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Industrie

François Fillon, verbatim

Publié le 7 mai 2010

Par Alexandre Guillet
12 min de lecture
A l'occasion de la cérémonie de remise du prix de l'Homme de l'Année, à l'Automobile Club de France, le Premier ministre a tenu un discours emprunt de détermination sur l'industrie automobile et plus globalement sur la compétitivité...
A l'occasion de la cérémonie de remise du prix de l'Homme de l'Année, à l'Automobile Club de France, le Premier ministre a tenu un discours emprunt de détermination sur l'industrie automobile et plus globalement sur la compétitivité...
...de la France. Sans négliger quelques notes d'humour sur ses qualités de pilotage. Spicilège d'une allocution que vous retrouverez en intégralité en cliquant ici.

Le prix de l'Homme de l'Année et les racines d'une passion automobile

"Mesdames et Messieurs, je voudrais vous dire combien je suis touché de recevoir ce prix et je voudrais commencer en remerciant le jury et Henri Pescarolo, mon ami, qui a eu des mots à la fois aimables - ce qui, s'agissant d'Henri, n'est pas toujours, on le sait, sa principale caractéristique - et en même temps, des mots sincères qui me sont allés droit au cœur. Mais je voudrais tout de suite vous confier que si je suis fier de recevoir ce prix, je suis aussi très dubitatif. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un tel honneur ?

Bon, ce n'est pas ma carrière de pilote qui me vaut, aujourd'hui, d'être sacré l'Homme de l'Année par votre journal, d'abord, parce que cette carrière, elle est encore devant moi et puis parce que je suis, pour le moment, un très médiocre pilote du dimanche. C'est vrai que j'ai eu l'immense privilège, que j'ai l'immense privilège de piloter des véhicules exceptionnels, le plus souvent sur l'un des plus beaux circuits du monde, celui du Mans. Mais je voudrais aussi vous avouer que j'ai beaucoup fréquenté les bacs à gravier et que je n'ai jamais, comme Henri l'a si gentiment rappelé, réussi à égaler les chronos de mon frère Pierre qui est définitivement le Fillon le plus rapide de la famille.

C'est vrai que j'aime le sport automobile. C'est vrai que j'aime la vitesse. Je suis tombé dedans tout petit. Henri le rappelait tout à l'heure, je suis allé aux 24 Heures du Mans pour la première fois en 1955 (j'avais donc un tout petit peu plus d'un an) sur les épaules de mon grand-père dont l'interview que j'ai donnée au journal "L'Automobile" laisse croire qu'il a couru les 24 Heures du Mans. Je veux tout de suite dire que ce n'est pas vrai. Ce qui est vrai, c'est qu'il était, dans les années 1930, engagé aux 24 Heures du Mans avec une Peugeot mais qu'au dernier moment, sa femme lui a interdit de courir et il ne s'est donc pas présenté. Et ensuite toute ma jeunesse a été bercée par les 24 Heures et par le sport automobile. Si on cherche bien dans le film de Steve McQueen "Le Mans", on doit voir quelque part un figurant qui devait avoir, à l'époque, quatorze ou quinze ans et qui se rendait chaque jour sur le tournage en Mobylette. Et puis j'ai eu la chance extraordinaire de suivre quelques cours de pilotage avec les moniteurs de l'école de pilotage de l'ACO.

La vérité, c'est que mon bilan, s'agissant du sport automobile, est quand même assez contrasté. Je revendique d'avoir participé avec beaucoup d'autres au sauvetage des 24 Heures du Mans menacées à l'époque, par le comportement assez peu sportif de la Fédération Internationale de sport Automobile - mais c'était celle de Monsieur Balestre et pas celle de Jean Todt - et aussi peut-être par le fait que l'ensemble des organisateurs de cette magnifique course s'était un peu reposé sur son succès. Mais en revanche, je dois reconnaître devant vous que je n'ai pas réussi - en tout cas pas encore - à ramener le Grand Prix de Formule 1 en France. C'est, pour moi - et nous l'évoquions ce matin avec le jury de ce prix -, un échec. Un échec sur lequel je n'ai pas dit mon dernier mot.

En fait la raison principale qui vous a conduits à faire ce choix, c'est évidemment le plan de soutien à l'industrie automobile que nous avons mis en œuvre. Mais en même temps, c'est une œuvre collective, c'est le travail de tout le gouvernement, sous l'autorité du président de la République. Et donc il n'y avait pas vraiment de raison de me distinguer moi tout seul. Je pense en réalité, que le jury a voulu distinguer un responsable politique qui aime l'automobile et qui ne s'en cache pas. La vérité, c'est que j'aime l'automobile pour le plaisir et pour la liberté qu'elle procure. Je déteste les modes, je n'aime pas la pensée unique, cette pensée unique à laquelle le monde médiatique et politique est tellement sensible. Il faut penser pareil en même temps, il faut aller dans les mêmes émissions de télévision pour répéter les mêmes lieux communs. Je ne suis pas comme cela, je ne l'ai jamais été et je n'ai pas l'intention de m'en excuser."

Deux conceptions de la société

"L'automobile, ce n'est pas un problème, c'est même, dans bien des cas, une solution. La vérité, c'est que nous sommes en mesure d'apporter des réponses aux problèmes d'énergie, aux problèmes d'environnement qui se posent, à condition de faire confiance aux capacités d'innovation, aux capacités scientifiques, aux capacités technologiques de l'être humain. Derrière l'acharnement de certains contre l'automobile, il y a, au fond, le rêve d'une société qui, au prétexte des dangers réels qui menacent l'individu, nie sa liberté.

Bien sûr, la sécurité routière ne se négocie pas, mais en même temps, chaque conducteur est responsable de la conduite de son véhicule. Le respect de l'environnement passe, bien sûr, par une offre plus importante et plus attractive de transports collectifs, mais elle passe aussi par la mise sur le marché, à des prix raisonnables, de véhicules plus sûrs et de véhicules moins polluants. Au fond, derrière ce débat qui fait rage dans notre pays autour de l'automobile, autour de la protection de l'environnement, on voit quand même grosso modo deux conceptions de la société, deux conceptions de l'avenir qui s'affrontent : il y a ceux qui sont favorables à une sorte de forme de décroissance, de retour en arrière et peut-être même à une certaine forme de collectivisme, d'organisation de la société pour faire face aux dangers qui la menacent et puis il y a ceux qui pensent que le développement durable - c'est-à-dire celui qui mise tout sur le progrès de la science, sur le progrès de la technologie, qui fait confiance à l'homme, qui fait confiance à l'individu - nous permettra de relever les défis qui sont devant moi, devant nous."

Une refondation progressive de la filière

"Ces mesures ont permis d'engager une refondation progressive de la filière car si nous avons agi vite, nous avons aussi cherché à fédérer les acteurs de cette filière dans la durée. Ces mesures s'inscrivent enfin dans le cadre d'une politique industrielle globale que nous avons impulsée avec le président de la République. Une politique qui est tournée vers un objectif vital qui est celui de la compétitivité de la France. Et c'est au nom de cette compétitivité que nous avons engagé une série de réformes que nous allons poursuivre car il y a encore beaucoup à faire. Je veux évoquer la réforme du crédit impôt recherche, qui fait de nous, aujourd'hui, sans doute le pays le plus attractif de l'OCDE sur ce sujet. C'est au nom de cette compétitivité que nous avons supprimé la taxe professionnelle."

La compétitivité de la France en question

"La vérité, c'est que la France a un problème de compétitivité, pas avec les pays émergents que l'on cite… Bien sûr, on a un problème de compétitivité avec eux mais celui-là, on ne va pas le régler comme ça. Mais on a un problème de compétitivité avec nos voisins et simplement avec nos voisins allemands. Depuis quinze ans, il y a un écart de compétitivité qui s'est creusé entre la France et l'Allemagne, simplement parce que la France n'a pas fait assez de réformes et que l'Allemagne en a fait beaucoup, que ce soit d'ailleurs avec des gouvernements de gauche ou avec des gouvernements de droite. Et donc, si on ne fait pas des efforts de compétitivité, il n'y aura plus d'industrie, il n'y aura plus d'entreprise et alors il n'est pas utile de se préoccuper de l'avenir de nos collectivités locales et de nos politiques sociales parce que nous n'aurons plus aucune ressource pour les financer."

Les conséquences concrètes des Etats Généraux de l'Industrie

"Nous sommes en train de mettre en œuvre les vingt-trois mesures qui sont issues des États Généraux de l'Industrie. Nous avons désigné un médiateur de la sous-traitance, Jean-Claude Volot, qui va avoir pour tâche de veiller à l'amélioration des relations entre les clients et les fournisseurs de l'industrie. C'est un objectif structurant pour la compétitivité de notre tissu industriel. Lorsque les relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants sont des relations de court terme axées uniquement sur la recherche d'économies, voire sur des objectifs de délocalisation, indépendamment de toute considération de prix, on entre dans une logique qui, au final, ne fait que des perdants. Nous souhaitons que la médiation de la sous-traitance facilite le passage à une logique de filière dans laquelle tous les acteurs seraient conscients que chaque maillon est essentiel à la solidité de l'ensemble. Des comités stratégiques dédiés aux principales filières seront d'ailleurs mis en place afin de se donner collectivement une feuille de route pour les principales filières industrielles. Enfin le secteur automobile sera éligible aux investissements d'avenir, à cette stratégie qui nous a conduits à faire voter, malgré un contexte budgétaire très difficile, par le Parlement un montant de trente-six milliards d'euros consacrés aux investissements d'avenir."

Environnement et politique européenne commune

"Bien sûr, l'industrie de demain devra être plus respectueuse de l'environnement. Afin de faciliter cette reconversion écologique, tant dans les process industriels que dans les produits, cinq cents millions d'euros de prêts verts bonifiés seront octroyés aux sites industriels français. Et enfin nous allons inciter les entreprises à réindustrialiser notre territoire en leur accordant des avances remboursables pour un total de deux cents millions d'euros. Mais notre politique industrielle ne peut prendre tout son sens que si elle s'ancre dans l'Europe et si elle est conduite en coopération étroite avec les autres pays européens. Et je veux dire une nouvelle fois ce soir que je souhaite une politique industrielle européenne forte afin de faire jouer les effets d'échelle dans des domaines essentiels comme la recherche et les grands projets.

L'Europe s'est dotée d'une monnaie commune. C'est assez difficile de comprendre, lorsqu'on a une monnaie commune, qu'on ne cherche pas à harmoniser sa fiscalité, à harmoniser les conditions de compétitivité, au fond de ses territoires et qu'on ne cherche pas à mettre en œuvre des stratégies industrielles communes autour de grands projets. Et d'ailleurs, quand on ne le fait pas, et bien ça donne le spectacle auquel on assiste en ce moment avec des territoires fragiles, des territoires faibles qui n'ont pas le même niveau de développement que les autres et qui mettent en péril la solidité de l'ensemble."

Vers un mix de technologies

"Aujourd'hui, l'automobile se trouve à nouveau à un tournant de son histoire. L'avenir de la filière se jouera sur notre capacité à innover à partir de la logique environnementale, à améliorer l'efficacité énergétique, à réduire les émissions. Ce sont nos marchés, ce sont nos performances économiques et ce sont nos emplois qui en dépendent et nous devons réussir ensemble cette rupture. Le véhicule du futur, c'est l'alliance entre plusieurs types de véhicules : le véhicule thermique qui sera de moins en moins carboné, le véhicule hybride, le véhicule hybride rechargeable et le véhicule électrique. Et c'est, au fond, le mix de l'ensemble de ces technologies qui nous permettra de répondre à l'ensemble des demandes qui sont celles des consommateurs et en même temps, de satisfaire aux exigences environnementales."

Défis multiples

"Notre secteur automobile est donc confronté à des défis qui sont extrêmement rudes. Certains de ces défis ne dépendent que de lui, que de sa capacité à innover, à se fédérer, à s'organiser, mais les autres défis dépendent de la France elle-même, de sa compétitivité, de sa productivité, de sa capacité à contenir, voire à alléger, le coût de son travail, de sa capacité à modérer le poids de sa fiscalité. Quand on débat de fiscalité dans notre pays, on en débat en ayant simplement à l'esprit les problèmes franco-français alors qu'en réalité, la seule clef d'entrée dans ce débat sur la fiscalité, c'est la comparaison avec nos voisins européens et en particulier avec nos voisins allemands."

Une voiture économique est d'abord une voiture intelligente

"La voiture a été synonyme d'autonomie, de liberté et encore de vitesse. Ce sont des valeurs qui restent prégnantes et je ne crois pas qu'il faille faire de la voiture le bouc émissaire de tous nos maux. Simplement, il n'est pas question, au nom de ces valeurs, de porter préjudice aux principes non négociables que sont la sécurité de chacun ou le respect de l'environnement.

La voiture, ça sera toujours l'autonomie. Mais elle devra trouver sa place parmi le renforcement des transports alternatifs. La voiture, ça sera toujours la liberté, mais dans un souci de sobriété énergétique. Le défi de la sobriété n'est d'ailleurs pas neuf. Dans l'après-guerre il est déjà à l'origine de la 4CV Renault, de la 2CV Citroën, du bicylindre de Panhard et chacun de ces cas devrait nous inciter à réfléchir parce qu'il prouve deux choses essentielles : une voiture économique est d'abord une voiture intelligente. Il ne s'agit pas de fabriquer au rabais, mais de recourir à des solutions neuves. Une voiture économique, ça n'est pas réservé aux pays en voie de développement, ou aux pays où la main-d'œuvre est bon marché. Une voiture économique, ça peut aussi être le fer de lance de grands constructeurs nationaux. Quant à la vitesse, la vie a plus de prix que l'émotion. Et pour les sensations fortes, et bien, il y a les circuits automobiles et la compétition sportive."

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