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Industrie

La nécessaire remise en cause de l’industrie automobile européenne

Publié le 20 juin 2008

Par Tanguy Merrien
6 min de lecture
Seule une gestion stricte des risques permettra à l'industrie automobile, notamment européenne, de dépasser la crise qu'elle traverse actuellement. Une introspection rigoureuse à tous les niveaux, chez les constructeurs comme les fournisseurs. Ces...
Seule une gestion stricte des risques permettra à l'industrie automobile, notamment européenne, de dépasser la crise qu'elle traverse actuellement. Une introspection rigoureuse à tous les niveaux, chez les constructeurs comme les fournisseurs. Ces...

...derniers, très fragilisés, doivent trouver les ressorts nécessaires pour se hisser hors du marasme qui les guette. 

AlixPartners propose une photographie de l'industrie automobile mondiale, basée sur des résultats fournis par 50 constructeurs, 300 fournisseurs et 25 fabricants poids lourds en 2007. Les conclusions du cabinet de conseil sont sans appel. La remise en cause de certaines pratiques sont nécessaires. En Europe plus particulièrement. Mais il convient au préalable d'observer certains faits et chiffres afin d'avoir une vue plus globale de la situation. La production mondiale de VL en 2007 a augmenté de 5,5% pour atteindre 69,2 millions d'unités (contre 65,6 millions d'unités en 2006). C'est l'Asie Pacifique qui a produit le plus avec 28,3 millions d'unités, en hausse de 8,2 %. Les européens ont produit jusqu'à 22,3 millions d'unités (+ 5,5%). La zone Nafta, qui comprend le Mexique, le Canada et les Etats-Unis, a produit 15 millions d'unités, soit une diminution de 1,5 %. L'Amérique du Sud a subi une hausse de 15,1%, sachant que le marché représente là-bas 3,4 millions. Selon les observations d'AlixPartners, les performances des constructeurs dans ce contexte, sont inégales. Des marques telles que Porsche, Daimler et BMW se maintiennent au top, en termes de croissance et de rentabilité, suivies de Volkswagen et certains japonais comme Toyota et Nissan. Les français Renault et PSA, ainsi que l'italien Fiat maintiennent leurs résultats, mais sans plus. Quant à GM et Ford, ces derniers sont toujours au plus mal, avec un bilan catastrophique aux Etats-Unis. "Même si les négociations avec l'UAW se sont révélées positives, indique Laurent Petizon, managing director au sein d'AlixPartners, l'impact des subprimes, la faiblesse du dollar, la baisse des ventes de 4x4, la hausse du prix de carburant… ont fortement déprimé le marché automobile américain". Laurent Petizon évoque même la possibilité d'un Chapitre 11 pour les constructeurs américains, à l'instar de certaines compagnies aériennes. "Le plus délicat dans ce genre d'opérations réside dans les coûts de restructuration que suggère le plan de faillites. Il faut également du temps".

Les raisons d'un tel effritement

Parallèlement à la situation des constructeurs, on assiste à une mise en danger financière de leurs fournisseurs (de rang 1 à 4), surtout européens. La part de ces derniers classés "à risque" est ainsi passée de 11 à 19 % entre 2006 et 2007. Un taux qui se rapproche dangereusement du niveau américain (la part des fournisseurs US en danger est de 21 % actuellement). Les matières premières sont véritablement la raison principale de cet effritement, avec à titre d'exemple, une flambée sur 5ans de 84% sur l'acier et 220% sur le zinc. Mais Laurent Petizon avance également d'autres raisons. "On assiste à une véritable explosion des coûts de main-d'œuvre dans les pays low-cost, jusqu'à 129 % pour la Roumanie par exemple. On peut ajouter l'absence de gestion de trésorerie (cash) de la majeure partie des fournisseurs et l'absence de gestion de panel par les constructeurs, toujours en quête du meilleur prix. Des pans entiers de l'industrie automobile vont tomber, à l'instar de la fonderie". Un avenir sombre se profile pour les entreprises. Quel avantage en effet pour les entreprises qui ont délocalisé, de rester dans des pays qui ne correspondent plus au business plan initial ? Va-t-on assister à une vague de délocalisation, des pays low-cost vers l'Afrique du Nord ? Plus fort, cette année le Mexique est devenu pour les Etats-Unis, plus compétitif que la Chine. "Cela peut paraître étonnant, indique en effet Laurent Petizon, mais l'explication est rationnelle. Il y a de moins en moins de franchises en Chine, les matières premières ont également augmenté et la main-d'œuvre aussi (+ 65% depuis 2004)… La Chine reste un pays où il faut être implanté, mais ceux qui n'y sont pas encore n'ont pas intérêt à s'y introduire, il est trop tard". Il semble également que les investissements des fournisseurs européens (notamment sur les technologies propres) soient plus importants que leurs cash-flow. Ils investissent mais n'ont pas la trésorerie suffisante pour le faire en toute sérénité. Autre facteur lourd de conséquence, le prix des véhicules en diminution permanente depuis 15 ou 20 ans. "Alors que ces derniers contiennent de plus en plus d'innovations ! indique Laurent Petizon. C'est le tabou absolu des constructeurs qui ne veulent pas répercuter les coûts sur le VN. C'est ce qui fait craquer l'industrie automobile". Aux Etats-Unis, il faudrait augmenter entre 600 et 900 dollars le coût par véhicule afin d'amortir les coûts en constante augmentation de la main-d'œuvre, du pétrole, des matières premières…

Professionnaliser la profession

"La situation est malsaine, poursuit le directeur. En France par exemple, les délais de paiement fournisseurs sont trop longs, un problème récurrent depuis plus de 20 ans. Mais c'est sans compter la mauvaise gestion financière des fournisseurs, point noir traditionnel pour bon nombre d'entre eux, à tous les niveaux de la chaîne". Les entreprises doivent avoir une vision à plus long terme. "Une gestion proactive des risques, sur le modèle de Toyota, peut limiter leurs impacts, estime-t-il. Les solutions pour les anticiper sont nombreuses. La mise en place d'une "tour de contrôle" par exemple, chargée de détecter les problèmes à tous les niveaux de la chaîne, d'une véritable stratégie de panel, avec un choix délibéré de quelques fournisseurs clefs (et double sources potentielles), d'une concentration du nombre de fournisseurs, avec juste rémunération de l'innovation et de la maîtrise du risque, d'une gestion concertée des chocs des matières premières, d'audits fournisseurs standardisés…" Bref, il faut professionnaliser la profession, afin qu'elle cesse de naviguer à vue.

CURRICULUM VITAE

  • Nom Petizon
  • Prénom Laurent

    Managing director d'AlixPartners. Diplômé de Supélec Paris et MBA HEC. A débuté sa carrière chez Thalès, avant de rejoindre A.T.Kearney aux Etats-Unis et en France en tant que vice-président, en charge de la Practice Automobile Europe où il a mené de nombreuses missions clés dans le secteur (constructeurs et fournisseurs). Il travaille chez AlixPartners aussi bien sur des situations de retournement qu'en amélioration stratégique et opérationnelle d'acteurs sains du secteur automobile. Il travaille également dans les secteurs de l'énergie et des industries manufacturières et high-tech.

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