“Des concessionnaires sous-performants sur le canal numérique”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Avec l’essor annoncé des véhicules connectés, les constructeurs n’auront plus nécessairement besoin de passer par la case “concession” pour connaître les usages des clients et l’état du véhicule : quelle valeur ajoutée les concessionnaires peuvent-ils inventer pour rester indispensables ?
STEVE YOUNG. Les véhicules connectés auront effectivement pour effet de créer un lien direct entre le client et le constructeur, sous réserve que les clients acceptent de faire confiance aux constructeurs sur le sujet de la propriété des données, ce qui n’est pas encore acquis. Cependant, il existe aussi d’autres domaines, plus proches de nous dans le temps, où le rapprochement entre clients et constructeurs peut se renforcer, notamment dans les phases de recherche du processus d’achat, via l’émergence de canaux de vente en ligne et l’essor d’offres packagées autour de l’assurance et des services. Les concessionnaires doivent accepter que cette évolution est inévitable, mais par ailleurs, les constructeurs auront toujours besoin de partenaires au niveau local pour assurer la livraison des véhicules, les activités après-vente et incarner la marque auprès des clients. Les concessionnaires qui travaillent dans ce sens avec les constructeurs, et qui prennent en charge les acheteurs de véhicules désireux de rester dans un schéma relationnel traditionnel avec la distribution, resteront un chaînon clé du système. Nous ne pensons pas que les constructeurs envisagent d’assurer eux-mêmes ces activités, d’autant que cela représente des investissements significatifs. La tendance actuelle tend d’ailleurs à confirmer notre vision, car les constructeurs cherchent plutôt actuellement à réduire la voilure de leur activité de distribution en propre.
JA. Actuellement dans un sas de transition entre clientèle traditionnelle et futurs clients d’une nouvelle nature, comment les distributeurs doivent-ils calibrer leurs investissements sur de nouveaux supports et de nouvelles technologies, sans perdre de vue un juste ROI bien entendu, à l’heure H ?
SY. Je pense qu’on ne peut pas distinguer deux ensembles vraiment totalement distincts entre des comportements traditionnels et des comportements nouveaux. Dans une certaine mesure, tous les clients évoluent et utilisent de nouveaux supports et de nouveaux services. Très peu d’entre eux sont motivés à l’idée d’une expérience 100 % numérique qui réduirait à peau de chagrin ou à néant les échanges humains. Nous évoluons dans un environnement omni-canal dans lequel les clients font bouger leur curseur selon les différents canaux proposés et les différentes options de vente et de services qui existent. Par conséquent, les concessionnaires doivent continuer à investir sur les canaux traditionnels tout en investissant aussi sur les nouveaux. Plus important encore, ils doivent s’assurer que les clients peuvent passer d’un canal à l’autre à leur guise, sans effets de disruption ni parasites dans le process et sans risque de perte de leurs données. En clair, l’environnement se révèle plus complexe que naguère et fait de l’enjeu névralgique des investissements un véritable défi pour les années futures, aussi bien en termes de volume que de risques. C’est pourquoi de nombreux distributeurs de taille modeste ont décidé de dire “stop” et de quitter le marché.
JA. Selon un sondage Google/Netpop réalisé l’an passé, environ deux clients sur trois se disent insatisfaits de la réponse apportée par le vendeur lorsqu’ils décident d’opter pour le canal numérique. Cela vous surprend-il et plus avant, vous inquiète-t-il ?
SY. De nombreux concessionnaires, ainsi que certains constructeurs, ne sont clairement pas performants sur le canal numérique, surtout si on les compare avec les services d’autres secteurs que les clients connaissent aussi, comme le shopping en ligne, la banque en ligne ou les voyagistes en ligne par exemple. D’une manière générale, les constructeurs font montre d’un manque d’imagination sur les fonctions et les services qu’ils proposent sur leur site internet… Ils se limitent à une posture passive de description et d’information sur les produits, plutôt que de stimuler l’internaute et de lui faire des propositions intéressantes. De leur côté, les concessionnaires sont souvent trop lents pour répondre aux emails ou aux requêtes et questions postées en ligne par des acheteurs potentiels, privilégiant d’une certaine manière le client qui se rend physiquement en concession. Pourtant, le client qui entre dans une concession est déjà passé par une étape sur internet dans son processus, et la plupart de ceux qui ont été déçus par les réponses apportées à ce niveau sont allés voir ailleurs. Les concessionnaires doivent désormais admettre que leur meilleure opportunité pour créer de l’engagement auprès d’un acheteur potentiel se situe en ligne, au téléphone et par email. C’est un point sur lequel ils peuvent se différencier les uns des autres et grâce auquel ils peuvent potentiellement augmenter le trafic en concession de manière significative.
JA. Au lieu de se murer dans d’immenses villages automobiles, les distributeurs n’auraient-ils pas intérêt à se rapprocher aussi de zones de loisirs et de commerce ?
SY. Par rapport aux changements des comportements des consommateurs que nous venons d’évoquer, il est primordial d’être très proche du client potentiel quand il est encore en train d’évaluer ses différentes options d’achat, ce qui se passe majoritairement sur internet. Pour cette bonne raison, les implantations traditionnelles et les sites dans d’immenses villages automobiles ne sont pas la bonne place pour influencer le client qui soupèse différentes options de marques, de modèles et de concessionnaires. Dès lors, s’assurer une présence, même sur une surface modeste ou temporairement, dans des centres commerciaux, des complexes sportifs ou d’autres lieux très fréquentés, permet de mettre la marque face aux clients potentiels très en amont, avant qu’ils n’aient réduit leur choix à une ou deux options, ce qui correspond à l’étape de la visite en concession, une phase où c’est surtout les remises et les négociations qui priment aujourd’hui.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Alexandre Guillet
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