et d’avancer très rapidement. Du coup, la dynamique de création est très forte.
JA. Au-delà de la continuité, on ne change pas radicalement une formule qui gagne, quels challenges s’offrent aujourd’hui à vous ?
TM. Tout d’abord, nous devons prolonger la ligne DS : une première année pleine avec DS3, DS4 et DS5 et trois nouvelles silhouettes à venir. Des véhicules qui concernent l’Europe, Russie incluse, la Chine bien entendu, mais aussi l’Amérique Latine. Le challenge consiste à renforcer l’esprit DS et ses codes de style, tout en sachant évoluer. Le risque serait d’être trop timoré, pour s’assurer à tout prix de capitaliser sur ce qui a été réalisé, ou de vouloir tout réinventer à chaque fois et de perdre in fine le fil. Nous faisons donc un gros travail sur les valeurs et l’image de DS à l’échelle internationale. C’est l’étape nécessaire pour avoir durablement la reconnaissance Premium.
JA. Les trois nouvelles silhouettes que vous évoquez incluent-elles le renouvellement de DS3 et quels segments concernent-elles ?
TM. Le renouvellement de DS3 est naturellement programmé, mais les trois silhouettes auxquelles je fais allusion sont nouvelles. Vous découvrirez une berline sur le segment C supérieur, un SUV et une grande berline. Par ailleurs, nous continuerons à animer l’ensemble de la gamme dans un esprit de collections, avec beaucoup de personnalisation et des éditions spéciales. Cela nous permet notamment d’aller encore plus loin dans le raffinement et dans la qualité des matériaux, tout en mettant en avant notre savoir-faire en couleurs et matières. C’est l’une des forces historiques de Citroën et avec DS, nous devons même cultiver l’avance que nous avons dans ce domaine.
JA. Vincent Besson répétait à l’envi que la seconde vague de produits DS était un défi plus difficile à relever que la première, partagez-vous cet avis ?
TM. Il a raison, mais pour autant, nous n’avons pas de difficulté majeure face à nous pour cette seconde phase de lancements. Notamment parce que nous avons la chance d’avoir des produits forts et que nous pouvons les lancer rapidement. Nous avons d’ailleurs installé la ligne DS très rapidement. Aujourd’hui, la priorité va être de s’assurer que le futur de DS soit plus international. Il est impératif de raisonner de façon mondiale. Je le dis souvent à mes équipes : ce n’est pas le reste du monde qui est exotique, c’est la France !
JA. Par rapport à cette dimension internationale, faites-vous partie de l’école qui estime qu’il n’est pas nécessaire d’adapter le style aux différentes régions du monde ou de celle qui prône au contraire une offre très segmentée en fonction de ces spécificités ?
TM. Pour moi, il n’y a pas de différence de style. L’important est d’être conforme avec l’identité de la marque et avec l’histoire qu’on veut raconter. Cohérence et continuité sont les clés du succès. Nous avons réfléchi à la question que vous posez, notamment par rapport à la Chine. Mais les chinois n’avaient surtout pas envie qu’on leur propose des Citroën avec des chinoiseries ! Si le produit est bon et que le style est fort, cela peut fonctionner partout dans le monde. Dans le même temps, nous cherchons à renforcer nos valeurs et notre ADN. Je pense notamment à notre francité, très recherchée par nos clients à travers le monde. Quand on achète une Citroën ou une DS, on achète un petit morceau de France ! En fait, pour s’adapter aux spécificités de chaque pays, nous pouvons jouer sur les équipements et les couleurs et matières. Il y a des différences d’approche à prendre en compte aussi. Par exemple, en Chine, l’harmonie est le maître-mot et le sens du détail est très développé. Les chinois sont très enclins à rentrer dans un objet par un détail.
JA. Quels sont les principaux défis actuellement proposés aux designers automobiles ?
TM. Il y a au moins deux tendances majeures. Tout d’abord, à l’extérieur, c’est le downsizing. Depuis des dizaines d’années, chaque nouvelle génération de véhicules prenait environ 5 centimètres. On rajoutait des centimètres en longueur, en largeur et en hauteur. C’est fini, on revient vers des véhicules plus compacts, notamment pour de -bonnes- raisons environnementales. Par ailleurs, à l’intérieur du véhicule, nous nous dirigeons vers une simplification. Il faut rendre les choses plus faciles d’utilisation et arrêter la surenchère des boutons et des mollettes. L’attrait du cockpit d’avion, c’est fini. Dans cette optique, les interfaces tactiles ouvrent des perspectives intéressantes. Pour Citroën, cela rejoint aussi une notion à laquelle nous sommes très attachés, à savoir le bien-être à bord. Vous le verrez sur nos futurs véhicules, avec des ruptures à venir.
JA. Qu’entendez-vous précisément par “ruptures”, car les tests cliniques interdisent souvent les choix trop radicaux ?
TM. Il ne s’agit pas de faire de la rupture pour de la rupture. La rupture soit être intelligente et répondre à de vraies prestations. Le bénéfice clients demeure prépondérant, car en cas de rupture, c’est lui qui conditionne l’acceptation du client. Il y aura donc des ruptures adaptées aux clients et parfois des ruptures pas à pas, dans le bon timing. Par rapport à la simplicité que nous évoquions à l’instant, je vais prendre un exemple : le succès de l’iPhone, souvent présenté comme une rupture, ne s’est pas fait par son design, mais par sa facilité d’usage et son côté ludique. Avec un iPhone, on se sent bien et c’est vers ça que nous devons aller avec les modèles Citroën, surtout que la voiture reste un des rares sas de décompression pour les gens. Citroën doit explorer ces nouveaux territoires en privilégiant la pureté.
JA. Au niveau de la qualité, le benchmark est-il toujours représenté par Audi ?
TM. Oui, Audi reste le benchmark. C’est d’ailleurs le benchmark pour tout le monde, même si peu de gens acceptent de le dire !
JA. Malgré votre indéfectible enthousiasme, on imagine qu’avec les normes environnementales, les normes de sécurité, le plan d’économies du groupe et la crise européenne, les contraintes budgétaires doivent parfois vous peser, non ?
TM. Non. On ne nous demande pas de faire des économies sur la créativité ! Et comme je le répète souvent, plus il y a de contraintes, plus il faut être créatif et astucieux. Avec moins, il faut faire plus. Cela oblige aussi à faire de vrais choix, à mettre le paquet sur quelques traits de personnalité. Bref, pour nous ça ne change rien. C’est même plutôt stimulant. Par ailleurs, les arbitrages budgétaires au quotidien, certaines économies, sur le nombre de maquettes par exemple, font partie de notre métier, crise ou non.
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