Le leurre de la fidélisation client
...qui se chargera de récompenser les entreprises les plus efficaces et les plus innovantes.
A quoi sert la recherche de la "satisfaction" du consommateur dans le domaine qui est le nôtre, à savoir le commerce automobile ? Eliminons d'emblée toute hypocrisie d'ordre philanthropique : on veut "satisfaire" le consommateur pour réaliser des bénéfices dans le temps, au moyen de la fidélisation dudit consommateur. Jusqu'ici, rien à redire : c'est de bonne guerre… si ça marche. Mais, contrairement au Loto, cette philosophie passéiste risque de coûter cher et de ne rien rapporter du tout. Nous ne reviendrons pas, cependant, sur le fait évident que la "satisfaction" du consommateur conduit progressivement, de libéralité en libéralité, à une gabegie que personne, constructeurs inclus, ne peut se permettre dans le monde automobile d'aujourd'hui. Ni sur le leurre de la fidélisation du client à travers sa satisfaction, dont on sait depuis longtemps qu'elle suppose un monde commercial rétro/réac, où les nouveaux modèles sont rares ou n'attirent personne et où personne ne concède de remises pour vendre plus que le voisin. Ceci étant posé, passons aux choses sérieuses.
"Satisfaction" et immobilisme commercial
"Quand on court derrière un canard, il est rare qu'on lève un lièvre, quand bien même il y en aurait un près de la mare." Ce proverbe pas du tout chinois et que nous venons d'inventer signifie qu'en poursuivant la "satisfaction" du consommateur et en cherchant à l'améliorer, on perd de vue l'essentiel, à savoir la transformation de l'outil de distribution. En effet, on va s'attacher honnêtement à rendre l'accueil plus agréable, à multiplier les prestations gratuites (pour le client), à réorganiser les flux à l'intérieur des concessions, à surcontrôler la qualité des travaux effectués, etc. Toutes choses utiles marginalement… mais liées à un seul modèle d'entreprise de distribution, la concession traditionnelle, dont on sait qu'elle est particulièrement onéreuse et pas vraiment ("not really", en anglais) plébiscitée par les clients. Dans la meilleure des hypothèses, on s'embourbe par conséquent dans un processus d'amélioration continue d'un existant suranné et caduc, au détriment de toute différenciation innovatrice et compétitive de l'outil de distribution. C'est comme si on s'entêtait à perfectionner le télex, à une époque où, le fax étant lui aussi devenu ringard, les moyens de communication explosent et se perfectionnent dans toutes les directions, sauf celle qu'on a retenue. En suivant cette (fausse) piste, le commerce automobile perd l'opportunité de s'adapter au marché, qui n'a rien à voir avec la recherche d'une satisfaction homogène, codifiée, uniforme. Au contraire : comme dans tous les autres secteurs du commerce, les consommateurs veulent pouvoir choisir entre plusieurs marques, plusieurs modèles, plusieurs niveaux de prix, plusieurs offres de services… et plusieurs types de magasins.
Liberté de choisir, liberté d'entreprendre
Personne, sans doute, n'a encore mesuré les coûts indirects de l'idéologie de la "Customer satisfaction". On ne court pourtant pas impunément derrière un canard : un distributeur doit y consacrer de l'argent, de l'énergie et du temps, non seulement pour progresser et améliorer effectivement sa "performance", mesurée par un indice de satisfaction qui risque de lui faire perdre ses marges arrière, mais aussi, par exemple, pour essayer de convaincre chaque client de répondre aux questions ("êtes-vous satisfait… ?") d'une façon commercialement correcte… Tout ceci est-il sérieux ? La sagesse suggère d'éliminer sans tarder la politique de satisfaction du consommateur telle qu'elle est conçue et mise en œuvre aujourd'hui. On aura alors un premier avantage : on cessera de rémunérer au prix fort des pratiques pernicieuses et inefficaces, au profit d'utilisations plus appropriées des ressources disponibles : ceci recentrera l'activité des distributeurs intéressés sur l'essentiel, à savoir la vente. Il faut aussi laisser se développer une saine concurrence, qui conduira à une réduction des coûts à travers l'élimination des entreprises les moins viables. Ce sera le cas si on laisse les distributeurs libres (autant que possible) d'organiser leurs entreprises comme ils le préfèrent et non selon un modèle unique. Paradoxalement, les clients y trouveront une satisfaction authentique, due à une plus grande liberté de choisir. Il ne sera même pas nécessaire de la mesurer : le marché se chargera de récompenser les entreprises les plus efficaces.
Ernest Ferrari, Consultant
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