Anne-Marie Idrac, France Logistique : "L’Europe n’est pas en retard sur la voiture autonome"

Le Journal de l’Automobile : Depuis un an, les États‑Unis et la Chine ont repris la guerre de la voiture autonome avec des projets extrêmement avancés. Où en est l’Europe ?
Anne-Marie Idrac : Il y a beaucoup de choses qui sont effectivement annoncées dans ces deux régions du monde et peut‑être moins en Europe. On est au cœur des conclusions du rapport Draghi qui promeut une verticale automobile plus ambitieuse sur le Vieux Continent. La question de la voiture autonome en Europe ne souffre pas d’un problème réglementaire contrairement à ce que je peux entendre ici ou là. Bien au contraire, la réglementation européenne est même l’une des plus libérale du monde. J’ajoute qu’elle est homogène sur l’ensemble du continent, là où aux États‑Unis, il y a autant de réglementations que d’États. Donc, notre sujet, c’est une question d'investissements.
Et le rôle de l’Europe est d’être le chef d’orchestre d’un écosystème vertueux autour de la voiture autonome. On trouve de plus en plus d’expérimentations qui deviennent en réalité de véritables services opérationnels qui conjuguent l’expertise d’un constructeur automobile et d’un opérateur de mobilité. C’est vrai que l’Europe est encore tournée vers le transport en commun, mais cela implique néanmoins une maîtrise des technologies nécessaires qui permettra assez facilement de passer à des voitures individuelles.
J.A. : L’Europe n’est pas en retard selon vous ?
A.-M. I. : Non… Elle a fait des choix d’investissement tournés vers l’électrification, sous la nécessité entre autres de la décarbonation, mais elle n’est pas en retard sur les compétences notamment sur les différentes briques technologiques nécessaires au déploiement de la voiture autonome. Elle a d’ailleurs plusieurs prototypes. La question, c’est passer du prototype à l’échelle. D’où la nécessité de s’appuyer sur le rapport Draghi pour définir un plan d’investissement favorable à la voiture autonome.
La question de la voiture autonome en Europe ne souffre pas d’un problème réglementaire
J.A. : Mais le passage à l’échelle est déjà une réalité en Chine ou aux États‑Unis, c’est un retour d’expérience crucial qui va faire la différence…
A.-M. I. : Il y a un certain nombre de briques technologiques qui sont déjà acquises et qui sont à la disposition des Européens pour créer leur propre écosystème. Sur l’intelligence artificielle, il faut rappeler que nous sommes parmi les meilleurs. En outre, nous avons notre propre proposition de valeur que ce soit sur la protection des données personnelles ou des normes sociales. Il n’y a pas de raisons que l’Europe soit totalement disqualifiée de cette course. En outre, nous avons des acteurs très puissants sur les infrastructures qui pourront faire la différence. Même chose sur des opérateurs de mobilité ou tout simplement des gestionnaires de flotte qui maîtrisent parfaitement une partie de la chaîne de valeur. C’est essentiel. Enfin, il ne faut pas oublier que nous avons une industrie automobile puissante.
J.A. : Il y a quelques années, la France disposait d’entreprises innovantes et bien positionnées comme EasyMile ou Navya… Celles‑ci n’ont pas survécu aux besoins de financement qu’implique l’innovation dans la voiture autonome.
A.-M. I. : Ces deux entreprises innovantes ont eu une fin bien triste. D’emblée, elles ont voulu tout faire, tout maîtriser dans la chaîne des briques technologiques. Elles ont également subi des changements intempestifs de dirigeant et de stratégie. Il faut tirer les conclusions de cette séquence parce que ces entreprises ont mis à la route des navettes autonomes qui circulent encore aujourd’hui partout dans le monde. Ce n’est pas rien.
J.A. : Vous êtes la haute représentante du gouvernement à la voiture autonome depuis 2018. Est‑ce que cette institution est toujours en place ?
A.-M. I. : Oui, cette instance existe toujours. Je finalise actuellement mon dernier rapport de mission. Je travaille sur des recommandations pour l’attribution des derniers sous qui restent du programme France 2030. Je planche également sur les freins du passage à l’échelle en proposant de standardiser les démonstrations de sécurité et les processus d’homologation qui coûtent extrêmement cher.
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