"Nous sommes conscients que le garagiste, en Europe, éprouve des difficultés à valoriser sa main-d’œuvre"
Le Journal de l’Automobile. La chute progressive de la production des véhicules en Europe s’accompagne-t-elle d’une croissance sur le marché de la rechange ?
ROBERT DE LA SERVE. Le fait de dire que la chute des ventes VN profite à la rechange, s’avère un peu simpliste. En période de crise, il faut retenir comme indice le nombre de kilomètres parcourus par le parc de véhicules. Et la meilleure indication nous est donnée par la consommation d’essence. En 2008, quand celle-ci a diminué, les ventes en rechange ont chuté tout de suite. Dès que le prix de l’essence augmente et que la situation économique se durcit, les gens roulent moins, repoussent les périodes d’entretien, diminuent les dépenses de réparation, ont moins d’accident parce qu’ils sortent moins et privilégient toutes les situations les moins coûteuses. En période de crise, nous assistons quand même à une baisse de notre marché. Cependant, comme on l’a constaté en 2009, ce marché est beaucoup plus flexible, et tous les équipementiers qui avaient une activité rechange significative ont pu amortir, grâce à cela, les effets dévastateurs de la crise sur la première monte. Il faut noter, cependant, qu’au premier semestre de cette année, la production de véhicules au niveau mondial a augmenté de près de 7 %. La baisse dont vous parlez touche une partie de l’Europe. Or, nous sommes présents partout dans le monde, ainsi la baisse d’activités se voit largement compensée par la croissance des autres marchés.
JA. L’Europe ne montre pas de signes de reprise, notamment en Espagne, au Portugal ou en Grèce, et cela gagne d’autres pays. Un groupe comme Valeo doit le ressentir…
RDLS. Certes, et l’approche de Valeo consiste à protéger ses clients, notamment dans leurs problématiques de financement. Notre rôle est donc d’essayer de trouver des solutions de soutien pour qu’ils puissent continuer leur business, dans la constitution des stocks par exemple.
JA. Des constructeurs automobiles financent le stock de leurs clients en cas de crise, est-ce quelque chose d’envisageable en rechange, pour les stocks de pièces ?
RDLS. Nous n’intervenons pas sur le financement des stocks. En revanche, nous pouvons augmenter la fréquence de livraisons ou étudier des intervalles de rééchelonnement en cas de problèmes financiers sur une période donnée. Mais cela ne va pas au-delà. Nous sommes cependant beaucoup plus attentifs et réactifs à la logistique, de façon à réapprovisionner très rapidement, afin d’éviter que les distributeurs manquent des ventes suite aux réductions des stocks qu’ils doivent faire pour garder une situation financière saine.
JA. Dans ce contexte, Valeo Service continue-t-il à progresser ?
RDLS. Globalement, nous progressons partout même si, dans certaines régions que nous évoquions, la croissance est moins forte. Le fait que le groupe ait pris ces dernières années de très grosses commandes en OE nous assure des croissances fortes et une progression à l’international très importante, puisque nous devrions presque équilibrer les ventes Europe/hors Europe à l’horizon 2017. Mais chez Valeo Service, qui va bénéficier de cette montée en puissance de la première monte, nous avons également notre propre dynamique et nos territoires à conquérir. Nous avons ainsi, ces deux dernières années, renforcé significativement notre présence en Chine et en Amérique du Nord, en créant une division dans chacune de ces deux régions, et développé un partenariat au Japon, qui nous ouvre les portes d’une distribution très difficile là-bas. Notre division en Inde progresse très bien également et nous devrions faire quelques annonces prochainement.
JA. Votre présence en première monte vous facilite-t-elle la vie pour pénétrer les nouveaux marchés en aftermarket ?
RDLS. Le fait que nous soyons un équipementier première monte à la qualité reconnue est éminemment porteur. En Chine, nous progressons parce que nous sommes à l’origine. Mais en Russie, alors que nous n’étions pas encore en première monte, nous avons eu une croissance remarquable, notamment en embrayages pour les Lada. C’est l’image de marque de Valeo qui est très importante. On le voit, d’ailleurs, en Amérique du Nord, où cela est plus difficile parce que c’est un marché qui est encore très peu focalisé sur la qualité première monte. L’évolution nous est profitable ! Le foisonnement des équipementiers exclusivement rechange aux Etats-Unis est extraordinaire, mais le taux de retour des pièces en garantie monte facilement aux 20 % ! En Europe, ce ne serait pas possible.
JA. N’avez-vous pas le sentiment que la multiplicité des produits que vous mettez sur le marché peut vous desservir ?
RDLS. Le message que nous nous employons à passer, ici, sur le salon Automechanika, consiste à dire que nous sommes multispécialistes. Depuis quelques années, le challenge qui nous est posé consiste à pouvoir proposer un grand nombre de produits à la distribution. Cela signifie donc créer et vendre – ou offrir – des services correspondant à ces lignes de produits. A ceci, nous avons dû ajouter la composante internationale. L’ensemble de ces problématiques nous a amenés à construire des programmes internes de manière à comprendre les marchés, à déterminer pour chaque produit son mode de distribution propre et son positionnement en fonction du marché, sa logistique, son réseau de vente et, surtout, à bien comprendre les attentes des uns et des autres, pour leur fournir les meilleurs outils. D’où ce rôle de multispécialiste.
JA. Cela vaut-il également pour les clients de vos clients, les réparateurs ?
RDLS. Nous avons dû, aussi, aller plus loin dans la démarche, passer d’un métier où on mettait des produits à la disposition d’un distributeur, pour penser aux problèmes des garagistes et répondre aux besoins spécifiques de la réparation. Ce qui nous a conduits, par exemple, à développer les kits. Non pas pour pousser les ventes, mais pour éviter que le client, mécontent, soit obligé de revenir pour changer une pièce de l’environnement de la première. Nos kits prennent donc en considération toutes les pièces et accessoires d’un ensemble, voire de petits outils, pour faciliter le travail du réparateur et sa relation avec son client. Nous sommes aussi conscients que le garagiste, en Europe, éprouve des difficultés à valoriser sa main-d’œuvre, l’heure étant souvent à 40 ou 50 euros, ce qui n’est pas la réalité du coût. On se plaint souvent du prix de la pièce, mais cela est dû au fait qu’au fil des années, les distributeurs – et les équipementiers aussi d’ailleurs – ont augmenté la marge faite par le garagiste sur la pièce, pour lui permettre de survivre, alors qu’en fait, si on n’avait pas fait cela et si on l’avait poussé à vendre sa prestation au prix réel, cela aurait eu des conséquences beaucoup plus saines, aujourd’hui, sur le marché. Il est évident qu’on a d’une certaine manière créé une ombrelle sur les prix, dans laquelle s’engouffrent certains canaux de distribution qui, eux, évidemment, n’ont pas cette contrainte, et qui vendent directement au client final. Ce qui n’avait pas d’incidence auparavant, devient un problème quand un automobiliste peut acheter sa pièce d’un côté et la faire monter de l’autre. Je suis convaincu que cela va amener des changements de comportements chez les garagistes. Quand le distributeur livre trois ou quatre fois par jour le garagiste, cela fait partie de sa marge, de son métier ; quand le garagiste vient chercher lui-même ses pièces chez le distributeur, il ne prend pas conscience du prix que ça lui coûte. Des changements de comportement sont à accomplir de tous côtés.
JA. Cela nous amène à la problématique d’Internet, comment êtes-vous impactés par ce canal ?
RDLS. Il est évident que nous sommes les premiers à être concernés par les ventes sur Internet, ne serait-ce que parce que les gens recherchent sur ce canal des produits de qualité, identifiables par des marques. Donc, Valeo. Contrairement aux idées reçues, la finalité de la vente sur Internet ne repose pas sur les prix les plus bas, mais sur ce que l’on appelle “la grande queue”, c’est-à-dire la disponibilité de toutes les pièces, les fast-movers comme les slow-movers. La force d’Internet est là. Mais dans certains pays, dont la France, des acteurs ont essayé de pénétrer le marché en cassant les prix (ce qui n’était pas vrai tout au début). Cela ne devrait pas durer très longtemps car l’effort financier pour poursuivre sur cette voie s’avère trop important.
JA. Mais les équipementiers ne vont pas sur Internet pour la vente ?
RDLS. Aux Etats-Unis, Internet donne aux équipementiers une possibilité d’être en contact direct avec leur client final. Vous avez, ainsi, pour un seul produit, plusieurs offres avec un espace d’explication, de présentation et une petite vidéo. Quand l’écart de prix est très important, les gens tâchent de comprendre pourquoi et choisissent souvent celui qui est plus cher parce que l’équipementier a su convaincre et apporter les informations utiles. Cela n’existe pas en France, en particulier parce que ce ne sont pas les équipementiers qui fournissent les sites de ventes par Internet.
JA. En poussant le bouchon un peu plus loin, si les ventes de pièces progressent sur Internet, cela signifie-t-il que ce n’est pas si difficile à monter ?
RDLS. Je ne vais pas commenter cela. En revanche, pour aider les professionnels, nous avons installé, sur les boîtes, des QR codes qui permettent aux gens de voir, dès le magasin, des vidéos de présentation des produits, des guides de montage, d’information… Il est alors possible pour certains particuliers de profiter de ces éléments pour essayer de monter des pièces de “fast equipment”, comme chez Ikea ! Mais notre rôle, rappelons-le, consiste à produire des pièces de qualité et de faciliter les conditions d’installation pour éviter les problèmes de montage. Le multispécialiste que nous sommes doit aussi utiliser tous les moyens de dispenser l’information sur ses produits pour que les réparations soient assurées dans les meilleures conditions.
JA. De grands équipementiers déploient de plus en plus leurs collections en “commandant” des produits dans leurs sites première monte, est-ce aussi votre cas ? Est-ce que l’aftermarket prend de l’ampleur dans le groupe ?
RDLS. Dans beaucoup de familles de produits, il est possible, en effet, d’étendre les gammes sur des produits “standard”. Par exemple, nous avons, à partir d’une pièce d’embrayage Fiat, une spécification pour Lada et nous en avons vendu, ainsi, des centaines de milliers. On pourrait citer les essuie-glaces avec lesquels nous pouvons atteindre les 95, 97 % de couverture du parc, en jouant sur les supports ou les longueurs. En revanche, pour des produits d’éclairage, ce n’est pas possible, car chaque produit est bien spécifique et les outillages très chers. Cependant, il est clair que l’évolution impulsée par le groupe ces derniers temps a mis la rechange en très bonne place, Valeo doit devenir une “aftermarket company”. Jusqu’à présent, les gens de la première monte n’étaient pas totalement impliqués par l’aftermarket. Aujourd’hui, tous mettent en place des organisations spécifiques pour soutenir les développements propres à l’aftermarket. Nous avons la chance, avec notre organisation industrielle et R&D, d’avoir accès aux mêmes bases de fabrication, avec des spécifications OE identiques, mais adaptées à nos volumes et à des coûts plus attractifs. Nous travaillons sur des outillages ad hoc et souvent plus abordables car destinés à des petits volumes. Mais toujours en qualité première monte, Premium.
JA. La qualité Premium préside-t-elle aussi aux spécifications de la gamme “Classic” ?
RDLS. Nous fournissons des pièces adaptées à l’âge du véhicule ou à son kilométrage. Les voitures qui ont plus de 10 ans roulent 6 000 km en moyenne, alors que le parc est sur une moyenne de 12 000 km. Les pièces de remplacement doivent être de haute qualité, mais pas forcément pour un usage aussi important. Nous répondons vraiment à une demande de marché qui ne veut pas de pièces coûteuses pour des véhicules anciens.
JA. De la pièce “Classic” aux pièces remanufacturées, il n’y a qu’un pas. Cependant, la récupération des vieilles matières est considérée comme un problème, quel est votre sentiment sur ce plan ? Peut-on envisager une filière ?
RDLS. Nous avons nos propres systèmes en Europe, qui sont très performants, et sans doute les plus transparents. En ce qui concerne les vieilles matières, je ne suis pas sûr que Valeo soit prêt à en déléguer la récupération, parce que c’est la clé d’un bon remanufacturing. Il faut que les matières reviennent vite, et dans un bon niveau de qualité et de référence. Lorsque les fournisseurs étaient tous connus, les distributeurs stockaient dans un coin et attendaient que les premiers récupérateurs arrivent (qui prenaient ce qu’il y avait de mieux) quand ils avaient le temps. Cela posait de réels problèmes. Aujourd’hui, nous avons un système “eCorps”, qui permet à Valeo de récupérer les pièces immédiatement chez le distributeur, selon des rythmes hebdomadaires. L’autre avantage de cette visite directe, est de réaliser le tri sur place, tout comme la valorisation. De ce fait, un ticket est remis au distributeur, qui lui permet d’être payé en vingt-quatre heures. Personne ne fait cela en Europe. Nous conservons donc un système qui a fait ses preuves. Et le plus important pour nous, reste notre boîte, la qualité de ce qu’elle contient et que l’on garantit. Des intermédiaires ne nous permettraient pas une telle sécurité et une telle transparence vis-à-vis de notre client. La marque se veut une garantie pour le garagiste.