“Les carrossiers ont besoin d’être rassurés sur la qualité de nos produits”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous nous détailler brièvement votre parcours ?
JEAN-CHRISTOPHE SERVANT. Mon expérience automobile a commencé chez les constructeurs, dans le domaine des pièces et services. Durant sept années chez Renault, j’ai eu notamment l’occasion de contribuer au développement du programme “bon du premier coup”, destiné à faire évoluer la qualité de l’après-vente du constructeur. J’ai également pris la responsabilité du projet européen de carrosserie de Renault, qui a abouti à la création du concept Renault Minute. Je suis ensuite entré chez Citroën, pour le développement et le déploiement de Chronoservice, puis des carrosseries de la marque.
C’est dans la seconde partie de ma carrière que j’ai été happé par le secteur peinture ! Akzo Nobel, avec qui j’avais collaboré, manquait de retours d’expérience émanant des constructeurs. Ils m’ont proposé un poste au marketing monde. A l’époque, j’ai pu participer aux premières réflexions sur “l’accident management” du groupe, et défini le business plan qui a donné naissance à la plate-forme Nobilas, celle-là même qui fut revendue plus tard à Innovation Group.
Plus tard, j’ai eu en charge la coordination mondiale des actions menées auprès des constructeurs pour Akzo Nobel. L’objectif avoué visant à l’époque à obtenir des homologations techniques ou commerciales avec les marques du groupe pour leurs réseaux de concessionnaires. J’ai finalement rejoint les rangs de PPG en 2007, pour prendre le poste de directeur marketing France. Et, en septembre 2013, j’ai été embauché par le groupe Valspar.
JA. Peut-on mieux connaître ce groupe Valspar ?
J-CS. Valspar est un groupe américain qui représente un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros, exclusivement orienté vers la peinture. Je rappelle que cela nous positionne derrière quatre grands noms (Akzo Nobel, PPG, Sherwin-Williams et Axalta), mais devant le groupe BASF (Glasurit et RM). Le chiffre d’affaires se répartit pour moitié sur la peinture de packaging (canettes, boîtes de conserve…) et l’industrie. Vient ensuite la peinture bâtiment et déco, distribuée uniquement aux Etats-Unis, Australie et en Chine. Enfin, Valspar Automotive représente à ce jour moins de 10 % du CA du groupe. La raison est simple, Valspar s’est lancé dans l’automobile il y a seulement dix ans, à la faveur du rachat de la marque néerlandaise centenaire De Beer. En France, nous sommes partis de zéro il y a cinq ans !
JA. Comment appréhendez-vous le marché ?
J-CS. Les grands fabricants enregistrent des pertes de volumes significatives, qu’ils tentent de compenser par des hausses des tarifs. Sauf que cette politique se révèle de plus en plus compliquée à justifier. Certes, ils capitalisent sur la hausse des prix de matières premières, mais cela ne dure qu’un temps. Parfois, les multinationales peuvent alors être amenées à supprimer des services, de la valeur ajoutée sur le terrain. Moins d’hommes, moins de compétences, bref, on appauvrit les structures opérationnelles. C’est une lente dérive du métier, sur laquelle je surfe pour développer les marques du groupe en France.
JA. Quel est votre créneau ?
J-CS. Auparavant, quand un client achetait de la peinture, qu’il s’agisse de carrossiers ou de distributeurs, ils accédaient également à de nombreux services associés. Mais ces gros groupes, soumis à des problématiques de baisses de volumes et de marges à maintenir, ont tendance à abaisser leur niveau de service. C’est à ce moment que Valspar intervient. Nous proposons une alternative 20 à 25 % moins chère que les marques Premium, avec une qualité Premium, dans un marché tendu sur lequel les apporteurs d’affaires mettent la pression aux carrossiers. Ces derniers sont heureux de pouvoir faire des économies sur leurs produits peinture.
JA. Pouvez-vous nous présenter votre organisation ?
J-CS. Nous exploitons deux marques, De Beer et Octoral, selon les réseaux de distribution. Octoral est exclusivement distribuée par Précisium depuis cinq ans, et stockée sur leur plate-forme de Sainte-Geneviève-des-Bois (91). En tant qu’importateur exclusif, il leur revient de s’occuper de la promotion de la marque au sein de leur réseau et nous continuerons sur ce schéma.
Par ailleurs, quand Alliance a racheté Précisium, ils se sont intéressés à Valspar, et ont référencé De Beer pour Groupauto et Partner’s. D’autre part, nous avons signé un contrat spécifique avec les filiales du groupe, qui représentent 70 % du potentiel peinture de Groupauto. Il s’agit maintenant de les démarcher au cas par cas. Nous sommes désormais la seule marque “non Premium”, à être référencée chez eux.
JA. Et quelle est votre position face aux réseaux constructeurs ?
J-CS. La pénétration dans les réseaux de marques est assez complexe, car les carrossiers restent souvent liés à des grands fabricants de peinture, en raison des homologations constructeurs et des agréments avec les compagnies d’assurances. Nous n’avons donc pas encore pu tisser les mêmes liens qu’en rechange indépendante. Le groupe dispose déjà d’un accord commercial avec Kia au plan européen, ainsi qu’avec GM au plan mondial. Il reste maintenant à finaliser la transposition de cet accord sur le territoire français.
Nous sommes conscients que les concessionnaires doivent travailler avec des produits homologués par leur constructeur, mais nous les incitons tout de même à essayer nos produits, d’abord pour la remise en état de leurs VO par exemple, activité pour laquelle ils ne sont pas tenus à une marque précise. Et très vite, ils comprennent que De Beer présente des produits de qualité. Aujourd’hui, avec la santé parfois hasardeuse des distributeurs, la pression mise sur l’après-vente…, les achats deviennent importants. Notre discours est celui de l’alternative.
JA. Quelles actions menez-vous pour vous faire connaître ?
J-CS. Nous sommes notamment parvenus à entrer au Cesvi, le centre technique initié par les groupes Groupama-Gan et Covea (GMF-Maaf-MMA), qui a pour mission de mettre au point des méthodologies, de réaliser de nombreux tests de produits et matériels disponibles sur le marché, pour le compte des réseaux d’experts et des réparateurs. Au sein de ce centre, basé à Poitiers (86), toutes les marques Premium de peintures sont mises à contribution et, désormais, De Beer fait partie des produits intégrés aux études. Pour nous, cela représente une notoriété évidente lors des formations qu’ils dispensent auprès des carrossiers.
JA. Comment séduit-on un réparateur à ce jour ?
J-CS. Régulièrement, nous pratiquons des soirées techniques, durant lesquelles nous mélangeons des prospects et des clients déjà établis pour qu’ils échangent. Nous devons dans un premier temps rassurer le carrossier. Nous rentrons donc souvent chez un client par des tests, afin qu’il puisse apprécier in situ le pouvoir couvrant, les temps de séchage, la colorimétrie… Tout doit être validé. Ensuite, compte tenu des tarifs pratiqués, le bouche-à-oreille fait le reste.
Nous disposons aussi d’un autre argument, plus technique. L’un des avantages de notre système, c’est sa compacité. Cela signifie que nos durcisseurs, par exemple, peuvent s’utiliser avec plusieurs gammes de produits de nos marques. Le carrossier n’est pas obligé de changer de produit à chaque fois que nous proposons des évolutions dans les gammes. De nos jours, chez les marques Premium, c’est un peu devenu la pharmacie, les distributeurs doivent stocker énormément de références, ce qui prend de la place et représente une importante immobilisation financière et présente de surcroît des risques d’erreur.
JA. Avec un tel positionnement tarifaire, n’êtes-vous pas obligés de rogner sur les services, qui ont pris une importance capitale ces dernières années ?
J-CS. Nous ne sommes pas un acteur low cost. En ce qui concerne la colorimétrie, nous disposons bien sûr d’une énorme base de données, ainsi que d’un laboratoire couleur à Lelystad, aux Pays-Bas, siège de De Beer. Ce qui permet, si un carrossier ne trouve pas sa couleur, de nous faire la demande en direct, et nous réalisons la teinte. Comme les marques Premium, nous proposons également un spectromètre. Enfin, j’ajoute que nous venons d’inaugurer un centre de formation au nord d’Amsterdam. Alors que la plupart de nos concurrents ont de moins en moins de formateurs.
Maintenant, notre discours consiste à donner le juste service, nécessaire et indispensable pour faire fonctionner l’activité du distributeur ou du carrossier. Mais nous restons toutefois focalisés sur la peinture et la rentabilité supplémentaire que nous pouvons apporter. Nous ne pratiquons pas d’audit sur la réorganisation des surfaces de l’atelier par exemple, comme certains de nos confrères peuvent le faire.
JA. Que vous inspire le combat des carrossiers quant au libre choix du réparateur ?
J-CS. Il y a quelques incontournables sur le marché : les loueurs, les flottes, les assureurs, les plates-formes de gestion de sinistres… Penser pouvoir travailler sans eux constitue à mon sens un combat perdu d’avance. Ce sont des entreprises très puissantes avec lesquelles il vaut mieux trouver le moyen de travailler en bonne intelligence. Je dirais qu’à ce titre, chez Valspar, notre positionnement satisfait tout le monde ! Les plates-formes de gestion de sinistre d’une part, parce que nous réduisons les coûts de remise en état, et le réparateur, qui peut obtenir de meilleures marges en utilisant nos produits, s’il souffre de la pression de la part d’un des acteurs cités plus haut.