Hervé Guyot, directeur du fonds de Modernisation des Equipementiers Automobiles
Journal de l'Automobile. Avec un peu de recul, quel regard portez-vous sur la crise et sur l'intervention de l'Etat dans ce contexte particulier ?
Hervé Guyot. La crise, brutale, fut inattendue pour tous les acteurs de l'automobile. De surcroît, elle est intervenue à un moment où le niveau des stocks était élevé et il a donc fallu affronter simultanément la chute des marchés et d'importantes opérations de déstockage. Par conséquent, pour les équipementiers et les sous-traitants, le trou d'air a été abrupt, avec une activité en baisse de 45 à 50 % ! L'Etat a décidé d'intervenir rapidement de manière générale pour permettre à nombre d'entreprises de passer ce cap, comme par exemple avec les mesures très importantes sur le chômage partiel. Par ailleurs, la prime à la casse a eu un effet considérable, au-delà de ce qui était escompté. C'est bien entendu bénéfique pour la filière, mais cela a aussi entraîné de grandes variations d'activité. Il est difficile de réduire le point mort tout en sachant bénéficier des hausses d'activités. Certains n'en ont pas assez profité à cause d'un surcoût trop important pour répondre à la demande. Mais au final, l'action des pouvoirs publics a amorti la crise et ses effets positifs sont avérés.
JA. Après ce premier volet d'aides conséquent, de nombreux dirigeants réclament aujourd'hui un allègement des charges : y êtes-vous favorable ?
HG. On ne peut qu'être favorable à une baisse du coût du travail avec sa contribution au renforcement de la compétitivité en France. La suppression de la taxe professionnelle va déjà dans ce sens, lorsqu'elle n'est pas compensée par d'autres taxes. Il s'agit donc d'une piste à creuser dans l'optique d'améliorer la compétitivité des entreprises en France.
JA. A ce propos, quel état des lieux dressez-vous de la compétitivité des entreprises françaises dans la filière équipementiers et sous-traitants ?
HG. Beaucoup de sociétés sont compétitives en France ou à partir de la France. Pour cela, trois critères doivent être remplis : capacité d'investir, un bon outil de production et faire valoir des innovations à forte valeur ajoutée. Adduxi, qui a bénéficié du premier investissement du FMEA rang 2, en est un bon exemple. Et cette société travaille principalement avec des groupes allemands, notamment Bosch ou Continental. En revanche, pour des entreprises positionnées sur des productions plus traditionnelles, il devient plus ardu de faire face à la concurrence, d'autant que celle-ci est double : pays développés qui ont pris des mesures pour améliorer la compétitivité du coût du travail et pays émergents.
JA. Diriez-vous que le tissu des ETI constitue une faiblesse de l'économie française ?
HG. Force est de constater que le tissu français des ETI est moins développé qu'en Allemagne par exemple. C'est principalement lié aux difficultés pour lever des capitaux propres. Dans ce domaine, le FSI comme le FMEA ont un rôle à jouer car nous pouvons aider ces entreprises à augmenter leurs fonds propres en les accompagnant dans leurs projets stratégiques.
JA. Quel premier bilan dressez-vous des actions menées par le FMEA depuis sa création ?
HG. En premier lieu, on peut souligner que le FMEA a investi de manière soutenue. Nous avons réalisé dix investissements pour un total de l'ordre de 200 millions d'euros. Trois tailles d'entreprises sont concernées : des ETI qui réalisent entre 700 et 1 Md d'euros de chiffre d'affaires en temps normal, c'est-à-dire hors crise, des entreprises réalisant entre 200 et 300 millions de chiffre d'affaires, et des entreprises de taille plus modeste présentant un chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros.
JA. Même si chaque cas de figure est particulier, quels sont les principaux types d'investissements que vous effectuez ?
HG. Tout d'abord, il convient de rappeler que le FMEA intervient comme un investisseur avisé se comportant comme un investisseur privé, c'est-à-dire dans les conditions du marché, et parfois comme un co-investisseur avec d'autres structures privées. Pour répondre à votre question, c'est effectivement assez variable, mais en schématisant, quelques tendances peuvent être mises en exergue. Nous investissons dans des entreprises leaders, afin de les renforcer et de les aider à traverser la crise en renforçant leurs positions stratégiques avec leurs clients. Par ailleurs, nous pouvons soutenir des entreprises engagées dans un processus de consolidation. C'est d'autant plus important que les besoins en consolidation et de rapprochements sont actuellement très importants dans la filière automobile. En outre, nous pouvons intervenir auprès d'entreprises ayant besoin d'augmenter leurs fonds propres pour appuyer leur développement et leurs programmes d'innovation. Enfin, je tiens à rappeler que si nous travaillons principalement avec des entreprises françaises, nous pouvons naturellement le faire aussi avec des sociétés étrangères. L'opération récente d'Agrati, qui reprend avec le FMEA la plupart des sites industriels en France d'un autre fournisseur de la fixation automobile va permettre de profondément moderniser des sites dans le Nord du pays grâce à un programme d'investissement de plus de 30 millions d'euros.
JA. Bien que sa mise en place soit plus récente, quel premier bilan peut-on faire pour le FMEA rang 2 ?
HG. C'est déjà une grande satisfaction de l'avoir monté avec cinq équipementiers de rang 1, surtout que ces équipementiers n'ont pas vraiment bénéficié de soutiens spécifiques pendant la crise. De surcroît, la présence du groupe Bosch aux côtés de Faurecia, Plastic Omnium, Valeo et Hutchinson est aussi à souligner. Cela témoigne donc d'un effort notable des équipementiers de rang 1 pour la filière. Comme nous l'évoquions, le FMEA rang 2 a réalisé son premier investissement et va trouver son rythme de croisière cette année. Je pense d'ailleurs que le nombre de dossiers va rapidement monter en puissance.
JA. Sans parler d'un taux de refus qui pourrait ouvrir la voie à des interprétations caricaturales, pouvez-vous nous exposer les principales raisons qui vous incitent à ne pas donner une suite positive à certaines demandes ?
HG. Tout d'abord, rappelons que nous traitons tous les dossiers et que nous recevons tous les dirigeants concernés. Dans certains cas, il apparaît simplement que le dossier est mal orienté. Ainsi, s'il s'agit d'un problème de trésorerie de fin de mois, ce n'est pas forcément le moment d'augmenter ses fonds propres. Par ailleurs, pour certains dossiers, d'autres solutions, via les banques ou le crédit-bail par exemple, sont tout simplement mieux adaptées. Trois autres situations peuvent aussi se présenter conduisant à ne pas donner suite à un investissement : pas d'accord trouvé sur la valorisation de l'entreprise, difficultés d'acceptation de certaines entreprises, notamment familiales d'ouvrir leur capital.. Enfin, parfois, nous estimons que la situation financière de l'entreprise présente un facteur risque trop élevé ou que la stratégie ne donne pas assez de gages de pérennité. Bien entendu, je parle ici au nom du FMEA, mais il ne faut pas oublier que le FSI intervient aussi dans le secteur automobile. (Investissements dans Valeo, Gruau et la société de batteries pour véhicules électriques à Flins).
JA. Présentés dans un premier temps comme des réponses à la crise et des structures légères, le FSI et le FMEA subsisteront-ils dans l'ère post-crise ?
HG. Ces instruments d'une nouvelle nature font la preuve de leur utilité et de leur efficacité et demeureront à l'avenir car il s'agit d'une manière moderne de dynamiser l'investissement. Notre mission consiste aussi à accompagner les sociétés au-delà de la crise et de réadapter l'ensemble de la filière à la nouvelle donne que nous connaissons. A court terme, dans les deux à trois prochaines années, sachez notamment que le FMEA maintiendra le rythme d'investissements qui a été le sien l'an passé et cela va donc nécessiter beaucoup de capitaux.
JA. Vous évoquez régulièrement une nouvelle donne et un nouveau paysage industriel, mais plus concrètement, qu'entendez-vous par là ?
HG. Aujourd'hui, il y a trop d'acteurs sur le marché et aussi trop d'acteurs isolés. Il conviendra donc de favoriser les alliances, y compris au niveau du rang 2, ainsi que, dans certains cas, la diversification hors de l'automobile. Dans la plate-forme automobile pilotée par Claude Cham et Patrick Blain, on recense 11 sous-filières et il faudra mettre en place des solutions pour renforcer les leaders et diminuer les sur-capacités, ce qui implique, de facto, un certain remodelage.
JA. Vous soulignez que votre mission consiste aussi à accompagner les entreprises au-delà de la crise : selon les différentes hypothèses avancées, quelle date de reprise retenez-vous actuellement ?
HG. Le reprise n'épouse pas le même calendrier ni les mêmes modalités selon les différentes zones du monde. La Chine affiche déjà une forte croissance au même titre que le Mercosur. Après l'effondrement du marché, les Etats-Unis laissent entrevoir aussi des signes de reprise. En Europe, la situation est un peu plus paradoxale. L'action des gouvernements a permis de maintenir à flots l'activité en 2009 et ce sera aussi le cas pour ce 1er semestre, mais il y a de l'inquiétude pour le second semestre. Selon toute vraisemblance, la véritable reprise ne sera pas effective avant 2012-2013 en Europe.
JA. A cette date, il faudra aussi composer avec les premières traductions concrètes des mutations technologiques actuellement entrevues, qui vous importent, d'ailleurs, lors de l'examen des dossiers. Selon vous, quelle sera la nouvelle donne des nouvelles énergies à cet horizon somme toute très proche ?
HG. Les moteurs thermiques, avec notamment de grands progrès technologiques sur les motorisations essence, garderont une place très largement prédominante. Parallèlement, les hybridations vont se développer, mais tous les obstacles économiques ne sont pas encore levés, et les très importantes initiatives lancées sur les véhicules électriques par les constructeurs et les Pouvoirs publics sur les véhicules électriques vont accélérer la naissance et les premiers développements de ce nouveau marché. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir : sur les batteries, les infrastructures, la création de nouveaux services et l'approche clients. A un horizon 2020, on peut approximativement estimer que les véhicules dits propres représenteront 15 % du marché, environ 10 % pour les hybrides et sans doute 5 % pour le véhicule électrique.
JA. Au final, il apparaît que l'action du FSI, du FMEA, mais aussi de structures comme Oseo, est presque unanimement saluée par les dirigeants de l'industrie, tandis que le comportement des banques est stigmatisé : qu'en pensez-vous ?
HG. Tout d'abord, il ne faut pas tomber dans le piège des généralités, les enjeux sont trop importants et la situation trop complexe. A chaque société sa situation propre. Dans les passes difficiles, il est clair qu'il vaut mieux discuter franchement avec les banques avant d'investir. Mais il convient aussi de dire que dans bien des cas les banques jouent leur rôle. Je crois surtout que les acteurs de la filière automobile ont besoin de mieux communiquer avec les banques, les assureurs crédit et les factors. Il y a un réel effort de didactisme et de transparence à déployer pour renforcer l'image de la filière aux yeux de ces partenaires.
JA. D'une manière plus générale, et dans l'optique d'un renforcement d'une politique industrielle européenne, peut-on envisager la duplication du FSI ou du FMEA en Europe ?
HG. Il existe un fonds grosso modo comparable en Suède, un fonds géré par des personnes du privé, mais abondé par l'Etat. Ce pourrait être effectivement une bonne chose que des structures similaires soient mises en place dans d'autres pays. Et pourquoi pas à l'échelle européenne ? Pour en revenir au FMEA, j'insiste sur le fait que nous ne nous limitons pas à un périmètre stricto sensu français dans nos investissements et que nous dialoguons, par exemple, avec l'ensemble des constructeurs.
JA. Un mot de conclusion ?
HG. L'équipe du FMEA reste très mobilisée, au même titre que d'autres acteurs du financement qui jouent aussi un rôle très important. Et il reste encore beaucoup de travail de modernisation et de consolidation dans la filière automobile.
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