Quelques grandes tendances de la distribution
Mi-avril, une rumeur faisait sensation aux Etats-Unis. En effet, selon le site Recode, Amazon envisageait de créer des points de vente ! Des points de vente d’un nouveau genre, certes, dotés de scanners en lieu et place des caisses traditionnelles, mais des points de vente bel et bien physiques et partant, assujettis aux impératifs des loyers, de la fréquentation, etc. Dans la foulée, Jean-Christophe Chaulet soulevait plusieurs questions : “Doit-on considérer cette annonce comme une véritable orientation stratégique ou plutôt comme un énième coup marketing de Jeff Bezos (fondateur, et P-dg d’Amazon, N.D.L.R.) ? Quel serait l’impact d’une décision de cette nature sur les stratégies industrielles des autres acteurs de la distribution ? La disparition des hôtesses de caisse est-elle une conséquence inéluctable de la transformation du point de vente ?”. Il convient aussi de rappeler qu’Amazon a récemment manifesté son intérêt pour racheter une chaîne de magasins à New York, montrant ainsi que le nouveau géant ne balayait pas systématiquement d’un revers de la main les fondamentaux du retail traditionnel. Jeff Bezos avait d’ailleurs lâché cette phrase : “Nous ne créerons pas de magasin, sauf si une nouvelle expérience est possible…”. Nouvelle expérience, le mot est lâché, comme le nouveau Graal à la confluence d’interactions toujours plus multiples et précises, transition numérique oblige. C’est d’ailleurs ce que souligne Jean-Christophe Chaulet : “L’avènement du numérique et l’essor du e-commerce ont modifié les problématiques proposées à la distribution. Toutefois, si nous avons des exemples, il n’y a pas une voie royale qui s’impose. Ainsi, on parle à tout propos d’omni-canal et de multi-channel, mais il ne faut pas perdre de vue que c’est la consistance des canaux qui importe vraiment. Les canaux digitaux, mais aussi physiques et le magasin en fait partie intégrante. D’ailleurs, les sites physiques ne sont nullement condamnés à disparaître”.
Via l’omni-canal, la notion de non-stop shopping s’impose
Plusieurs initiatives tendent à confirmer cette assertion. Ainsi, le web-to-store consiste bien à ramener le client dans les magasins afin de lui proposer de nouvelles expériences. Les magasins clubs, de type Nespresso, rencontrent un certain succès, de même que les dispositifs basés sur la cooptation, sur lequel reposait par exemple ventesprivées.com à l’origine. Si l’impératif du retour sur investissement reste crucial, les chemins pour y parvenir peuvent être fort dissemblables. Entre le show-rooming, où il faut payer pour rentrer dans le magasin en étant remboursé qu’en cas d’achat, et les showrooms flagships, comme celui de Samsung à New York où il s’agit de montrer l’innovation plus que de vendre, exception faite de petits accessoires, la différence d’approche est notable. “En fait, via l’omni-canal, c’est la notion de non-stop shopping qui s’impose. En filigrane, se trouve la nécessité de connaître, et plus encore, de reconnaître le consommateur, pour lui proposer des offres et des expériences personnalisées. Toujours en filigrane, se pose aussi la question du paiement, moyen de paiement et moment choisi pour le paiement. Mais là encore, il n’y a pas de solution miracle sur étagère à l’heure actuelle”, synthétise Jean-Christophe Chaulet.
La fin du vendeur à papa
Par ailleurs, si le vendeur sur point de vente est sommé de muter pour continuer à faire valoir une valeur ajoutée significative, son existence et sa légitimité ne sont pas fatalement remises en cause. “Une récente étude Ifop démontre le “retour en grâce du vendeur”, sous réserve de disposer des informations appropriées, de créer de l’empathie et de faire partager les valeurs propres à un univers de marque donné”, avance Jean-Christophe Chaulet. En schématisant un brin, on peut annoncer la fin du vendeur à papa, parfois surnommé “vendeur Xerox”, et le sacre du conseiller clientèle, parfaitement illustré par une récente publicité de Nocibé : “Chez nous, on a aucun vendeur, mais des conseillers clientèle”. Quant à la vente presque “forcée”, pas toujours étrangère à l’automobile soit dit en passant, c’est désormais clairement frappé de sceau de la caducité. “D’autant que le secteur automobile a le précieux atout de pouvoir travailler sur un terreau de passion, voire de nostalgie. On mesure très bien cette dimension en visitant les lieux d’exposition des constructeurs sur les Champs-Elysées, par exemple”, ajoute Jean Christophe Chaulet.
Soft-selling plutôt que hard-selling
En fait, si la finalité demeure toujours d’augmenter le panier moyen et la marge finale, le développement de l’expérience client apparaît aussi au rang des priorités, surtout dans l’optique de l’attachement à la marque et de la fidélisation, cette dernière étant rendue toujours plus ardue par la multiplicité des offres. Cela réclame donc de nouvelles compétences pour les conseillers clientèle, surtout sur la phase névralgique du contact direct avec le client, celle-là même qui manque à internet. “Le conseiller clientèle doit donc être capable de reconnaître le client puis de théâtraliser la vente. Pour la première phase, on parle plus de smart data que de big data, car il s’agit de comprendre toutes les interactions passées du client pour personnaliser l’offre à venir. On se rapproche du concept de consommation augmentée, comme par exemple chez Séphora, où le client et son historique sont identifiés dès l’entrée sur le point de vente grâce à l’usage de tablettes. On glisse donc du hard-selling au soft-selling, grâce à un CRM actif et agile et surtout pas dormant ou encombrant”, assène Jean-Christophe Chaulet.
Capacité d’emprunt des codes du luxe
Parmi les secteurs qui parviennent le mieux à appréhender ces nouveaux codes, on trouve naturellement celui du luxe. Qui parvient même à inverser à son avantage un paradigme de notre société, à savoir le refus de l’attente : “En règle générale, l’attente est un ennemi dans notre société. Or, les clients du luxe acceptent d’attendre un an pour acheter un sac Hermes Kelly par exemple”. Nespresso est aussi un exemple intéressant, la marque ayant su s’approprier les codes du luxe. Jean-Christophe Chaulet souligne cependant que les bonnes pratiques sont démocratisables. Et de citer Darty et son fameux “contrat de confiance” : process “click and collect” maîtrisé, relation clients sans couture et cross-canal au top niveau. Pour l’automobile, notre spécialiste estime que le secteur a, entre guillemets, la chance de traiter des transactions dont les montants sont élevés, ce qui lui permet de pouvoir emprunter des codes au luxe, si besoin, même hors champ des constructeurs Premium. Outre l’engagement conséquent de la dépense, l’automobile ne doit pas négliger la notion de plaisir, encore bien présente, quoi qu’on en dise. L’essai du véhicule revêt donc une importance cruciale et il y a sans doute bien des choses à inventer dans ce domaine, quitte à dépoussiérer les “bonnes vieilles habitudes”. Dans un autre registre, les essais doivent aussi mieux accompagner la relation clientèle ensuite, avec des propositions d’essai au sein de la gamme même s’il n’y a pas d’achat à venir. Certaines marques le font déjà, mais toutes gagneraient à le faire.
Sortir du dogme de la concession cathédrale
Par rapport à la taille et au coût des concessions, Jean-Christophe Chaulet préconise de ne pas être dogmatique. On peut imaginer plus de mixité entre les vastes sites en périphérie et des sites beaucoup plus petits en centre-ville ou dans des centres commerciaux, au service d’une plus grande présence de la marque et d’une cohérence renforcée. Surtout que les supports numériques et de réalité augmentée permettent des démonstrations et des simulations très riches si elles sont bien exploitées. Notre expert rappelle d’ailleurs qu’une borne ou une tablette mal exploitée est contreproductive : “Une borne posée au milieu d’une concession ou de n’importe quel magasin ne va attirer que les enfants. Si vous n’avez pas un conseiller clientèle pour l’animer, ça ne sert à rien”. Ces nouveaux outils devraient aussi permettre de réduire le nombre de modèles exposés : “Illustration, la petite concession BMW de Neuilly qui affiche pourtant des performances commerciales de haut vol”. Enfin, Jean-Christophe Chaulet indique qu’il faut aussi casser les idées reçues à propos d’un supposé conflit des générations. Deux arguments, parmi d’autres, méritent d’être soulignés : “Le pouvoir du bouche-à-oreille direct, la famille, l’entourage, restent considérables, bien plus fort que celui des réseaux sociaux, même si ces derniers ont une importance. Par ailleurs, les digital natives continuent à aller dans les magasins ! Et beaucoup, qui plus est. D’ailleurs, les réseaux sociaux ou les selfies traduisent un besoin d’être vu et de partager une expérience, à l’origine physique. A cet égard, le succès du magasin M&M’s de Londres vaut mieux qu’un long discours”.