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Distribution

Les distributeurs font-ils ce qu’ils veulent sur Internet ?

Publié le 11 septembre 2009

Par Benoît Landré
7 min de lecture
A cette question, discutable, le fameux plan "thèse, antithèse et synthèse" ferait merveille. Pour synthétiser, on pourrait formuler une réponse du type : "Oui, les distributeurs sont libres d'être présents sur la Toile, mais...
...doivent respecter des règles." Lesquelles ?

Sans être chaud brûlant, le sujet n'en reste pas moins délicat à aborder pour certains distributeurs désireux de ne pas se mettre en porte-à-faux avec le constructeur sur un canal devenu particulièrement stratégique. Interrogé sur la question, un gros groupe multimarques a préféré ne pas trop se prononcer et garder l'anonymat. "En règle générale, le VN sur Internet reste la chasse gardée des constructeurs. La question que je me pose est : "Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?" Pour des raisons politiques, je pense que nous aurions plus à y perdre en se lançant dans ce commerce en ligne qu'à y gagner", confie un dirigeant du groupe. Du haut de son statut de président de la branche nationale des concessionnaires du CNPA, Olivier Lamirault, également P-dg du groupe éponyme, se montre plus placide. "Internet constitue l'un de nos derniers espaces de liberté. De mémoire, depuis la création de notre site en 1998, nous avons dû recevoir un courrier d'un constructeur nous demandant de modifier un détail. Lorsque nous avons pris l'initiative, il y a deux ans, de développer les "ventes flash", c'était en parfaite autonomie. Mais nous devons être vigilants, Internet ne doit pas devenir une opportunité pour les constructeurs d'avoir un réseau de distribution extérieur au réseau", affirme-t-il. Le spectre de l'opération 1007 sur Vente Privée rôde.

Des constructeurs plus partageurs…

Si un certain flottement entourait il y a quelques années le positionnement des constructeurs sur la Toile, les voilà désormais armés d'outils mieux aiguisés et adaptés, bien décidés à reprendre le contrôle du VN en ligne délaissé au bénéfice des mandataires. Seulement, entre-temps, et devant l'apathie des marques sur ce canal, des groupes de distribution se sont armés en créant leurs propres outils. "L'idée de départ était de s'affranchir de la politique du constructeur qui, entre 2002 et 2004, ne voulait pas que les distributeurs investissent Internet et communiquent avec des prix barrés au risque de détériorer leur image de marque. C'est la raison pour laquelle nous avons créé une marque différenciante, Epicar, pour éviter tout problème avec le constructeur", rappelle Edouard Colin, Président du groupe éponyme et précurseur sur Internet avec le site Epicar. "Si le distributeur ne prend pas en main son destin Internet, ce n'est pas le constructeur qui le fera pour lui car cela n'est pas dans son intérêt", résume Eric Saint-Frison, dirigeant de la société Go Between Conseil. Désormais, les sites constructeurs et ceux des distributeurs, souvent multimarques, doivent cohabiter sur la Toile. "Mais ce n'est pas une concurrence, estime Guillaume Josselin, directeur marketing de Renault France, c'est un complément. Nous encourageons ces initiatives en cohérence avec la stratégie du constructeur et dans le respect de l'image de marque et de l'identité Renault. En général, lors de la création d'un site, nous essayons de nous parler en bonne intelligence." Où plus concrètement, selon Pierre Garnier, directeur marketing Peugeot France : "Dès lors que le réseau arrive à déstocker ses véhicules sur le Net, que ce soit avec ses outils ou avec les nôtres, l'important est que l'on ne retrouve pas de concessionnaires qui croulent sous les stocks".

.…mais très vigilants

Le bon sens doit donc primer. "Les constructeurs ont bien compris que les distributeurs devaient être présents sur le Net pour, d'une part, gagner en visibilité et d'autre part, pour augmenter les ventes. En revanche, il est évident qu'ils cherchent à maîtriser leur communication et qu'il y a encore un certain nombre de points à respecter. Je pense que les sites de distributeurs continueront à cohabiter avec les sites des constructeurs, les deux ne s'opposent pas.", confirme Edouard Colin. Le respect de l'image de marque et de l'identité, voilà la règle d'or à laquelle il ne faut pas déroger. Sur ce critère précis, le constructeur veille au grain. Et il est très probable que la juxtaposition des logos sur les sites de groupes multimarques ne doit pas franchement les enchanter. "En droit, et en théorie, les distributeurs sont libres de faire ce qu'ils veulent sur le Net. Maintenant, la principale préoccupation des constructeurs est que les sites des groupes de distribution ne portent pas atteintes, de près ou de loin, à leur image. Et il y a fort à parier que chaque initiative doit être très encadrée. Par conséquent, en pratique, cette "liberté" est réduite à sa plus simple expression et ce n'est d'ailleurs pas par hasard que les groupes qui ont des sites sont des groupes qui pèsent lourds", juge Patrice Mihailov, avocat à la Cour. Un deuxième Epicar aurait en effet bien du mal à percer aujourd'hui.

Les distributeurs, grands absents des moteurs de recherche

De toute façon, tels qu'ils existent, les sites des groupes de distribution qui fleurissent sur la Toile ne peuvent pas vraiment contrecarrer les plans des constructeurs. D'une part, parce qu'ils ne jouent pas dans la même cour. "Un configurateur coûte des centaines de milliers d'euros et n'est pas à la portée d'un distributeur", souligne Eric Saint-Frison. D'autre part, en matière de référencement, les distributeurs n'ont aucune visibilité en direct sur la Toile. Pour toute recherche d'information en locale, le client a de fortes chances d'être redirigé sur la page du constructeur. Seul le site des Pages Jaunes fait parfois le lien directement avec le site du groupe. Ce déficit d'image est d'ailleurs au cœur de l'entreprise d'Eric Saint-Frison et de sa solution Digital Dealers (voir page 39). "Si vous tapez sur Google : "Achat" plus le nom de la marque, vous n'avez pas un seul distributeur qui arrive dans les trois premières pages. Et si vous ne connaissez pas le nom du distributeur dans votre ville, vous faites comment ?", s'interroge l'ancien président de Ford France. Et d'analyser : "Rien n'a véritablement changé, les constructeurs continuent de proposer des solutions intégrées à leur interface qui prennent la forme de mini-sites dédiés à chaque distributeur. Seulement, ces vitrines-là ne touchent pas et n'intéressent personne". Même constatation pour Edouard Colin : "Les distributeurs ne se sont pas retrouvés dans les pages formatées créées par les constructeurs. Ils ont besoin de personnaliser leur approche, de montrer leur expérience, leur savoir-faire, leurs services en plus des produits. Ce serait une erreur que de revenir à cette standardisation des sites Internet."

Internet, outil de surveillance du réseau ?

Pourtant ce schéma, à défaut d'être très esthétique, peu s'avérer très pratique pour des distributeurs qui n'avaient pas de vitrine et qui ont ainsi pu "profiter de la mutualisation des investissements pour disposer d'un site aux fonctionnalités multiples", reconnaît Patrice Mihailov. Pour les constructeurs, une telle approche a surtout permis "de s'assurer de l'uniformité de la représentation commerciale du réseau sur Internet et de diluer l'identité commerciale du concessionnaire, qui n'a plus d'existence individuelle et autonome sur Internet", ajoute-t-il. Aseptiser pour mieux régner. Patrice Mihailov, va même plus loin en désignant Internet comme "un formidable outil statistique et donc de surveillance du réseau pour les constructeurs. Ils peuvent par ce biais mesurer en temps réel la santé financière de leur réseau, contrôler la trésorerie, le suivi des commandes et donc ajuster la rémunération en conséquence." Et de poursuivre : "Désormais, le constructeur profite du passage obligé du prospect sur son site pour l'enregistrer sur son fichier. Ainsi, quand un client décide de remplir un formulaire, en s'appropriant ce média, le constructeur s'approprie aussi les fichiers commerciaux de tout leur réseau et est libre de le mettre à disposition d'un distributeur concurrent." La mise en contact avec le concessionnaire est, en effet, rarement immédiate et doit d'abord transiter par une plate-forme ou un centre d'appel.

Pour conclure, les initiatives personnelles des distributeurs sont acceptées, voire même appréciées, pour peu qu'elles respectent l'image de marque et qu'elles n'aillent pas trop loin dans la démarche commerciale. En terme juridique, on appelle cela la liberté surveillée.

Photo : Olivier Lamirault, P-dg du groupe Lamirault.

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