Vers d’autres logiques de concurrence
...conscient de la fragilité intrinsèque du vieux système de distribution monomarque. On sait qu'il ne correspond pas aux attentes des consommateurs, habitués à effectuer leurs autres achats dans des environnements multimarques, qu'il coûte trop cher et contribue à déprimer la demande et qu'il n'assure la rentabilité des réseaux qu'à travers des subventions déguisées. La seule vraie question est : "Comment en sortir sans trop de dégâts ?" Personne ne peut donner à cette question légitime une réponse simple et rassurante, parce que des décennies de renforcement ou colmatage du commerce monomarque, allant du regroupement des concessions à une identification de plus en plus poussée de la concession à la marque représentée, ont créé une situation délicate et figée. Cependant, un tabou vient de tomber : il n'est plus vrai que tous les grands constructeurs refusent "de facto" de promouvoir le multimarquisme hors groupe, dans des locaux communs et sans variation de raison sociale. C'est un changement fondamental qui doit nous inspirer quelques réflexions.
Consommateurs et réseaux
Offrir un choix de modèles plus vaste que celui des concurrents est un avantage considérable, à la fois pour les consommateurs et pour les concessionnaires concernés. Imaginons que, dans une ville où toutes les marques seraient représentées par des concessionnaires monomarques, l'un des distributeurs élargisse un jour son offre et propose dans les mêmes locaux Toyota, Nissan et Volkswagen, ou bien Mercedes et BMW. Pense-t-on vraiment que les flux de clientèle continueront à se diriger imperturbablement vers des distributeurs monomarques qui ne proposent que Toyota, ou Volkswagen, ou Nissan, ou BMW, ou Mercedes ? C'est avec des espoirs comme celui-ci qu'on prend benoîtement le chemin du déclin. On sait en effet que moins d'un tiers des consommateurs, généralement les plus âgés, sont disposés à privilégier un réseau traditionnel monomarque lorsqu'il existe une alternative multi. Quant au distributeur qui peut exposer et vendre deux ou trois marques dans des locaux où il n'en vendait qu'une, faut-il vous faire un dessin ? Il bénéficiera de deux ou trois flux de clientèle au lieu d'un seul, pourra atténuer ou gommer les effets de cycle d'un producteur en vendant les modèles concurrents, et même jouer un fournisseur contre l'autre, à son avantage, y compris au moment où il négociera ses objectifs. Sans oublier la répartition des frais généraux de la concession sur un nombre de ventes plus élevé… et sur des ventes en moyenne plus rentables.
Réseaux et constructeurs
Si le multimarquisme est inéluctable, et il l'est, un constructeur peut-il l'ignorer ? Peut-il seulement considérer qu'il s'agit d'un inconvénient mineur ? Ce serait imprudent. Il offrirait alors une opportunité exceptionnelle à ceux qui, parmi ses concurrents, iraient se nicher dans "son" réseau, appliquant ce que nous avons appelé, il y a longtemps, la "stratégie du coucou". Une autre erreur, hélas probable, consisterait à répliquer à un concurrent en appliquant une politique symétrique, dans une logique punitive et non orientée vers le business. Pour bien comprendre, reprenons l'exemple du concessionnaire Renault de Rome qui a inséré la marque Fiat dans l'une de ses affaires (voir nos deux chroniques précédentes). Si Renault s'avisait de s'installer dans une concession Fiat en France, il ne ferait qu'aider son confrère et concurrent en apportant du volume et de la rentabilité à des concessions encore en difficulté. En fait, il est nécessaire que chaque constructeur se détermine en fonction de sa propre situation, et de la nécessité de répondre à la concurrence intermarque dans les réseaux, par une concurrence "interline", entre plusieurs réseaux. En mettant plusieurs réseaux et plusieurs types d'entreprises de distribution en concurrence, un constructeur pourra reprendre la main et optimiser sa propre rentabilité. En somme, il est logique que les distributeurs essaient de faire supporter le poids de la concurrence aux constructeurs (multimarquisme) et que ceux-ci tentent, au contraire, de le répartir entre les entreprises de distribution (concurrence interline). Ce qui semble certain, c'est qu'on ne gagnera pas, que l'on soit constructeur ou distributeur, en refusant d'aller vers un surcroît de concurrence.
Ernest Ferrari, consultant
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