Yannick Hiard, directeur général du groupe Maurin
Journal de l'Automobile. On dit souvent que c'est la pièce de rechange qui a été l'élément clé du développement du groupe Maurin. Est-ce exact ?
Yannick Hiard. Fernand Maurin, le père de Jean-Bernard Maurin, était effectivement revendeur de pièces de rechange à Casablanca pour le Maroc. Jean-Bernard a donc baigné dans cette atmosphère de "piéçard". Et il est vrai que lorsqu'il est venu lui-même aux affaires, il a mis un accent particulier sur la chose. Lorsque Motorcraft s'est créé, il y a d'ailleurs tout de suite adhéré en mettant trois vendeurs spécifiques sur la route pour le seul site d'Annecy. Il a ensuite dupliqué ce modèle pour chaque site. Le commerce PR sert notre stratégie première, qui est d'ancrer le groupe sur son territoire. Cela fait partie de notre ADN. C'est également pour cela que nous avons beaucoup de sites. Cela nous permet de mieux maîtriser et défendre ce territoire. C'est notre façon de voir les choses. Cela a un coût, c'est vrai. La contrepartie de ces coûts de structure importants, c'est qu'il faut défendre ses marges. Nous sommes donc en recherche permanente de marges. Sur la pièce, comme sur les autres métiers.
JA. On entend parfois certains distributeurs dire que le système de contrôle des constructeurs ne permet pas d'apporter un savoir-faire, donc de la valeur ajoutée, ni d'avoir un commerce profitable. Est-ce votre sentiment ?
YH. Aujourd'hui, le constructeur décide de beaucoup de choses. Nous devons suivre. C'est évident. Mais nous devons garder un jardin secret qui nous permet d'aller chercher plus de profitabilité. Il faut se battre sur tout, ne rien lâcher, quel que soit le métier. Dans le groupe, nous sommes, par exemple, à environ 45 % de pénétration financement VN-VO. Nous avons une équipe spécialisée avec une vingtaine de FMI, chapeautée par un responsable. C'est un tout. Nous proposons au client un financement, un contrat d'entretien, un complément d'assurance dommage, et même une carte services (Maurin Privilège). Il y a trois ans, nous avons constitué une société pour vendre des contrats d'assurance dommage (Satis). Avec elle, nous enregistrons en ce moment entre 160 et 200 nouveaux clients par mois et avons désormais plus de 2 500 clients en portefeuille.
JA. Est-ce une manière d'exploiter chaque niche de la concession ?
YH. Pas au début. Lorsque nous avons vu les assureurs se mettre à faire du financement, nous nous sommes dit qu'il y avait un grand danger pour notre fonds de commerce. Nous avons souhaité reprendre la main sur le pilotage et garder le client chez nous.
JA. "Reprendre la main sur le pilotage", c'est là votre "jardin secret" ?
YH. C'est une obligation. Et à tout point de vue. S'il veut exister, un groupe de distribution doit par exemple avoir un reporting quotidien pertinent. Dans le groupe, nous avons des tableaux de bords hebdomadaires, puis mensuels, dans tous les services. Chaque semaine, des réunions ont lieu entre les chefs de services de chaque site, de manière à se comparer à la concurrence, mais également aux autres concessions du groupe. Nous avons aussi une situation comptable mensuelle pour vérifier si nous sommes en phase avec ce que l'on attend. Tous les mois, le comité de direction fait ensuite le point. Nous avons ainsi une vision précise du navire de manière à donner des coups de barre le plus rapidement possible, sans attendre la parution des comptes sociaux. Nous devons impérativement être réactifs sans quoi nous n'avons que peu de marge de manœuvre.
JA. Comment fonctionne le binôme DG - président ?
YH. En tant que directeur général, je suis en charge des aspects administratifs, financiers et organisationnels du groupe. Jean-Bernard Maurin a un œil sur tous les sujets, mais il est surtout l'interlocuteur des constructeurs. Il aime les marques avec lesquelles il travaille. Je n'ai jamais croisé un homme aussi passionné par l'automobile que Jean-Bernard Maurin. Il l'est beaucoup plus que moi. C'est une certitude. C'est aussi pour cela que nous formons un duo performant. Il y a une certaine complémentarité de vue. Il a le sens du produit et un flair hors du commun. Il sait quand un produit va marcher ou non. Il est excité en permanence par ce qu'il fait. Il vend lui-même entre 60 et 70 véhicules neufs par an. Tout le monde l'aime pour ça dans la maison. Il communique sa passion.
JA. Comment est organisé le groupe Maurin ?
YH. Outre la holding, nous avons un responsable par marque et un autre par plaque de distribution. C'est-à-dire 5 chez Ford, 2 chez Nissan, 1 chez Toyota Lexus, 2 chez Suzuki et 1 pour la plaque Premium Automobile Groupe. Côté opérationnel, Jean-Bernard Maurin fixe le cap. Nous construisons un budget en fonction des objectifs qu'il détermine. Ensuite, dans le cadre de son budget, le directeur de plaque a toute légitimité. C'est le préfet sur sa région. Tout ce qui n'est pas dans le schéma budgétaire doit faire l'objet d'une discussion avec la direction générale. Les directeurs de site sont eux aussi des hommes importants. Ils sont chargés de l'exécution des contrats commerciaux. C'est sur eux que repose la réussite du groupe.
JA. Quelle est la place de l'humain dans le groupe ?
YH. Nous sommes un groupe dans lequel on aime travailler. Nous avons des fidèles défenseurs du drapeau. Il n'y a pas de barrière, ni d'étanchéité. Moi, comme Jean-Bernard, connaissons presque tous les collaborateurs du groupe. Mais on connaît aussi leur métier, ce qu'ils doivent faire au quotidien. On reconnaît donc les compétences de chacun.
JA. Certains grands groupes mettent au point leur propre cursus de formation, parfois même des écoles. Quelle est votre politique à ce sujet ?
YH. En marge des formations du constructeur, nous avons un plan de formation avec un suivi et des groupes par niveau. Car en plus de ce que proposent les marques, nous avons souhaité former nos collaborateurs à la technique de vente du groupe. Nous avons donc édité nos propres contenus sur les ventes, les produits et le comportement, car on n'utilise plus les mêmes mots qu'avant. On ne vend plus de la même manière qu'auparavant. A la vente, comme à l'après-vente. Il fallait nous adapter.
JA. Vous parlez de technique de vente "maison". C'est-à-dire ?
YH. C'est en réalité tiré de la stratégie "Idées Ford". Nous l'avons retravaillée. L'idée est de former le vendeur à convaincre que le cycle court est la bonne formule pour les clients. Car, au-delà de trois ans de détention, les coûts d'utilisation augmentent. Pour le client, il est plus intéressant de changer de véhicule avant ce terme et pour nous, cela augmente nos volumes VN et donc les rentrées de VO. Nous avons tellement misé sur ce concept que nous l'avons étendu à toutes les marques du groupe.
JA. Côté atelier, quels sont vos principes de fonctionnement ?
YH. Pour nous, l'après-vente est l'endroit de la concession où on prépare les ventes futures. C'est par là que passe la fidélisation. C'est donc primordial. Mais vous aurez remarqué que nous sommes traditionnellement vendeurs de marques étrangères. Ce qui n'est pas simple pour l'activité. Chez nous, la couverture des frais fixes par l'après-vente ne fait donc pas rêver. Nous sommes à environ 60 %. Un peu plus chez les marques japonaises, chez qui les clients sont un peu plus fidèles. Néanmoins, c'est une des préoccupations du groupe. Aujourd'hui, nous sommes d'ailleurs en pleine réflexion sur le coût des entretiens. Nous devons trouver la solution pour garder ou faire revenir les clients via une offre de services budgétée, pour éviter les mauvaises surprises, donc le mécontentement.
JA. Justement, n'avez-vous jamais eu la tentation de prendre un panneau "français" ?
YH. Nous travaillons volontairement qu'avec des marques étrangères. Nous nous sommes rendu compte que si on voulait représenter quelque chose au sein d'une marque, il fallait atteindre une belle part de voix. Or, chez les marques françaises, à parts de voix égales, il faut réaliser bien plus de volume. Nous avons une réflexion plus aiguisée sur des marques plus petites. Nous avons grandi dans cet esprit. Nous ne serions peut-être pas performants chez Renault. C'est une question de culture.
JA. Lorsque l'on regarde votre portefeuille de marques, on se dit qu'il y a une place pour le premium. Est-ce que cela vous intéresse ?
YH. Aujourd'hui, nous avons fini notre développement chez Ford. Notre croissance future passe donc par le fait de faire pousser nos autres marques. Nous souhaitons construire les choses sur le long terme avec nos concédants. Mais nous regardons les marques premium avec attention parce qu'elles sont séduisantes. Idéalement, ce serait effectivement intéressant pour nous d'en représenter une ou deux. Le frein, c'est l'opportunité. Nous ne sommes pas, par exemple, dans le réseau Volkswagen. De surcroît, nous souhaitons continuer à nous développer sur le quart sud-est. Il faut donc réunir toutes les conditions et ensuite être choisi.
JA. Le groupe a donc encore les moyens de ses ambitions…
YH. Nous avons eu une forte croissance, mais bien maîtrisée, notamment en termes de ratios financiers. Dans nos métiers, il faut avoir la "vista" pour anticiper ou saisir les opportunités, mais il faut aussi savoir être sages. Nous avons fait une bonne année 2009 car nous avions bien anticipé la vague avec quelques décisions intelligentes. L'an dernier, nous nous sommes donc concentrés sur notre business et sur l'amélioration du rapport produit/charge. Nous n'avons pas fait de développements extérieurs. En 2010, nous avons dit que nous ferions des choses au 2e semestre si le marché donnait des signes de reprises. Nous observons. Mais nous n'avons pas seulement la volonté de racheter des sociétés qui ne vont pas bien. Les belles affaires seront regardées. Et puis, en matière de croissance, il y a deux solutions : soit on rachète, soit on s'allie.
JA. Est-ce ce vers quoi vous tendez ?
YH. Je pense que 2010 sera plus compliquée que 2009 et la profession risque d'avoir des bilans fortement dégradés. En outre, les conditions de financements de l'activité ne sont pas infinies. Soit vous avez les moyens de vous endetter et d'avoir une croissance par emprunt, soit vous vous alliez à quelqu'un. Je pense que nous allons de plus en plus voir ce type d'opération dans les prochains mois parce que les possibilités d'emprunts vont être de plus en plus réduites. Et les sociétés n'ont plus les cash flow nécessaires. Alors, oui, il y aura des opportunités, mais les conditions seront plus dures. Peut-être verrons-nous des sites ne pas trouver preneur.
JA. Vous semblez avoir une vision assez négative des mois à venir…
YH. Je reste assez pessimiste pour demain. Nous sommes à la croisée des chemins. On a des constructeurs qui se battent pour trouver une parade à leur surproduction chronique, mais qui ne sont pas aidés par les politiques qui tiennent à garder les usines ouvertes. Cela crée des perturbations sur le marché. C'est ce qui explique la course à la remise, l'offre pléthorique, etc. De fait, le client veut du prix, mais avec un service normal qu'il ne veut pas payer. Cela devient compliqué pour nous de résoudre cette équation. Nous devons nous restructurer pour nous adapter à cette demande.
ZOOMTrente-deux ans de développements A la sortie de ses études, Jean-Bernard Maurin a eu pour mission d'évaluer la possibilité de vendre la petite agence familiale Ford de Marseille. A l'époque, sa famille vivait au Maroc. Le père voulait vendre. Jean-Bernard Maurin a pensé qu'il pouvait s'en occuper. C'était en 1978. C'est de là que tout est parti. Il crée ensuite un open point à Carpentras en 1981, qu'il revend en 1984 pour racheter l'affaire Ford d'Annecy. Deux ans plus tard, il rachète l'affaire d'Annemasse, alors en difficulté. C'est en quelque sorte la constitution de la 1re plaque du groupe Maurin. A la fin des années 80, le groupe fait une tentative de multimarquisme à Lyon, en prenant les marques Seat, Volvo et Land Rover, mais se fait prendre par la patrouille. Alain Deléan, le président de Ford France de l'époque, incite fermement l'opérateur à vendre. Le groupe s'exécute, mais conserve Land Rover, en catimini. C'est alors que le distributeur, attiré par les perspectives démographiques favorables, tente de descendre vers le Sud. Petit à petit, se constitue la 2e plaque du groupe. De nouvelles marques arrivent et les développements se sont depuis multipliés entre les implantations Nord et Sud du groupe. |
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