Valerie Rotrou Bossart, dirigeante du groupe Bossart
Curriculum vitae
Nom : Rotrou Bossart |
Journal de l'Automobile. Ces premières années à la tête du groupe sont-elles conformes à ce que vous imaginiez ?
Valérie Rotrou Bossart. Au-delà de ces cinq premières années, je dirais que c'est vraiment la première qui est la plus pesante. Pierre Bossart, qui était un homme qui avait sa place dans le monde de l'automobile depuis très longtemps, ne nous avait pas confié la totalité des dossiers. Dès lors, vous découvrez des dossiers auxquels vous n'avez pas eu accès et que vous ne maîtrisez pas encore, comme ceux concernant les partenaires financiers, par exemple.
Ensuite, de ce changement de direction découle nécessairement une nouvelle relation avec les constructeurs. Mais pour ce qui est du fonctionnement interne d'une affaire, étant moi-même passée par la quasi-totalité des métiers de l'automobile, je n'ai pas eu de grandes surprises.
Enfin, une des choses importantes a été aussi de se faire accepter auprès des collaborateurs en tant que femme dans un milieu automobile. Même si je connaissais la quasi-totalité du personnel, le changement de statut peut modifier la relation.
JA. Pensez-vous qu'une femme manage et dirige de façon différente ?
V.RB. Le management est intuitif et dépend de sa personnalité, des collaborateurs que vous avez en face de vous et peut effectivement dépendre du fait que vous soyez un homme ou une femme. Non seulement j'ai un management féminin mais j'ai aussi un management qui s'inscrit dans une éthique familiale. La dimension familiale a toujours été présente dans le groupe. Je suis très proche de mes collaborateurs à qui je donne beaucoup plus d'informations que Pierre Bossart ne le faisait à son époque. Je joue beaucoup la transparence sur de nombreux sujets car je considère que pour comprendre les choses, les analyser et ensuite agir, il faut avoir un maximum d'éléments.
Je pense aussi que le côté maternel influe énormément dans le management d'une femme. Cela se manifeste dans la capacité d'écoute, dans la disponibilité vis-à-vis de ses collaborateurs, dans la façon de traiter des dysfonctionnements, tant en interne qu'en externe, qui est peut-être plus arrondie…
Mais je reconnais que ce n'est pas toujours évident. Je pense notamment aux représentants des constructeurs qui n'ont pas trop l'habitude, finalement, de travailler avec des femmes.
JA. Quel a été le discours du constructeur à votre arrivée et comment avez-vous perçu cette "nouvelle relation" ?
V.RB. Il n'y a pas eu de rupture mais j'ai su par la suite que le constructeur était dans l'attente que Pierre Bossart passe le flambeau. Néanmoins, me connaissant peu, il était logique et cohérent que s'instaure une période d'observation. Ensuite, on gère d'autant mieux cette période que nous avons en face de nous des interlocuteurs qui sont compréhensifs et qui ont un réel rôle de partenariat. Dès lors que la motivation est partagée, cela se gère en parfaite intelligence.
JA. Quelles sont les principales ambitions et motivations qui vous animaient lors de la reprise de la direction du groupe ?
V.RB. D'une part, j'ai toujours souhaité travailler dans ces activités de l'automobile. La diversité du métier me plaît. Il impose une nécessaire remise en question, une adaptation permanente et quand on pense être arrivé au bout de quelque chose, on repart aussitôt vers un nouveau challenge. On trouve chaque jour une nouvelle richesse dans ce métier. Ensuite, la motivation était aussi d'assurer la pérennité de 40 ans de travail de Pierre Bossart qui a consacré beaucoup de sa vie personnelle et de son travail dans ses affaires. C'était aussi une façon de lui rendre hommage.
JA. Votre vision et votre approche du métier sont-elles identiques à celles de votre père et s'inscrivent-elles dans la continuité ?
V.RB. Nous avons bâti des fondations à partir desquelles nous avons pu mettre en place et développer depuis 2005 certains concepts ou certaines affaires. Mais, globalement, ce n'est plus le même métier. Quelqu'un qui aurait décroché de l'automobile il y a cinq ans et qui souhaiterait y revenir aujourd'hui remarquerait que le secteur a énormément évolué. Notamment au niveau de certaines spécificités, comme le rôle du chef des ventes et l'organisation de ses journées, la circulation de l'information, la politique qualité, la mise en place de nouveaux standards ou encore les relations avec les constructeurs qui ont largement découlé ces dernières années du nouveau règlement européen.
JA. Ces évolutions que vous citez vont-elles dans le bon sens ?
V.RB. J'ai le sentiment que nous sommes beaucoup plus tournés vers la qualité aujourd'hui, avec notamment tout un ensemble de process, mais qu'en même temps nous accordons moins de temps d'écoute aux clients. Aujourd'hui, les process représentent une part non négligeable de notre résultat sur nos comptes d'exploitation. Dans les règles du jeu fixées par le constructeur, pour pouvoir atteindre un certain niveau de rémunération, il faut les respecter. Mais à trop respecter tous les items et sous-items, vous vous détournez du client. Dès lors, il faut privilégier certains items au détriment d'autres si vous souhaitez travailler correctement à la fois la relation client et la qualité. Depuis 2010, le constructeur a mis en place des process qualité plus allégés et j'ai le sentiment que c'est plus facile à gérer et à manager.
JA. 2005 a été une année charnière pour le groupe avec la vente des affaires Toyota et le développement de Citroën. Cette orientation stratégique s'est-elle avérée payante ?
V.RB. Nous ne regrettons ni l'acquisition des affaires Citroën ni la cession des affaires Toyota. Citroën n'avait pas, il y a cinq ans, l'aura qu'elle a aujourd'hui et ne cesse de se développer avec une gamme qui a énormément d'atouts et qui séduit beaucoup les clients. Nous voyons arriver de nouveaux acheteurs alors qu'historiquement, Citroën était plutôt une marque de renouvellement avec les "Citroënistes".
JA. Quel regard portez-vous sur l'évolution de l'offre de Peugeot et de Citroën ?
V.RB. Nous avons la marque aux chevrons qui a su s'adapter aux attentes des clients. La C5 plaît bien, le C4 Picasso est le véhicule qui a contribué à faire émerger Citroën dans un contexte automobile qui était pourtant fragile pour lui à l'époque. La marque a totalement changé son image aujourd'hui et l'arrivée de la DS3, que je trouve particulièrement réussie, participe de ce bond en avant. Elle est d'ailleurs très favorablement accueillie par les clients.
De son côté, le lion est resté un peu en dedans en faisant peu évoluer sa gamme. Nous n'avons pas senti une évolution flagrante dans la ligne de la majorité des nouveaux produits. Nous avons la gamme des CC qui plaît mais qui représente des micro-marchés. La 3008 plaît beaucoup aussi, la 207 et la 308 sont toujours présentes mais les autres véhicules, bien que restylés, commencent à avoir de l'âge. Si vous mettez une 308 à côté d'une 307, pour quelqu'un de non averti, voire même d'averti, la différence à l'extérieur n'est pas flagrante. Quant à la 5008, je suis très dubitative sur le produit. Nous sentons aussi qu'il y a un frein sur la 407 depuis 18, 24 mois et que le client est en attente d'un nouveau produit. La 607 n'a pas été renouvelée. C'est un segment où on est devenu absent et les clients sont partis à la concurrence.
JA. Comment le groupe a-t-il traversé l'exercice 2009 ?
V.RB. Après une année 2008 très mauvaise, le groupe n'a pas trop mal traversé cette année 2009 avec une hausse de 11 % des volumes VN, notamment une très grosse progression chez Citroën (+ 28 %). Les ventes de Peugeot ont augmenté de 2 %. En VO, avec 3 460 unités, les volumes de ventes sont identiques à 2008, mais avec une part des ventes à particuliers qui a augmenté de 10 %. Cependant, l'activité occasion souffre beaucoup depuis deux ans et je suis plutôt pessimiste sur le fait que l'on puisse atteindre de nouveau les marges brutes d'activité que nous avons pu connaître jusqu'en 2007. Le marché des pièces de rechange n'est pas simple, et surtout très concurrencé, et risque encore d'évoluer dans le cadre de la politique des constructeurs. Concernant l'activité après-vente, nous n'avons heureusement pas trop été touchés. Elle s'est bien maintenue en 2009, à environ + 3 %.
JA. Comment est gérée l'activité occasion au sein de votre groupe ?
V.RB. Elle est gérée de manière indépendante dans chaque site et fait l'objet de réunions tous les quatre mois au niveau du groupe afin de faire une analyse des stocks et des reprises. Les process VO ont été remis en place fin 2008, notamment la méthodologie des reprises, ce qui a permis de repositionner nos prix de vente et de redéfinir nos marges. Il y a des audits tous les mois sur tous les sites pour analyser la qualité des achats, la rotation des stocks, les frais de remise en état…
JA. Certains dirigeants de groupe parlent parfois de "taille critique". Que pensez-vous de la constitution du groupe aujourd'hui ?
V.RB. Oui, il y a forcément une taille critique et en même temps je ne fais pas partie des investisseurs qui existent au travers de contrats de volume. Je ne me sentirais pas davantage en "sécurité" si je vendais 15 000 voitures par an plutôt que 5 000. De plus, la réflexion qui anime la constitution du groupe est d'abord géographique, essentiellement pour des raisons de qualité de management. Et dans l'hypothèse où le groupe devrait grandir, je n'envisage absolument pas d'aller reprendre des affaires qui se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres de notre base. Je prône le management de proximité. Et c'est également de cette manière que j'obtiens la meilleure photographie des affaires car je peux y aller à n'importe quel moment de la journée.
Mais je me sens encore la capacité de reprendre certains contrats. Sur le département de Seine-Maritime, nous sommes entourés par les filiales Peugeot et Citroën. Ensuite, dans les autres départements, il y a des distributeurs qui ont encore quelques années devant eux, qui sont plus ou moins cédants. Il faut être à l'écoute. Mais, globalement, les opportunités chez Citroën sont plus importantes parce qu'il y a tout simplement plus d'investisseurs.
JA. Dès lors, quelle est la dynamique qui anime le développement du groupe Bossart actuellement ?
V.RB. Depuis un an et demi, nous nous inscrivons surtout dans une analyse de l'existant afin de dégager des économies sur des postes de frais généraux, les coûts indirects aussi (informatique, téléphonie, la gestion des VD, des véhicules d'essai, de remplacement…). C'est une gestion quasi quotidienne et je demande à l'ensemble de mes sites de remonter au minimum une fois par mois l'état de ces véhicules qui rentrent en charge sur le compte d'exploitation. C'est un sujet que nous gérons de façon très rigoureuse. Ensuite, il y a beaucoup de micro-économies sur lesquelles nous pouvons encore travailler.
JA. Et en termes de stratégie ?
V.RB. Quand vous avez autant de turnover chez Peugeot et Citroën, que ce soit chez les dirigeants, chez les acteurs du réseau propre ou en back-office, et donc aussi peu de stabilité au niveau de la politique et de la stratégie, comment voulez-vous que le réseau s'inscrive dans une stratégie ? Il faut que le constructeur lui-même soit transparent sur ses propres projets d'avenir. Et je parle d'avenir à minimum cinq ans. Or, nous avons le sentiment que les orientations prévues il y a douze mois sont passibles de changement à tout moment. Quand Peugeot, par exemple, prône la Blue Box, encore faut-il que nous, investisseurs, ayons une visibilité sur l'avenir pour s'inscrire dans un tel projet d'investissement. Chez Citroën, ils ont clairement défini que dans les deux ans à venir, l'ensemble du réseau des concessionnaires devrait avoir des infrastructures répondant à la nouvelle charte graphique pour avoir une identité visuelle homogène sur l'ensemble du territoire. Quid de ces investissements demandés alors que nous n'avons pas la certitude d'avoir un nouveau contrat ? Nous n'avons pas de réponses à ce jour et c'est difficile aussi pour le constructeur de répondre.
JA. Ce manque de visibilité a-t-il freiné certains de vos projets ?
V.RB. Oui, et en particulier ces douze derniers mois. Il y a plusieurs projets de nature différente que j'ai volontairement mis en stand-by et qui ne ressortiront pas avant 2011 car le réseau est désormais à contrat déterminé et que nous ne connaissons pas la nature de nos nouveaux contrats ni leur contenu. Le seul type de projet dont je peux parler concerne des investissements dans deux de nos sites Peugeot existants.
JA. Quelles sont vos ambitions pour cette année 2010 ?
V.RB. Lorsque l'on est chef d'entreprise, nous devons avoir absolument des objectifs ambitieux même dans un contexte difficile. Et 2010 le sera. C'est en affrontant au quotidien les difficultés que nous nous adapterons. Cela implique d'être le plus réactifs possible, que les conseillers réapprennent à travailler sur le terrain pour faire de la conquête et de la prospection, choses qu'ils ont complètement mises de côté en 2009. Les jeunes tourtereaux qui sont arrivés en 2009 comme conseillers commerciaux ont mangé leur pain blanc et vont maintenant manger leur pain noir et découvrir véritablement ce qu'est le métier de vendeur.
FOCUSLe groupe Bossart en chiffres • Date de création : 1987 |
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