Le marché de l’occasion en équilibre précaire
3 VO pour 1 VN. Ce chiffre justifie à lui seul les velléités affichées par les différents acteurs de l’automobile sur le marché de la seconde main. Dans notre dernier dossier financement (JA n° 1188), les captives des constructeurs ne réaffirmaient-elles pas leur désir d’augmenter leur taux de pénétration VO et de renforcer leur position sur ce marché ? Même le premier groupe de distribution français, PGA Motors, a récemment annoncé son ambition “de développer les volumes et la profitabilité de son activité VO, via le déploiement d’un grand programme qui va s’étaler sur plusieurs années”. Cet engouement pour le VO s’accroît au fil des mois. Il faut dire qu’en l’espace de huit mois, le fossé s’est encore creusé entre le marché de l’occasion et celui du neuf. Le premier reste relativement stable depuis 2001 (voir tableau), tandis que le second n’en finit plus de chuter (- 9,8 %). Bon an mal an, le marché de l’occasion ne dévie pas de sa fourchette de 5,3 à 5,5 millions d’immatriculations. En 2009, année culminante pour le neuf et basse pour l’occasion, il s’était immatriculé 2,3 VO pour 1 VN. Crise oblige, cette tendance, longtemps spécifique à la France, s’étend également à certains autres marchés européens tels que l’Espagne (2,1 VO/1 VN), l’Italie (3 VO/1 VN aussi) ou encore l’Allemagne (2,5 VO/1 VN), traditionnellement moins portés sur l’occasion.
Les professionnels s’obstinent sur le moins de 5 ans
Au cumul des huit premiers mois, le marché de la seconde main accuse une légère érosion de 1,7 % par rapport à la même période l’an passé, à 3 577 695 unités. En juillet, il a enregistré une progression de 4,6 %, avant de reculer en août de 6 %, à 392 803 unités. Le segment des VO de 5 ans et plus continue de représenter plus de 60 % du total. Mais il s’agit ici d’un marché qui ne concerne que trop peu les professionnels, qui, même s’ils y portent un intérêt grandissant, préfèrent encore batailler sur le segment des VO plus récents. “Notre core business reste le VO récent ainsi que les produits de retour de location longue durée, qui n’excèdent pas 36 mois. Les transactions de voitures de plus de 5 ans sont infimes dans le réseau et nous n’avons pas la volonté de développer ce type de produits car les clients viennent avant tout chercher un véhicule vendu récemment”, affirme Nicolas Janin, chef du service Ventes Voitures d’Occasion de BMW. “Les concessionnaires proposent pour maintenir leurs marges 20 % de véhicules à moins de 10 000 euros, alors que ce segment représente plus de 60 % de la demande ! Ils doivent en effet réaliser un minimum de marge à chaque vente pour couvrir leurs frais fixes (immobilisation, salaires des vendeurs…) : sur un véhicule à 3 000 euros, une marge de 300 euros (10 %) les couvre à peine”, illustrait dans une récente tribune Antoine Jove, directeur général adjoint de BCA Expertise. Toujours en phase d’apprentissage ou de professionnalisation sur le VO, les marques s’arc-boutent derrière une promesse de qualité formalisée par les labels occasion, toujours plus nombreux à investir les points de vente.
Mainmise accrue des constructeurs sur les flux
Surtout, depuis janvier, les constructeurs semblent avoir décidé de renforcer encore un peu plus la maîtrise de leurs flux, si l’on en croit les propos rapportés par de nombreux acteurs indépendants. “Il est souvent plus complexe de s’approvisionner auprès des constructeurs sur le premier semestre. Mais, après septembre, ils rouvrent les vannes et commencent à inonder le marché. Ils font la pluie et le beau temps du marché parallèle, mais, en définitive, ils auront toujours besoin de nous”, confiait Xavier Meney, dirigeant d’ATB Auto, en mai dernier. Ce qui est vrai, bien que les constructeurs n’osent le crier trop fort, n’hésitant pas à tenir un double discours à l’égard des “marchés parallèles” pour ne pas froisser le réseau. En cette rentrée de septembre, la situation perdure, ce qui n’est pas sans inquiéter les professionnels. “Sur le marché des VO de moins de 2 ans, nous assistons, depuis janvier, à une nouvelle politique des constructeurs qui consiste à bloquer la distribution intra-communautaire de leurs produits d’occasion. Je ne suis pas certain que ce choix soit pertinent dans un contexte de forte baisse des ventes de VN. Peut-être qu’à travers cette politique de surveillance, pour une meilleure maîtrise des flux, ils veulent faire remonter les prix du VO pour favoriser les ventes de VN. Ce blocage ne fait qu’augmenter les stocks physiques des constructeurs avec ce que cela peut engendrer comme coûts financiers. Je reste persuadé que cette situation va évoluer avant fin 2013, un constructeur reste avant tout un industriel. A ce jour, cette situation ne nous affecte pas, car nous ne sommes pas liés à une marque ou un produit spécifique. En revanche, cela est plus pénalisant pour certains agents de marque”, déplore Jean-Noël Khaladi, directeur associé de MK2J (44). “Certaines marques ont fermé les portes et protègent leur réseau. Mais, paradoxalement, nous voyons des mandataires qui pré-commandent auprès des constructeurs des véhicules pour les revendre à - 20 et - 30 % à des marchands. C’est limite vis-à-vis du réseau de concessionnaires et d’agents”, soulève encore Jack Brinet, dirigeant de BJH Auto à Milhaud (30). Pierre Guinault, dirigeant de la société Appro (01), se veut pour sa part plus nuancé : “Je doute que les constructeurs aient décidé soudainement d’arrêter de vendre des véhicules aux marchands, je crois plutôt qu’il y a tout simplement moins de matériel. Pour nous, la difficulté réside plus encore dans le manque de lisibilité des politiques commerciales à long terme de certains constructeurs, en l’occurrence ceux avec qui nous travaillons, qui pèse sur notre stratégie d’approvisionnement.”
L’export et les marchands, une variable d’ajustement
Sur un marché de l’occasion particulièrement volatile d’un mois sur l’autre et qui offre peu de visibilité tant sur les prix que sur les stocks, les mauvaises surprises peuvent arriver rapidement. Les constructeurs ont toujours affirmé ce vœu pieux de revendre 100 % de leurs buy-backs à leur réseau. Les ventes à l’export et aux marchands ont toujours été un canal indispensable pour les marques, surtout en fin d’année lorsqu’il s’agit d’assainir les stocks. “Nous revendons 90 % de nos véhicules d’occasion à notre réseau, et les 10 % restants sont des ventes à collaborateurs, à l’export ou aux autres filiales européennes. Mais nos ventes à l’export ou à marchands restent clairement une variable d’ajustement, confirme Dominique Gobin, directeur ventes flottes et véhicules d’occasion de Hyundai. Le principal facteur réside dans la maîtrise des volumes remarketés. Dès lors que la volumétrie est maîtrisée, il n’y a aucune raison de recourir aux ventes à l’export. Et si nous contrôlons les volumes, nous contrôlons aussi les prix.” Indirectement, via des plateformes électroniques dédiées, les marchands peuvent encore accéder à une offre de VO émanant des constructeurs. “Dans notre processus de revente, nous avons instauré une étape obligatoire qui repose sur une place de marché électronique. Elle est accessible pour les professionnels du VO et représente pour nous un bon indicateur des tendances du marché et des prix, décrit Nicolas Janin. Nous vendons évidemment en priorité nos VO à notre réseau, mais si le prix de réserve n’est pas atteint, nous nous réservons le droit de les proposer à des acteurs extérieurs. Nous ne fermons pas la porte aux marchands.”
Le constructeur ne fait pas de cadeau à son réseau
A l’heure où les rentabilités des réseaux fondent comme peau de chagrin, le VO est une planche de salut certaine qui peut orienter les politiques de revente des marques, à condition de maîtriser les coûts. “La seule possibilité pour un distributeur de maintenir sa profitabilité aujourd’hui est de développer les activités VO à particuliers”, confiait d’ailleurs Claude Fréret, ex-président de PGA et directeur de la société Optimium, lors des Etats-Majors du VO. Même si les taux de reprise tendent à augmenter au sein des points de vente, le plus souvent pour aider les ventes de VN, les réseaux sont globalement demandeurs de VO émanant des constructeurs, qui ont fait ces dernières années des efforts en termes de mix et de diversification de l’offre. Reste la question des tarifs proposés, qui ne fait pas toujours l’unanimité au sein des réseaux. Chacun doit y trouver son compte. “Il ne faut pas croire que Volkswagen ou Audi nous donnent les VO, souligne Sébastien Buffeteau, chef des ventes VO au sein de DBF Montpellier (34). Les véhicules ne sont pas toujours bien placés. Chez Audi, ils ont juste ce qu’il faut en produits d’occasion, ni trop ni pas assez. En revanche, depuis deux ans, ils ont vraiment ouvert les achats de voitures provenant d’Ingolstadt, via la France. Cela nous permet d’accéder à une offre plus importante.” Les distributeurs seraient-ils trop exigeants ? Les représentants de marques généralistes doivent composer avec des marges qui s’érodent et des prix en neuf sur certaines catégories de produits encore très proches de ceux du VO. “Depuis deux ans, le sourcing auprès du constructeur s’est complexifié. Nous continuons d’acheter des VO chez Renault, mais nous avons pris un peu plus de distance et de liberté”, confiait en juin Laurent Murgia, responsable occasion au sein du groupe Bony. Nombreux sont les distributeurs de la marque au losange à développer le hors marque, afin de toucher une nouvelle clientèle, mais surtout de maintenir leurs marges.
Le marché de l’occasion peut-il tenir encore longtemps ?
Bien que stable et porteur, le marché de l’occasion ne risque-t-il pas, cependant, de subir à un moment donné les effets collatéraux de la chute du marché du neuf ? En effet, la décroissance constante des immatriculations de voitures neuves, en France comme en Europe, ainsi que les prolongations de contrats au sein des flottes et des sociétés de leasing ne pourront pas être éternellement sans effet sur le marché de la seconde main. La stabilité actuelle du marché de l’occasion ne serait-elle pas d’ailleurs le fruit des performances artificielles enregistrées sur le marché du neuf de 2009 à 2011 ? “Une baisse du marché VN en 2013 ne signifie pas forcément qu’il y aura moins d’offres de véhicules d’occasion dans deux ou trois ans. En fait, il est toujours compliqué d’établir une corrélation entre le marché VN et celui de l’occasion. Il n’y a pas de règle. Historiquement, nous avons connu des périodes où les deux marchés étaient en croissance, et des phases où ils affichaient des variations opposées. Quand un marché VN est moins porteur, les distributeurs font moins de reprises, mais augmentent leurs achats extérieurs de VO”, répond Nicolas Janin. “J’ai le sentiment que nous sommes aujourd’hui davantage sur un marché automobile de renouvellement, et de moins en moins dans l’achat plaisir”, note Jean-Noël Khaladi. La perspective d’une prime à la casse sur l’achat de VO pourrait cependant infléchir notablement la structure du marché.
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